Docteure Najia Bellekhal
Une armée blanche ! C’est ainsi qu’on peut qualifier le corps soignant marocain dès le début de la première vague du Covid-19. Médecins, infirmières et infirmiers, autres agents de service… tous étaient sur le front. Chaque jour, ils se sont battus contre la Covid-19 pour sauver des vies, et ceci, en dépit des conditions de travail et des moyens. Le mot d’ordre était la mobilisation tous azimuts. La Docteure Najia Bellekhal faisait justement partie de cette armée blanche anti Covid-19. Dans l’entretien qui suit, elle nous raconte son baptême du feu, les gardes à rallonge, la débrouille, la souffrance et la détresse des patients. Une expérience qu’elle qualifie d’inédite et d’exceptionnelle, qui l’a fortement marquée.
La Nouvelle Tribune : Quelles sont vos qualités et responsabilités ?
Dr Najia Bellekhal : Je suis pneumophtisiologue de spécialité. Je suis responsable du programme régional de lutte antituberculeuse au sein du département ‘‘Santé Publique’’ de la Direction Régionale du ministère de la Santé de Casa-Settat. Durant la période pandémique liée au Covid-19, j’ai été chargée d’assurer la coordination entre la polyclinique Ziraoui et la Direction Régionale de la Santé. Au niveau de cet établissement hospitalier, j’ai été également responsable du staff médical en charge des patients Covid-19. C’était une sorte de partenariat entre la Direction régionale de la Santé et la Polyclinique Ziraoui qui nous a confié les locaux et le personnel. De notre côté, nous devions nous occuper de la partie prise en charge des patients de la région Casa-Settat. On devait s’occuper de tout ce qui est matériel et consommables et de tout ce qui concerne la prise en charge d’un patient Covid-19. En plus du personnel paramédical de la polyclinique, il y avait aussi des médecins volontaires et une trentaine de réanimateurs du privé qui devaient assurer chacun une garde de 12 heures. La garde de la nuit a été assurée par des résidents du CHU. Bref, on avait une équipe complète pour mener à bien notre mission.
Personnellement, comment vous avez vécu cette expérience ?
J’aimerais d’abord préciser que la polyclinique Ziraoui a été consacrée exclusivement aux cas critiques et aux cas nécessitant des soins intensifs et la réanimation. A un certain moment, nous avons été au complet, aussi bien dans le public que le privé. Après la première vague, qui a duré entre le mois de mars et les mois de mai et juin, nous avons par la suite des moments très difficiles. En effet, quelques semaines seulement après la baisse des cas positifs de la première vague, la deuxième vague,, déclenchée après la période estivale, a mis à mal tout le système sanitaire du pays.
Pendant cette période, nous avons vécu des moments très difficiles avec les patients et leurs familles. Chaque cas de Covid-19 présentait une particularité. On devait vraiment gérer cas par cas. La Covid-19 n’est pas une pathologie où l’on peut avoir un pronostic pour le malade. Par exemple, il y avait parfois des décès pour cause d’arrêt cardiaque suite à une embolie pulmonaire. On ne pouvait pas prétendre que le cas de tel ou tel patient pouvait s’améliorer en un jour, deux jours ou trois jours ou encore un mois. Personnellement, je devais étudier les cas nécessitants ou non l’hospitalisation. En concertation avec un médecin de la Direction régionale de la Santé Casa-Settat, je pouvais donner le ok pour l’hospitalisation. On devait recevoir les patients des autres provinces et préfectures dont les centres hospitaliers ne disposaient pas de service de réanimation, notamment Berrechid, Mediouna, Ben M’sick… On devait soigner tout patient dont le cas se compliquait et s’aggravait. On devait le prendre en charge.
Avez-vous rencontré des cas qui vous ont fortement marqué?
En réalité, nous avons vécu des moments de grande joie et de satisfaction, mais aussi, nous avons vécu malheureusement des moments de grande déception. Il y a eu en effet des cas de guérison et des cas de décès. On a eu, par exemple, le cas d’un malade intubé et nous l’avons extubé sans recours à l’oxygène. Ce fut pour nous un vrai moment de joie. Ce fut le premier cas qui a survécu après l’intubation. Car pour nous, un cas intubé était synonyme de décès. Le cas de ce patient qui a séjourné 45 jours à la polyclinique Ziraoui nous a fortement marqués. Mais en même temps, nous avons vécu des moments douloureux et de grande déception.
Durant cette rude épreuve, comment évaluez-vous la contribution de la femme médecin marocaine ?
Personnellement, mes trois numéros de téléphone ne s’arrêtaient pas de sonner. Je travaillais à plein temps. Chaque jour, je commençais vers 8h et je rentrais chez moi vers 21h. Comme vous le savez, une femme, quelles que soient ses responsabilités professionnelles, ne peut pas abdiquer son rôle de mère et d’épouse. En ce sens, je pense que mon cas est représentatif de toutes ces femmes soignantes engagées dans cette bataille contre la Covid-19 avec un calendrier très chargé auquel nous avons fini par nous habituer au fil du temps. Mais ce qui nous soulageait le plus, c’est quand on voyait des patients sortir de l’hôpital. On ressentait un grand soulagement. Au fond de nous et avec le temps, nous avions la grande ambition de guérir tous les patients.
Que pouvez-vous nous dire sur la situation actuelle des hôpitaux de Casablanca ?
Aujourd’hui à Casablanca, les hôpitaux sont soulagés. Ils sont même aptes à reprendre leurs activités normales. A ce jour, il n’y a que les hôpitaux Moulay Youssef, Abouwafi d’Al Fida et de celui de campagne qui sont toujours dédiés au Covid. Les autres établissements ont repris leurs activités normales. Dieu merci, la situation est actuellement calme et ce n’est plus comme avant. Loin de là. Un mot de conclusion ? La crise sanitaire liée à la Covid-19 a été une épreuve très dure. En ce qui me concerne, je n’arrive toujours pas à oublier mes collègues et mes maîtres victimes de cette pandémie, notamment mon rapporteur de thèse, feu le Dr Moumen ou encore le défunt Dr Baäid, DG de l’hôpital Mohamed V de Hay Mohammedi et bien d’autres. Allah Yerhamhoum. Cette crise est venue justement nous démontrer que la vie ne tient à rien. Mon grand souhait à l’occasion du 8 mars est que cette pandémie disparaisse et qu’on puisse reprendre notre vie comme avant. On vivait un bonheur, mais apparemment on ne l’appréciait pas à sa juste valeur.
Entretien réalisé par Hassan Zaatit