Des Algériens manifestent dans les rues de la capitale Alger, le 3 décembre 2019 © AFP/Archives RYAD KRAMDI
Vent debout depuis neuf mois contre le pouvoir, les Algériens sont appelés à voter jeudi pour une présidentielle dont ils ne veulent pas, le scrutin étant perçu comme un moyen pour le régime de se régénérer.
Aucun sondage n’a été publié, mais les observateurs s’attendent à une abstention massive, dans un pays où elle était déjà chroniquement élevée au sein d’un régime politique jugé totalement figé.
Alors que la contestation populaire ne donne aucun signe d’essoufflement, le scrutin s’annonce comme « un fiasco total » en matière de participation, estime l’historienne Karima Dirèche, spécialiste du Maghreb contemporain.
Les bureaux de vote à l’étranger, ouverts depuis samedi, sont quasi-vides et les rares votants essuient les insultes et quolibets d’opposants au scrutin. « La diaspora est mobilisée contre les élections, or elle est traditionnellement conservatrice et proche du pouvoir », souligne Mme Dirèche, directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS).
Depuis le 22 février, le régime est massivement contesté par un mouvement (« Hirak ») inédit. Après avoir obtenu en avril la démission d’Abdelaziz Bouteflika, à la tête de l’Etat depuis 20 ans, le « Hirak » exige le démantèlement de l’ensemble du « système » politique au pouvoir depuis l’indépendance en 1962.
Pilier du régime, historiquement habitué aux coulisses, le haut commandement de l’armée assume ouvertement le pouvoir depuis la démission de M. Bouteflika.
Il s’obstine à vouloir rapidement élire un successeur afin de sortir de la crise politico-institutionnelle dans laquelle est plongé le pays. Et il a balayé les voies de « transition » proposées par l’opposition et la société civile pour réformer le régime, notamment sur la Constitution, qui a servi à légitimer le pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika.
Faute de candidats, une présidentielle initialement prévue le 4 juillet avait dû être annulée et l’Algérie a depuis à sa tête un président par intérim effacé, Abdelkader Bensalah, dont le mandat légal a pris fin depuis cinq mois, et un gouvernement nommé par M. Bouteflika deux jours avant sa démission pour gérer les affaires courantes, avec à sa tête un fidèle, Noureddine Bedoui.
Dans la rue, les Algériens étaient exceptionnellement nombreux vendredi, dernier jour de mobilisation hebdomadaire avant le scrutin, pour scander leur refus de cette présidentielle. Et démentir les assertions du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, lui aussi ex-soutien indéfectible du président Bouteflika, sur « l’élan populaire » suscité par l’élection.
– Enfants du « système » –
Les cinq candidats (Abdelaziz Belaïd, Ali Benflis, Abdelkader Bengrina, Azzedine Mihoubi et Abdelmajid Tebboune) ont vécu une campagne électorale –qui a pris fin dimanche à minuit– agitée et très compliquée, dans un climat de répression accrue.
Ils sont tous considérés comme des enfants du « système » pour leur rôle durant la présidence Bouteflika –deux ont été ses Premiers ministres et deux autres ses ministres– mais il leur est surtout reproché de servir de caution au régime en se présentant au scrutin.
Leurs meetings, aux entrées filtrées et sous forte protection policière, ont peiné à faire le plein, même dans des petites salles, et ils ont régulièrement été accueillis par des manifestations d’hostilité lors de leurs déplacements.
Après 20 ans de fraudes sous la présidence Bouteflika, les assurances du pouvoir –toujours aux mains d’anciens proches du président déchu– sur la « transparence » et la « sincérité » du scrutin n’ont pas convaincu, malgré une maigre retouche de la loi électorale transférant les prérogatives en matière d’organisation du ministère de l’Intérieur à une « Autorité indépendante ».
Le président qui sera élu « est d’ores et déjà discrédité. Il ne sera pas reconnu par l’opinion et aura un vrai problème de légitimité électorale », souligne Karima Dirèche, qui « voit le +Hirak+ comme une guerre d’usure » qui se poursuivra après l’élection.
Ce président élu « va être obligé de gouverner avec ce qu’a produit le +Hirak+, c’est à dire des oppositions et des contre-pouvoirs qui se sont structurés », assure l’historienne.
« L’armée veut s’assurer une continuité du pouvoir, comme celui-ci existait sous Bouteflika, mais c’est désormais impossible ».
LNT avec Afp