Après plusieurs mois de calme plat, la scène politique se ranime et bouge, avec, en perspective, un nouvel affrontement ouvert entre les libéraux modernistes-réformateurs et les conservateurs-passéistes, et ce même si ces deux expressions du champ partisan sont aujourd’hui alliées au sein d’une large coalition majoritaire à la Chambre des Représentants.
Benkirane, le pistolero du PJD
Comme chacun sait, la première salve de propos accusateurs et parfois largement en-dessous de la ceinture (abdominale!) est venue d’un provocateur patenté qui a fait toute sa carrière politique sur sa gouaille populiste, M. Abdelilah Benkirane.
Celui-ci, qui se morfond dans une posture d’Ex (chef du gouvernement et du PJD), accepte difficilement tout à la fois son éviction du leadership de son parti au profit de son concurrent de toujours, M. Saad Eddine El Othmani, et sa lourde défaite dans la course à l’investiture en tant que chef du gouvernement au lendemain de la victoire du PJD aux élections législatives de l’automne 2016.
Un échec d’autant plus difficile à accepter que son successeur à la chefferie du gouvernement, M. Saad Eddine El Othmani, avait accepté en quelques jours ce que Benkirane avait cru pouvoir refuser durant plusieurs mois, c’est-à-dire avaliser toutes les conditions préalables posées par le RNI de M. Akhannouch pour constituer une coalition parlementaro-gouvernementale.
La pilule n’étant toujours pas passée pour Abdelilah Benkirane, celui-ci a donc choisi de remonter au front, avec deux objectifs principaux pour son offensive oratoire menée à l’occasion du congrès de la jeunesse du PJD au tout début du mois de février.
Il lui fallait d’abord prouver urbi et orbi qu’il n’était pas un homme politique fini, mais bien au contraire, toujours actif, au mordant intact et à la formule incisive.
Il lui fallait, ensuite, «pourrir la vie» à son adversaire principal qui n’est autre que M. El Othmani lui-même, dans l’espoir non caché de fragiliser l’actuel leader du PJD.
Voilà pourquoi l’ancien patron des «islamistes BCBG» a si fortement chargé deux des composantes partisanes de la coalition gouvernementale, le RNI et l’USFP. À tel point que certains en sont venus à se demander si le PJD n’était pas devenu une force d’opposition !
Et force est de reconnaître que l’attaque a porté ses premiers fruits puisque le RNI et ses ministres ont clairement manifesté leur ire en s’essayant à un boycott, non officiel mais bien réel, en deux occasions au moins, le conseil de gouvernement qui a suivi les propos de Benkirane et la réunion de «sauvetage» de Jerada, tenue par le chef du gouvernement à Oujda, le week-end dernier.
Et si le RNI a choisi de calmer le jeu en niant ce boycott, si le parti de M. Akhannouch a bien pris soin de refuser d’entrer dans une polémique stérile contre l’ex-Secrétaire général du PJD, l’existence d’un malaise entre plusieurs des composantes de la coalition majoritaire est désormais avérée.
Akhannouch, «piano ma certo»
Bien évidemment, c’est M. Saad Eddine El Othmani qui est le plus affecté par ces diatribes ciblées de son principal challenger au sein du PJD.
D’abord parce que M. Benkirane rompt délibérément toutes les règles partisanes internes, qui obligent les membres d’une formation politique à suivre fidèlement les orientations décidées par la direction du parti.
Ensuite parce que le secrétaire général du PJD, bousculé en interne, a l’obligation de gérer le mécontentement généré au sein de ses alliés gouvernementaux par les sorties de Benkirane, ce qui, peu ou prou, affaiblit réellement sa position de chef de la coalition et du gouvernement car il ne peut, ouvertement, ni se désolidariser de Benkirane, ni condamner ses attaques contre le RNI.
En face, dans le camp des libéraux-modernistes, tandis qu’on observe une structuration à marche forcée du RNI, qui constitue désormais le noyau dur de la coalition anti-passéiste, la dernière provocation de M. Abdelilah Benkirane est mise à profit pour étudier les scenarii et les stratégies qui, à plus ou moins brève échéance, pourraient se traduire par l’implosion de la coalition majoritaire actuelle.
Akhannouch et ses amis du Rassemblement National des indépendants, qui ne se font aucune illusion sans doute sur la pérennité de cette alliance conjoncturelle et opportuniste avec le PJD, préparent le terrain pour l’affirmation plus évidente d’une nouvelle dimension de leur formation.
Celle d’un parti appelé à diriger une coalition parlementaire et gouvernementale, doté des programmes et des stratégies (Emploi, Éducation, Santé), à même de répondre aux attentes d’un électorat qui pourrait être sollicité bien avant le terme légal de l’actuelle législature…
Voilà ce qui se profile peut-être à l’horizon et qui pourrait être porteur d’une nouvelle crise au sein de la majorité, laquelle, comme chacun sait, représente «l’alliance de la carpe et du lapin» !
In fine, c’est tout bénéfice pour le RNI et ses alliés mineurs, (USFP, UC), car ce parti prend de l’envergure avec les attaques ad hominem de M. Abdelilah Benkirane.
En outre, les dissensions internes du PJD sont du pain béni pour tous ceux qui comprennent que l’affrontement électoral prochain, lorsqu’il se produira, aura pour principaux protagonistes, le PJD et le RNI.
Le travail de déstabilisation interne de M. Benkirane ne fera que profiter aux adversaires du PJD.
Cet affrontement est, incontestablement, inéluctable. La seule inconnue est celle de sa survenance !
Fahd YATA