Dans mon article précédent, nous avons vu comment des personnes handicapés physiques peuvent retrouver plus facilement leur autonomie grâce à la technologie bionique. Cette dernière, devenue aujourd’hui plus accessible, est en train de modifier radicalement notre regard sur cette partie de la population longtemps délaissée ou ignorée. Dans cet article, nous allons voir, à travers trois histoires extraordinaires, que la « réparation » des personnes handicapées n’est pas simplement physique, mais qu’elle est aussi et surtout psychologique.
1) Adrianne Haslet-Davis, la danseuse qui refusa de céder face au terrorisme
Le 15 avril 2013, aux États-Unis, deux bombes explosent à 13 secondes d’intervalle tuant trois personnes et blessant 264 autres. C’est un attentat terroriste commis par deux extrémistes islamistes qui ont placé leurs bombes près de la ligne d’arrivée du Marathon de Boston, l’un des plus vieux et prestigieux marathons du monde.
Adrianne Haslet-Davis, une jeune canadienne professeure de danse, était dans le public au moment des explosions. Grièvement blessée, les médecins chirurgiens qui la prennent en charge n’ont d’autre choix pour la sauver que de lui amputer sa jambe.
Pendant son séjour à l’hôpital, elle réalise qu’elle ne peut «vivre sans danser». A sa sortie, elle annonce haut et fort qu’elle est déterminée à remonter sur scène pour danser malgré son handicap. Elle exprime aussi son désir de courir le marathon de Boston lors de sa prochaine édition en soutien aux autres victimes de l’attentat et pour montrer sa détermination à ne pas céder face au terrorisme.
Le professeur Hugh Herr du M.I.T (Massasuchets Institute of Technologies), spécialisé en biomécatronique (recherche associant la biomécanique, les techniques médicales et la robotique) est touché par la volonté et le courage de cette jeune femme. Il décide de lui fabriquer une jambe bionique à la pointe de la technologie qui va lui permettre de danser à nouveau.
Avec son équipe de chercheurs, il vont étudier scientifiquement, pendant plus de 200 jours, l’art de la danse:
- Enregistrement des pas de danseurs professionnels grâce à la technique de « Motion Capture »;
- Calcul des différentes forces et pressions exercées par les jambes sur le sol;
- Récolte des données et intégration de celles-ci dans un système bionique.
Grâce à ces recherches, Hugh Herr réussit à fabriquer une prothèse bionique parfaitement adaptée à la danse: Adrianna l’essaye et le résultat est spectaculaire: elle peut enfin danser à nouveau!
En mars 2014, lors d’une conférence qu’il donne à Tedx de Vancouver, le professeur Hugh Herr l’invite à danser en public pour la première fois depuis l’attentat. Sa prestation émeut tout le public présent ainsi que le monde entier grâce à sa diffusion quelques jours plus tard sur la plateforme Youtube dont voici un extrait vidéo:
Adrianne Haslet-Davis peut désormais donner des cours de danse à ses élèves, comme avant. L’association harmonieuse entre la technologie bionique mise au point par Hugg Herr et la détermination d’Adrianna a tellement bien fonctionné qu’il est aujourd’hui presque impossible pour un spectateur de deviner que cette dernière danse avec une jambe artificielle en silicone. Jugez-en vous-même en regardant cette vidéo.
2) Nicolas Huchet, l’homme qui fabriqua sa propre main bionique
Nicolas Huchet est un jeune technicien du son qui a perdu sa main dans un accident de travail en avril 2002, à Rennes en France. Pendant 10 ans, il utilisa une prothèse rudimentaire ayant très peu de fonctionnalités et lui causant de nombreux soucis à cause des failles mécaniques à répétition.
N’ayant pas les moyens financiers de s’acheter une main bionique performante, il effectue des recherches régulières sur Internet pour voir s’il n’existerait pas de solution alternative à son problème. C’est ainsi qu’il découvre, en 2012, le Labfab (atelier de fabrication numérique) de sa ville à Rennes et sa communauté de « Makers ». Il prend alors conscience de l’énorme potentiel et des formidables possibilités que permet cet environnement de travail au fonctionnement très collaboratif et aux outils technologiques ouverts à tous (Imprimantes 3D, logiciels open source comme Arduino, etc).
En février 2013, il crée Bionico, un projet open source qui a pour mission de fabriquer à bas coûts des prothèses bioniques destinés en priorité aux handicapés des pays en voie de développement.
Le projet remporte un franc succès auprès du public et des médias puisque Nicolas réussit à prouver au monde entier qu’une personne handicapée pouvait, sans aucune connaissance ou expertise dans le milieu des prothèses myoélectriques, fabriquer sa propre main bionique fonctionnelle à moins de 1000 euros.
Pour y arriver, Nicolas a dû simplement dessiner son modèle sur ordinateur et l’imprimer ensuite en 3D. En rajoutant des capteurs sur son bras et en y intégrant le concept open source Inmoov, il peut contracter les muscles de son bras pour actionner sa main robotique.
Grâce à son projet, Nicolas Huchet a remporté le premier prix de Innovators Under 35, concours organisé par le célèbre magazine américain MIT Technology Review. Rappellons que les trophées du MIT Technology Review sont connus pour avoir récompensé certains leaders américains reconnus de la high-tech, dont Sergey Brin, de Google, et Mark Zuckerberg, de Facebook.
Aujourd’hui, Nicolas est sollicité de partout et participe à de nombreux événements et projets. Son projet Bionico inspire de plus en plus et partout dans le monde, différentes personnes, ONG et autres associations désirant s’engager pour créer des prothèses en mode collaboratif et open source. Les britanniques de chez Open Bionics en sont un parfait exemple.
Cette vidéo résume l’histoire hors du commun de ce jeune français qui a su utiliser son handicap comme force génératrice d’espoir et d’optimisme, partout dans le monde.
3) Beltold Meyer, le professeur en psychologie qui réveille les consciences
Belton Meyer est né sans bras gauche. Pendant toute son enfance et sa jeunesse, il se sent différent et est souvent rejeté par les autres à cause de son handicap. Il décide de faire des études en psychologie et en sociologie pour comprendre. Il deviendra plus tard professeur de psychologie sociale à l’Université de Leibzig en Allemagne.
En 2010, il bénéficie du bras robotique I-limb, formidable innovation de Touch Bionics, société écossaise leader dans le domaine des prothèses bioniques. Du jour au lendemain, son rapport aux autres change et il remarque qu’il n’est plus vu comme une personne handicapée mais comme un homme cyborg qui suscite curiosité et émerveillement.
Les médias en font dès lors l’un des nouveaux visages de l’homme bionique moderne. S’enchainent alors interviews pour les chaines de télévision, articles dans les journaux et un reportage Arte (lien vidéo ici) lui est même consacré.
Bertold Meyer raconte dans cet extrait comment le regard des gens a radicalement changé à son égard depuis qu’il porte cette prothèse bionique.
A travers ce qu’il a vécu et ressenti tout au long de sa vie, ce professeur en psychologie est aujourd’hui l’une des personnes les mieux placés pour réfléchir et travailler sur le rôle de la technologie bionique dans la « réparation mentale » des handicapés. Il consacre une grande partie de son temps à sensibiliser les gens sur l’importance du regard que l’on porte sur ces derniers et dont la population mondiale est estimée à 11, 4 millions de personnes. Il aide aussi les chercheurs à fabriquer des technologies bioniques innovantes qui soient utiles au plus grand nombre.
La bionique, espoir réel pour les handicapés.
A travers ces trois destins différents, nous comprenons à quel point la technologie bionique peut aider l’humain diminué à retrouver sa confiance et son équilibre mental. Adrianne, Nicolas et Bertold nous ont montré que les personnes handicapées physiques font souvent preuve d’une grande détermination simplement pour pouvoir être acceptés et reconnus socialement par les autres.
La démocratisation de la technologie bionique open source et collaborative devrait normalement profiter au plus grand nombre dans les prochaines années. Cela permettra aussi de changer à jamais le regard que l’on portait sur eux :
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Omar Amrani.