Facebook a décidé de limiter les possibilités de faire certaines recherches poussées sur la plateforme © AFP/Archives Lionel BONAVENTURE
Critiqué pour sa gestion des données personnelles de ses usagers, Facebook a décidé de limiter les possibilités de faire certaines recherches poussées sur la plateforme. Mais cette décision fait aussi des mécontents: les journalistes et ONG qui se servaient de cet outil pour enquêter.
Le réseau social a annoncé cette semaine suspendre certaines fonctions de son moteur de recherche « Graph Search », qui permet par exemple à un utilisateur de savoir qui dans sa liste d’amis est amateur de tel groupe de musique ou vit dans telle ville.
Même s’il ne permettait d’accéder qu’à des données publiques librement divulguées par les utilisateurs, cet outil avait dès son lancement en 2013 été très critiqué.
Dans sa version avancée, il permettait en effet d’accéder facilement à une multitude de données et de contenus sur les usagers (« likes », commentaires, etc), laissant la porte ouverte à des abus, notamment au « stalking », le fait de traquer des gens pour les surveiller.
Même si ces fonctionnalités restaient largement méconnues du grand public, des sites avaient fleuri aux quatre coins d’internet pour exploiter facilement le « Graph Search » de Facebook.
L’un d’entre eux, stalkscan.com, indique sur sa page d’accueil que depuis le 6 juin, on ne peut plus y chercher photos, posts ou « likes » que sur son propre profil, en raison des changements opérés par Facebook.
– « Fact-checkers » –
Même chose pour peoplefindthor.dk, qui permettait de rechercher des profils selon l’âge, l’emploi, les idées politiques… et qui est désormais « indisponible ».
Mais si les défenseurs de la vie privée peuvent saluer la décision de Facebook, elle lui vaut aussi de nouvelles salves de critiques venant de journalistes, de militants des droits humains et autres chercheurs qui se servaient de ces outils pour repérer des criminels de guerre ou des personnes se livrant à la traite d’êtres humains.
Ironie du sort, alors que le réseau social est vilipendé pour sa gestion jugée laxiste et opaque des données personnelles de ses usagers, le site stalkscan.com lui reproche d’avoir rendu « +Graph Search+ moins transparent »…
« Nous avons mis en pause certains aspects de +Graph Search+ en fin de semaine dernière (…) et nous discutons avec les chercheurs pour en savoir plus sur la façon dont ils utilisaient cet outil », a indiqué Facebook dans un courriel à l’AFP.
Autre paradoxe, ces instruments étaient utiles aux « fact-checkers » externes –dont l’AFP fait partie- ayant noué un partenariat avec Facebook. Le réseau social a fait de « la vérification des faits » un axe majeur de lutte contre les infox et manipulations qui pullulent sur sa plateforme.
Ces limitations rendent plus difficile la recherche de publications sur des sujets allant des crimes de guerre au mouvement anti-vaccins, explique Jennifer Grygiel, spécialiste des réseaux sociaux à l’Université de Syracuse (est).
– Acrobatique –
« Ces changements compliquent beaucoup la possibilité d’enquêter sur les crimes de guerre » par exemple, abonde sur Twitter le journaliste Eliot Higgins, fondateur du groupe d’investigation Bellingcat.
Cela limite aussi les possibilités pour les chercheurs d’enquêter sur Facebook lui-même et ses tentatives de filtrer les contenus haineux ou racistes, pointe Mme Grygiel.
« Des chercheurs comme moi s’en servaient pour montrer combien Facebook est mauvais en termes de modération de contenus », dit-elle.
« Graph Search » permettait aussi de mesurer l’ampleur des informations accumulées par le réseau social.
Il « était utilisé à la fois de façon abusive mais aussi de façon légitime », résume pour sa part Adi Kamdar, de la Columbia University à New York, qui voit dans la décision du réseau social « une obstruction ».
« La recherche et le journalisme dans le domaine du numérique servent l’intérêt général en aidant le public à mieux comprendre les réseaux sociaux », insiste Adi Kamdar.
Inquiétude aussi pour le journaliste d’investigation Michael Hayden, du Southern Poverty Law Center, un centre de réflexion qui surveille les activités des groupes extrémistes.
« Le plus grand danger serait que ces changements leur permettent de s’organiser en secret sur la plateforme (…), surtout ceux qui organisent des actions violentes ou terroristes », dit-il.
« Tout outil permettant de réunir des données peut être utilisé à des fins positives aussi bien que malveillantes », explique Casey Fiesler, enseignante à l’Université du Colorado, résumant bien la position très acrobatique de Facebook sur ce sujet.
L’universitaire ajoute qu’elle préférerait que Facebook permette certaines recherches légitimes de données « plutôt que de tout fermer ».
LNT avec AFP