
Crédit photos : Fahd Yata
L’arrivée de M. Donald Trump à la Maison Blanche est certainement l’événement le plus déroutant que l’on ait connu depuis l’effondrement du Mur de Berlin !
En effet, cet homme, aujourd’hui président de la première puissance mondiale, ne respecte aucun des codes habituels que sa fonction suprême lui commande, affirme des idées qui sont très souvent en rupture avec la ligne traditionnelle de la politique américaine, soit-elle intérieure ou internationale, n’hésite pas à interpeller, attaquer et vilipender ses adversaires de la manière la plus crue qu’il soit.
Bref, en un mot comme en mille, Trump est différent de tous ses prédécesseurs, du moins ceux qui ont marqué l’histoire du monde et des Etats-Unis au cours des cinquante dernières années !
Tout a déjà été dit ou écrit sur son parcours, ses divorces, ses faillites et ses réussites, son caractère trempé, ses idées passablement réactionnaires, son sexisme, souvent teinté de vulgarité.
Tout a été dit également sur les conditions de son élection, son parcours électoral atypique, ses soutiens populaires, notamment chez les plus pauvres de la population blanche américaine.
Mais, quelques semaines après sa prestation de serment qui n’a ressemblé à nulle autre auparavant, la question qui se pose est de savoir si le nouveau président des Etats-Unis d’Amérique a réellement impacté le quotidien des Américains, sachant qu’au niveau international, il donne déjà des migraines impossibles à nombre de chefs d’Etat et de gouvernements, occidentaux essentiellement !
Welcome ? Pas si sûr…
Premier constat pour celui qui débarque à JFK (prononcez « geai » et non « ji », n’est-ce pas Gad ?), muni d’un beau passeport vert aux armoiries du Royaume du Maroc, les formalités d’entrées ne sont jusqu’à présent pas différentes de celles qui prévalaient du temps de Barack Obama.
L’Immigration Officer est poli, strict et rapide dès lors que votre nom ne figure pas sur les listings informatisés des personnes recherchées par le FBI ou que vos dires sont conformes aux stipulations de votre visa !
C’est donc que l’impact des propos et des menaces de Donald Trump sur l’interdiction de séjour des Musulmans et des Arabes en Amérique n’a point eu d’effet, notamment parce que deux cours fédérales ont annulé son premier et si décrié décret présidentiel qui mettait sur une liste noire les ressortissants de plusieurs Etats de la sphère arabo-musulmane, y compris ceux qui avaient déjà touts les documents légaux pour entrer aux Etats-Unis !
Mais, à discuter avec les représentants des communautés minoritaires et même ceux qui disposent de la nationalité américaine, on sent poindre une inquiétude réelle, tant sont affirmées des idées radicales d’expulsion, (en anglais, c’est un mot de sinistre mémoire « deportation…), de millions d’individus que Trump veut présenter soit en terroristes virtuels, soit en immigrants clandestins qui « volent le pain et le travail des Américains »…
Mexicanos, go home
Et il est vrai que cette inquiétude se justifie pleinement lorsqu’on mesure l’importance de l’immigration, clandestine ou non, pour l’économie américaine, la pérennité de l’emploi et de certaines activités et autres professions.
Il y actuellement plus de 11 millions de personnes qui vivent aux Etats-Unis sans statut légal définitif. Plus de 64 % d’entre elles sont de nationalité mexicaine et vivent désormais sous la menace permanente d’une reconduite à la frontière, même celles dont les enfants sont régulièrement scolarisés, qui travaillent ou dont les formalités de légalisation de leur séjour sont en cours !
Sur les 11 millions d’immigrants en situation irrégulière, près de 9 millions disposent d’un emploi permanent, ce qui veut dire qu’ils sont des contributeurs directs et indispensables à la bonne marche de l’économie américaine.
En effet, le salaire minimum légal varie fortement aux Etats-Unis, dans une fourchette allant de 7, 25 dollars à 15 dollars de l’heure selon les villes et les Etats.
Mais, objectivement, la faiblesse de cette rémunération horaire, qui arrange les employeurs, est corrélée à la forte demande d’emplois émanant des travailleurs clandestins dans des secteurs où la main d’œuvre blanche américaine est quasiment absente aujourd’hui, comme les services, la restauration, les travaux domestiques, les transports, la construction et les travaux publics, etc.
Donald Trump, en cherchant à satisfaire une partie de son électorat « petit blanc », en faisant pression pour le rapatriement sur le territoire américain d’entreprises délocalisées, notamment au Mexique, tient un discours populiste et démagogique fortement déconnecté des réalités économiques de son pays.
Sans une main d’œuvre taillable et corvéable à merci, sans des salaires horaires des plus chiches, sans cette « souplesse » dans l’embauche et la débauche des salariés, la réactivité de la machine économique américaine ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui, ses coûts de production plus élevés, ses exportations moins faciles parce que plus chères, etc.
Et ce n’est pas parce que des jardiniers mexicains au noir dans les belles demeures de Beverly Hills, des saisonniers nicaraguayens dans les plantations de pommiers de l’Oregon ou des chauffeurs de taxis haïtiens de La Nouvelle Orléans seront privés de leur gagne-pain et expulsés comme de vulgaires criminels que de nouveaux emplois seront créés dans l’industrie automobile à Detroit ou les mines de charbon du Wyoming !
Cette sourde inquiétude qui prévaut et qui mobilise d’ailleurs de plus en plus de citoyens américains contre l’Administration Trump, promet, dès aujourd’hui, une belle raclée électorale aux Républicains lors des prochaines élections législatives à mi-mandat (midterm) en novembre 2018.
Le come back des néo
Mais les minorités, les femmes, les transgenres (qui ne peuvent plus choisir désormais leurs toilettes !), ne sont pas les seuls à vitupérer contre Donald Trump et ses conseillers, du moins ceux qui ne sont pas, comme Michael Flynn, éphémère conseiller à la sécurité nationale, pris en flagrant délit de mensonge à propos de ses contacts avec l’Ambassadeur de Russie !
Une nouvelle catégorie d’électeurs-citoyens a commencé à se mobiliser et à protester, alors que son poids dans la vie politique et médiatique américaine est très conséquent et qu’aucun président américain n’a osé défier à ce jour.
Il s’agit de la communauté juive, laquelle a majoritairement soutenu Trump lors des élections présidentielles grâce aux promesses du candidat républicain de déplacer l’ambassade US de Tel-Aviv à Jérusalem, mais aussi de fermer les yeux sur toutes les implantations de colons israéliens dans les territoires palestiniens et à Al Qods même.
En effet, avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, l’extrême-droite, personnifiée dans le Bureau Ovale par le conseiller Steve Bannon, directeur du site d’information Breitbart News, a fortement relevé la tête, proclamé son soutien au nouveau président, mais surtout, relancé des campagnes antisémites un peu partout dans le pays.
Du Tea Party aux Minutemen, en passant par les excités du Ku Klux Klan, sans oublier les « milices patriotes » et autres cercles ultraréactionnaires, toute une constellation proche des idéaux fascistes et nazis s’est réveillée et avec elle, des pratiques et comportements qui donnent à croire à la communauté juive qu’elle est aujourd’hui en situation de dangerosité.
En effet, plusieurs de ses établissement et institutions ont été victimes ces dernières semaines de canulars malveillants (fausses alertes à la bombe, messages de menaces, etc.), tandis que des cimetières juifs étaient profanés, le premier à University City, près de Saint Louis, le 18 février dernier et le second, encore plus massivement, le 26 février à Philadelphie.
Pour nombre d’Américains, cette flambée d’actes et de proclamations antisémites est la conséquence directe de l’arrivée à Washington d’un président ouvertement réactionnaire, digne successeur des Dick Cheney et autres Paul Wolfowitz ou Richard Perle, et qui accueille parmi ses plus proches collaborateurs des néo-nazis avérés.
Quand on connaît l’influence du lobby juif aux Etats-Unis, tant dans les couloirs du Capitole que dans les salles de rédactions, on peut imaginer que Donald Trump pourrait en payer le prix, notamment en termes de mobilisation médiatique contre lui.
« Front page and breaking news »
Une mobilisation qui est déjà opérationnelle au demeurant et c’est ce que constate tout nouvel arrivant dans la patrie de George Washington. En effet, depuis le soir même de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, M. Donald Trump tient la tête de l’actualité.
Quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, breaking news sur breaking news se succèdent à un rythme élevé, sur toutes les chaînes TV, à commencer par CNN, bannie désormais des briefings presse de la Maison Blanche avec le New York Times.
La presse écrite n’est pas en reste, et le président américain fait quasiment la Une chaque jour des plus grands titres nationaux, comme le quotidien new-yorkais cité plus haut, USA Today, le Washington Post, ou encore le Los Angeles Times ou le Boston Globe.
La presse régionale lui emboîte le pas et à La Nouvelle Orléans, célèbre pour son carnaval dans le Vieux Carré, ses beignets au Café du Monde, sa croisière sur le Mississipi à bord du steamer Natchez et son plus fort taux de criminalité à l’échelon national, même le Times-Picayune préfère ouvrir sur Trump que sur les effets de la récente tornade qui, tout récemment encore, a rappelé aux habitants des quartiers défavorisés, les terribles moments de Katrina en 2005…
Une constance dans la ligne éditoriale de tous ces titres et chaînes de télévision, la critique systématique des décisions ou paroles du président des Etats-Unis, l’analyse et le commentaire permanents de l’actualité vue uniquement sous le prisme Trump, la prévision systématique de catastrophes à venir sous son mandat présidentiel.
Aussi n’est-il pas incident de remarquer que moins de deux mois à peine après sa prise de fonction, éditorialistes mais aussi hommes politiques (du parti démocrates il est vrai), vedettes d’Hollywood ou simples citoyens (sur les réseaux sociaux), en viennent déjà à parler d’impeachment, c’est-à-dire de destitution par le Congrès, ce que Nixon puis Bill Clinton furent à deux doigts de subir, mais plusieurs années après le début de leurs mandats respectifs (Cf. le Watergate et les cigares de Monica Lewinsky…).
Paradoxes et paradigmes
Au terme donc « d’une virée en Amérique », en plusieurs de ses grandes villes, on constate que le pays n’a point vraiment changé, si l’on se réfère à l’obésité incroyable des Américains(nes), devenue quasiment La maladie la plus répandue et la plus visible en ce pays. De même, c’est toujours le même constat du triste état des infrastructures publiques, autoroutes, échangeurs, avenues et autres rues de New York, Boston, Washington ou La Nouvelle Orléans où, d’ailleurs, les dégâts de Katrina sont encore visibles douze ans après cette catastrophe.
Partout, dans ces grandes villes, les sans-abri sont présents, y compris sur le trottoir opposé à la fameuse Trump Tower, sur la célèbre 5è avenue de New York.
En ce début de février, glacial, on pouvait y voir, tout près de la boutique du joaillier Bulgari, des sacs de couchage abritant de pauvres hères, allongés à même le sol par moins cinq degrés, sous le regard impassibles des hommes du SWAT du NYPD en charge de sécuriser la résidence habituelle de la famille du président des Etats-Unis…
Pays de paradoxes et de contrastes, l’Amérique reste elle-même, attrayante attractive et parfois effrayante ou décevante.
Mais on peut penser qu’un nouveau paradigme s’installe du fait même de la présidence de Donald Trump, celui d’une montée en puissance progressive de mouvements sociaux protestataires qui, initiés le jour même de son entrée en fonction, iront grandissant au fil des actions, décisions et paroles du locataire de la Maison Blanche.
L’Amérique silencieuse, celle qui n’a pas voté et l’Amérique démocrate, qui n’a pas choisi Trump, pourraient alors s’allier à ceux qui ont cru en ses promesses et ses outrances et qui ont donc très vite commencé à déchanter.
Car, in fine, on ne dirige pas le plus puissant Etat au monde comme on construit un golf ou une tour d’habitation pour milliardaires…
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DNES aux Etats-Unis, Fahd YATA