M. Hassan El Bedraoui est Directeur Général Délégué du Pôle Transformation, Innovation, Technologies et Opérations du groupe Attijariwafa bank
Hassan El Bedraoui est Directeur Général Délégué du Pôle Transformation, Innovation, Technologies et Opérations du groupe Attijariwafa bank et pilote entre autres la transformation digitale de la première banque de la place marocaine. Dans cet entretien, de par son expertise au plus près des évolutions et tendances au Maroc et à l’international, il décortique pour nos lecteurs l’apport réel de la technologie en tant qu’accélérateur de la transformation et relève les écueils qui attribuent toutes les vertus au digital.
La Nouvelle Tribune : Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs quelle a été l’approche d’Attijariwafa bank pour faire face à la digitalisation ?
Hassan El Bedraoui : Tout d’abord, il s’agit de préciser que la transformation digitale est propre à chacun dans la mesure où la technologie n’est pas une potion magique et que ce qui a marché pour certains ne sera pas forcément adapté pour d’autres. Nous sommes également convaincus que la technologie est un formidable accélérateur de la transformation mais que ce n’est pas une fin en soi.
Il est important de distinguer le « bruit » qui peut entourer le marketing des nouvelles technologies, notamment venant des experts du domaine, et leur usage réel dans un cadre opérationnel. Nous avons donc déployé au sein du Groupe une stratégie digitale qui s’articule autour de trois axes majeurs : l’excellence relationnelle, l’excellence commerciale et l’excellence opérationnelle. L’excellence relationnelle se traduit par une expérience client fluide phygitale (stratégie à la fois physique via le retail et aussi en ligne sur le digital), la personnalisation de la relation digitale et un accompagnement proactif de nos clients. L’excellence commerciale vise à outiller le conseiller avec des solutions permettant d’augmenter ses capacités commerciales (« Banker Anywhere »). Enfin, l’excellence opérationnelle est la mise en place d’un modèle opérationnel efficient, en capitalisant sur les nouvelles technologies de la robotique informatique comme la RPA (robotic process automation), l’Intelligence Artificielle et la digitalisation des processus.
Ainsi, depuis 2016, plusieurs plans de transformation se sont succédé et ont porté à terme des chantiers phares tels que l’accélération du développement de la banque en ligne pour nos clients, particuliers et entreprises, à travers les plateformes Attijarinet / Attijari Entreprise ou encore l’application mobile Attijari Mobile / Attijari Entreprises et la transformation multicanale des agences notamment au niveau des espaces de libre-service bancaire et des centres de relation client.
Le renouvellement du modèle relationnel de la banque a également été un chantier majeur avec l’allègement des portefeuilles agence et le renforcement du rôle du conseiller. Tous ces projets assurent au client une meilleure qualité de service, des démarches simplifiées, l’accessibilité, le temps réel… Ils ont également nécessité en parallèle, la mise en place de dispositifs organisationnels et techniques conjuguant métiers, Data, Digital, Innovation et pilotage efficient du portefeuille projets.
Pensés dans une configuration synergique et agile, ces dispositifs ont permis d’être proactifs vis-à-vis des attentes de nos clients et des bouleversements constants de notre environnement.
Pour mener à bien cette stratégie de transformation digitale, les investissements ont essentiellement porté sur les technologies et les solutions, l’équipement des agences et des commerciaux et la formation des collaborateurs aussi bien dans le réseau que dans les fonctions support.
Quelle place tient ce qu’on appelle la « DeepTech » dans cette stratégie ?
Notre transformation digitale s’appuie sur la DeepTech à plusieurs titres. Nous avons concrètement mis en place des plans d’opérationnalisation et d’intégration des nouvelles technologies en tant que vecteur d’accélération de nos ambitions business, de l’Intelligence Artificielle, à la Blockchain en passant par le RPA et la Biométrie. Plusieurs projets ont été appuyés par ces technologies comme l’ouverture de compte full digitale ou encore le RoboTrader.
Parce qu’il nous paraît indispensable de suivre les évolutions et les tendances dans le domaine, nous avons aussi mis en place un Laboratoire technologique dédié à la veille et à l’expérimentation de ces ruptures technologiques qui fédère l’ensemble des forces vives techniques de la banque. S’ajoute à ce dispositif une collaboration étroite avec les startups actrices de la DeepTech. Par ailleurs, la part de notre budget IT dédiée aux investissements dans les technologies DeepTech ne cesse de croître.
Pouvez-vous détailler les relations que vous entretenez avec les startups du secteur ?
Le Groupe AL MADA accorde une place importante au développement des startups et aux Fintechs. A ce titre, depuis 2020, nous avons signé, dans le cadre d’un suivi minutieux du Groupe AL MADA, plus de 50 Bons de commande à des startups et nous avons mis en place un process « fast track achats » pour favoriser la collaboration et la contractualisation avec ces acteurs, ainsi qu’une équipe dédiée à la gestion de la relation Attijariwafa bank – Startups. Par ailleurs, nous avons créé le programme « Open Innovation » qui met à contribution des startups sur des préoccupations business et métier de notre groupe. La dernière édition a permis de co-construire 12 solutions avec 12 startups. Concernant les Fintechs spécifiquement, nous avons un véhicule d’investissement (CVC) dédié et notre collaboration avec les Fintechs nous permet d’accéder à des nouvelles solutions technologiques, d’augmenter la capacité d’exécution et de réduire le time to market, c’est à dire accélérer les plans de transformation. Nous couvrons ainsi de nombreux domaines de DeepTech tels que l’IA, la Big Data, le Machine Learning etc. De nombreuses Fintechs marocaines font partie de notre écosystème.
Où se situe Attijariwafa bank par rapport aux tendances mondiales ?
Attijariwafa bank se situe dans les meilleurs standards internationaux en termes de maturité digitale.
Elle suit de près et pilote de manière structurée cette maturité digitale en calculant régulièrement un indice international. Cet indice, suivi au niveau de notre actionnaire de référence AL MADA pour l’ensemble de ses participations, nous permet de nous comparer aux groupes de taille similaire en Afrique et dans le monde et d’identifier les leviers à actionner pour accélérer notre transformation digitale.
Ainsi, d’ici à 2025, Attijariwafa bank ambitionne d’atteindre les benchmarks internationaux et prévoit d’être dans des niveaux de performances digitales élevées, notamment en agissant sur plusieurs dimensions : les stratégies business portées par le digital pour chacun de nos métiers ; une maîtrise des technologies de pointe et une capacité forte à intégrer l’innovation disruptive ; une culture digitale irriguant toutes les strates de l’entreprise ; une organisation efficiente des projets de transformation digitale ; la maîtrise de l’écosystème digital et la capacité de fédérer des partenaires ; des compétences et des talents digitaux.
Pour conclure, pensez-vous que le Maroc est compétitif sur le volet digital ? Quels sont selon vous les efforts à fournir ?
Le Maroc, depuis la pandémie de la Covid, a connu une formidable accélération ainsi qu’une ouverture et une disponibilité exceptionnelles des autorités. De fait, le Maroc est désormais dans la norme, même si on n’a pas résorbé totalement notre retard, avec ce trend nous allons dans la bonne direction. Le Maroc ne peut pas concourir avec l’international sans les mêmes armes et donc la compétitivité du pays passe par l’adoption des normes d’usage au niveau mondial.
Cela étant dit, l’écosystème d’innovation nécessite de se développer davantage, le Maroc occupait le 8ème rang en 2020 dans le classement des levées de fonds à destination des startups en Afrique : 11,2M$ ont été levés en 2020 (contre 307M$ au Nigeria, 305M$ au Kenya, 269M$ en Égypte et 259M$ en Afrique du Sud). Au premier trimestre 2022, le Maroc est ainsi classé à la onzième place en termes de fonds levés sur le continent, loin du Top 3. Ce dernier est mené par le Nigeria qui a réussi à lever 493,4 M$, soit une part de 30,30%, à travers 62 contrats. Suit le Kenya avec 430,7 M$, l’équivalent de 26,45%, via 33 deals, devant l’Afrique du Sud qui affiche 219,9 M$, soit 13,50% pour 20 transactions.
Nous avons également prévu d’accentuer la formation à l’entrepreneuriat. Plusieurs initiatives et programmes pédagogiques existent mais nécessitent d’être démultipliés pour préparer les entrepreneurs de demain. Nous avons de belles expériences avec des écoles et des universités sur ce créneau et nous pensons que les jeunes ont le bon « mindset », ils doivent simplement être accompagnés davantage.
Enfin, le cadre réglementaire a beaucoup évolué ces dernières années pour intégrer les nouvelles ruptures technologiques et nul doute que les prochains chantiers comme l’Open Banking, la Blockchain ou l’Intelligence Artificielle ne manqueront pas de bénéficier du même accompagnement des régulateurs.
Propos recueillis par Zouhair Yata