M. Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume
Au terme du jumelage Maroc-UE d’appui à la Trésorerie Générale du Royaume (TGR) intitulé « Appui à la modernisation de la gestion financière publique », un séminaire de clôture a été organisé, ce lundi 23 mai à Rabat. Ce jumelage liant la TGR à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP-France), s’inscrit dans le cadre du programme d’appui de l’UE à la réforme de la gouvernance publique au Maroc « HAKAMA ».
Pour nous apporter plus de détails sur le jumelage, et la modernisation de l’administration publique en général, M. Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume, a bien voulu répondre à nos questions.
La Nouvelle Tribune : Ce séminaire marque la clôture du jumelage Maroc-UE, qui aura représenté 30 mois de travail. Pourriez-vous revenir sur le chantier que cela a représenté, et sur les principaux résultats ?
Noureddine Bensouda : Aujourd’hui, c’est la clôture de ce jumelage, mais ce n’est pas la fin. C’est la continuité d’un processus de réformes. Ces réformes touchent quatre axes, comme je l’ai dit dans mon intervention. Le premier est celui de la comptabilité, le second est celui du contrôle des dépenses publiques, le troisième la digitalisation, et enfin le dernier, la formation ou les ressources humaines en général.
En ce qui concerne la comptabilité, vous avez suivi ce qui se passe ici et ailleurs. Nous essayons d’avoir des comptes, des comptes fidèles et sincères, des comptes que l’on peut mettre à la disposition de toutes les institutions, que ce soient des institutions nationales ou internationales. Tout cela fait partie de la reddition des comptes. Et donc le travail qui est fait aujourd’hui, au niveau de la comptabilité, c’est d’utiliser les principes que nous avons au niveau du secteur privé, c’est-à-dire la comptabilité générale, qui rend compte de tous les aspects de l’action publique, aussi bien ce qui va être payé que ce qui a été constaté et non payé. C’est-à-dire les engagements, et tout le patrimoine de l’Etat. Donc le fait d’avoir cette comptabilité générale, permet aux décideurs publics, et aux observateurs, de suivre un peu l’exécution des finances publiques. Bien entendu, ce travail là, sert principalement à la certification des comptes, parce que comme vous le savez, au niveau du privé, on a des commissaires aux comptes, donc des comptes qui sont bien tenus, et qui permettent d’évaluer une entreprise. Et c’est la même chose pour un Etat. Quand on a une certification des comptes, ça permet de diminuer le risque de l’Etat par rapport aux bailleurs de fonds. Donc il y a, je dirais, une évaluation qui s’améliore, et une notation qui s’améliore. Et cela permet d’aller sur le marché international pour lever des fonds. Et en même temps, cela donne une visibilité aux investisseurs, parce que dans un Etat où les comptes sont bien tenus, les investisseurs savent bien, s’ils viennent par exemple participer aux marchés publics, qu’ils vont être payés à temps.
Et ça me permet de passer au deuxième volet, celui du contrôle des dépenses publiques. Ce contrôle a une histoire, c’était et c’est toujours un contrôle a priori. Mais en 2008, on a décidé de le rendre un peu plus léger, une facilitation. Et par la suite, aujourd’hui l’idée, c’est de responsabiliser d’avantage les départements ministériels en mettant en place du contrôle interne, qui permet d’alléger le contrôle, de faciliter et de fluidifier. Parce que, in fine, à part ce côté technique, l’objectif c’est que, quand il y a une politique publique, on l’exécute le plus rapidement possible, parce que, de l’autre côté, il y a un citoyen qui attend un hôpital, une prestation de santé, ou il attend une école, le recrutement d’un professeur ou d’un enseignant, etc. Donc dans tout cela, le maître mot qu’il faut avoir en tête, c’est celui de la gestion du temps. La trame de fond, c’est la gestion du temps.
Cela me permet de passer au troisième volet, celui de la digitalisation. Celle-ci permet de donner plus d’aisance à tous les opérateurs économiques, plus de fluidité, et aussi une économie de dépenses. Parce que, imaginez-vous, si toute la paperasse et tous les comptes tenus manuellement, sont tenus digitalement, c’est moins d’espace à utiliser, en termes d’archivage, et plus de facilité. Nous l’avons vécu, au moment de la crise sanitaire, avec la mise en place de la facture électronique. Cela permet aux opérateurs économiques d’utiliser la facture électronique et se faire payer, et ainsi de réduire les délais de paiement. Et donc, vous l’avez constaté, d’abord nous sommes dans un Etat qui est solvable, et qui paie à temps. Cela ne peut que contribuer à la croissance économique.
Le dernier point, c’est celui des ressources humaines, de la formation. Les ressources humaines sont la force de frappe des institutions. Si vous avez des ressources humaines de qualité, qui sont bien formées, elles assureront un service public meilleur, et seront là pour s’inscrire dans une dynamique de croissance. Et je crois que les institutions ne valent que par leurs ressources humaines, femmes et hommes, et nous investissons énormément dans ce domaine. Et le jumelage est venu renforcer cette volonté d’amélioration de nos ressources humaines.
Si vous permettez, je vais revenir sur certains points que vous avez mentionnés, pour les aborder de manière plus détaillée. La certification des comptes, comme vous l’avez dit lors de votre présentation, est une première pour un pays africain. Comment ce projet a-t-il été mené ? Et est-ce que le Maroc va accompagner les pays du continent pour des projets similaires ?
Vous avez raison d’en parler par rapport à la coopération avec les pays africains. D’ailleurs, nous avons avec nous la délégation mauritanienne qui est venue pour le sujet de la commande publique. Justement, concernant ces relations, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, le Maroc essaie de renforcer cette coopération, notamment dans le domaine des finances publiques. Et cette certification a un plus, parce qu’elle s’inscrit dans le chemin de la transparence. Et cette transparence, est l’essence même de la démocratie. Parce que in fine, quand avez avez des finances publiques bien tenues, qui sont sincères, qui certifiées, cela permet la légitimation de l’action. Car on sait comment ont été dépensés les deniers publics. D’un côté il y a les prélèvements qui s’opèrent, mais le citoyen, par le biais de ses représentants, voudrait savoir exactement ce qu’on a affecté aux différents domaines d’intervention, en termes de santé, d’éducation, d’équipement, etc.
Et donc cette certification, elle permet de dire qu’effectivement, ces dépenses publiques ont été faites dans les meilleurs conditions, et qu’elles sont été faites réellement. Et ça permet aux décideurs d’avoir des correctifs au fur et à mesure, par rapport à l’action future. Donc c’est un outil de pilotage nécessaire, que ce soit sur le plan gouvernemental, le plan parlementaire ou sur le plan juridictionnel. Et tout ça, ça améliore, un peu, l’action publique.
Et cette expérience permet de la partager, bien sûr, avec nos amis de l’Afrique. C’est un peu l’avantage des derniers arrivés. Nous avons profité de l’expérience des pays européens, notamment la France. Nous allons nous-mêmes faire notre expérience, et allons voir qu’il y a des petites choses à ajuster. Et celui qui arrivera juste après, va pouvoir bénéficier, capitaliser sur l’expérience de l’Europe, et celle du Maroc.
Vous avez mentionné un changement d’approche pour le contrôle, du contrôle a priori à celui a posteriori, avec un fort accent sur la responsabilisation. Quel est l’état de mise en œuvre de cette méthode de contrôle, et quel a été son accueil par vos ressources humaines ?
En fait, depuis 2008, il y a ce qu’on appelle le contrôle modulé de la dépense. Il y a des évaluations qui sont faites par l’Inspection générale des finances et par la Trésorerie générale pour voir un peu la capacité de gestion de ces ordonnateurs. Au fur et à mesure que ces ordonnateurs s’améliorent, il y a un allègement du contrôle. C’est ce qui a été fait depuis quelques années.
Aujourd’hui, nous voulons passer à une étape supérieure : leur donner encore plus de marge de manœuvre. Cela se fait avec eux. Et pour que ça fasse avec eux, il faudrait, à leur niveau, un renforcement de leur capacité de gestion en termes de procédures, mais aussi en termes de ressources humaines. Et donc la Trésorerie générale, dans tous les domaines, assiste souvent ses partenaires en termes de formation, par exemple sur le plan des marchés publics, de la paie du personnel, etc. Pour tous les métiers que nous exerçons, nous essayons d’assister… parce qu’on ne peut pas aller tous seuls vers le développement, il faut qu’on aille ensemble, avec tout le monde. C’est donc un travail qui est progressif, mais qui va se faire, et nous avons la volonté et la conviction de réussir, avec nos partenaires.
Comment la TGR, avec les apprentissages tirés de programmes de ce genre, va-t-elle accompagner le reste de l’administration publique marocaine dans sa propre modernisation ?
Vous savez, la Trésorerie générale travaille avec l’Etat, et avec les collectivités territoriales. Et donc sa présence est au niveau national. Nous sommes implantés pratiquement dans toutes les villes, un peu partout. Donc tout ce qui se fait au niveau national, et même international – parce que nous avons des comptables publics dans les ambassades, les ambassadeurs étant des ordonnateurs -, tout ce travail, cette présence, permettent la connaissance et la compréhension du quotidien des ordonnateurs.
Et nous avons une remontée d’informations pour évaluer un peu où nous en sommes au niveau de l’amélioration. Et donc cette compréhension, cette force de frappe du fait de ce reporting qui se fait par rapport à toutes les actions menées par les départements ministériels, nous permettent d’apporter une amélioration et de comprendre le niveau de chaque département, ou chaque commune, etc. Et nous travaillons notamment avec la Direction générale des collectivités territoriales, sur ces aspects-là, que ce soit en dépenses ou en recettes.
Donc c’est cette possibilité d’avoir des remontées d’informations qui nous permet d’avoir un système dynamique, et qui s’adapte et s’améliore. Et ce que nous avons réussi au niveau des départements ministériels, on peut bien sûr le partager avec les collectivités territoriales. À titre d’exemple, nous avons instauré la gestion intégrée des dépenses comme système, qui a servi dans un premier temps pour l’Etat. Quand les collectivités territoriales ont voulu mettre en place un système d’informations de dépenses, nous l’avons fait avec nos partenaires du ministère de l’Intérieur, et nous avons capitalisé sur cette expérience. Nous n’avons pas eu besoin de mettre en place un autre système, mais nous l’avons adapté. C’est une dynamique qui ne s’arrête pas, mais le plus important c’est la remontée de l’information, et en temps réel.
Propos recueillis par Selim Benabdelkhalek