Autre fulgurance apparente du Maroc des années 2010, le digital est désormais sur toutes les bouches. Les sceptiques ne sont plus que marginaux et les prophètes sont légion. La face émergée de l’iceberg focalise l’attention sur les réseaux sociaux, les GAFA, les influenceurs et leurs hashtags bien-pensants, les entreprises de services ou commerciales qui ont entamé leur fameuse transformation digitale et l’État qui se gargarise d’actions à la portée limitée malgré un océan de bonnes intentions. Pourtant, sous l’eau, l’iceberg recèle une profondeur qu’il serait grand temps de prendre en compte : la délocalisation de la demande mondiale des consommateurs sur le canal digital.
Les statistiques de pénétration du mobile et de l’internet explosent partout dans le monde et le Maroc en est un exemple probant. Cela doit signifier à tous qu’aucun secteur ou segment de l’économie ne peut se permettre de prendre son temps pour adresser cette nouvelle forme de demande. La sclérose des économies n’est d’ailleurs mondialement remise en cause que par les modèles disruptifs de vente, d’Amazon à Uber en passant par AirBnB, qui adressent directement le consommateur là où il le souhaite.
Lorsque la presse écrite a connu une forte baisse mondiale de lectorat ces dix dernières années, le secteur a d’abord expliqué cela par un désintérêt des lecteurs alors que ces derniers avaient simplement changé d’usages. L’information n’est pas morte et la presse encore moins, la demande en revanche a changé et il faut l’adresser différemment. C’est désormais valable pour tous les secteurs confondus.
La formation à la base de la transformation
Autre paradigme nouveau et sous-jacent à la révolution numérique, l’émergence de nouvelles générations de jeunes pour lesquelles la digitalisation est un acquis et qui n’ont pas besoin de « comprendre » les enjeux ou les technologies. La conséquence directe est une forte inadéquation de l’offre et de la demande d’emploi mondial des jeunes, alors qu’ils sont naturellement compétents pour aborder le nouveau monde qui se dessine.
Si les jeunes ingénieurs marocains sont débauchés coûte que coûte, ce sera bientôt le tour des jeunes, souvent sans diplôme, mais autodidactes et brillants, développeurs, designers, entrepreneurs du digital…
La formation doit être le socle de cette nouvelle économie, de base, académique ou professionnelle, dans le domaine agricole, industriel, médical, les services… Quelle qu’elle soit, la formation doit prendre ce virage indispensable de penser numérique, pour réconcilier jeunes et emploi d’une part et insuffler une impulsion de développement économique nouvelle. Ce nouvel état d’esprit permettrait de coaguler, de coaliser, les efforts de tout un écosystème existant au Maroc notamment, mais qui se bat seul sans aide, ni incitation, ni financement spécifique.
A l’image de la FrenchTech, le Maroc doit rassembler ses champions et devenir un pôle d’attractivité technologique dans son ensemble régional pour mutualiser les compétences. Il faut vite prendre conscience que la révolution technologique, numérique, digitale accentue la concurrence et oblige tout le monde à s’aligner au fait que les clients de tous sont désormais informés sur le digital. Il faut adresser cette nouvelle réalité en priorité.
L’atout local et régional
Paradoxe s’il en est de la mondialisation accentuée par la révolution technologique, les dimensions locale et régionale reprennent de plus en plus de sens. En effet, dans le flux continu et inondant d’information disponibles tout le temps pour tous, les individus, les entreprises, les peuples, les décideurs, ont désormais besoin de filtres de pertinence qu’apportent la dimension locale et régionale. La crise profonde des pays occidentaux oblige les pays émergents à trouver des solutions locales et le Maroc a fait de cette stratégie son cheval de bataille.
Mais, alors que les efforts de la diplomatie publique et économique du Maroc en Afrique ou vis-à-vis de l’Europe sont souvent lus à travers des prismes politiques, le pays joue en réalité une partition aux enjeux plus subtiles. En effet, l’intégration des marchés régionaux à différents niveaux est devenue une tendance mondiale et outre la question du Sahara marocain, le développement conjoint du Maroc et de ses voisins, du Sud comme du Nord, passe par des liens économiques plus forts, dont la révolution numérique peut accélérer la mise en place.
Les fameux « leap frogs » (ndlr sauts de grenouilles) dans le domaine numérique, peuvent être multipliés dans un ensemble régional où de nombreuses synergies sont possibles grâce au partage de référentiels communs, linguistiques par exemple et une pénétration d’internet généralisée.
Le Maroc a donc tout intérêt à accélérer son avance dans le domaine de la transformation numérique pour servir de modèle, d’incubateur et d’accélérateur du développement de son environnement régional. Sa position stratégique face à l’Europe et ses relations privilégiées avec elle, doivent accentuer ce rôle de maillon intermédiaire, qui à travers son expertise locale et le transfert de compétences par la formation, est capable de proposer un modèle de développement qui n’est pas basé sur la dépendance.
Avec comme seule richesse leur jeunesse, le Maroc et l’Afrique n’ont pas d’autre choix que de devenir des champions mondiaux de la transformation numérique au service de leurs particularités et spécificités locales et régionales. La stabilité politique, les flux migratoires, la réponse à la menace climatique, tout ou presque en dépend.
Zouhair Yata