Dans son discours du Trône du 30 juillet 2022, le Souverain a été clair. Au sujet de la Justice de la Famille, il a bien voulu démontrer à quel point la réforme est, aujourd’hui plus que jamais, une urgence absolue. La question de la parité vient en premier lieu dans son discours : « Depuis Notre Accession au Trône, Nous avons veillé à la promotion de la condition de la femme, en lui offrant toutes les possibilités d’épanouissement et en lui accordant la place qui lui revient de droit. Ainsi, parmi les réformes majeures engagées sous Notre impulsion, figurent la promulgation du Code de la Famille et l’adoption de la Constitution de 2011 qui consacre l’égalité homme-femme en droits et en obligations et, par conséquent, érige le principe de parité en objectif que l’Etat doit chercher à atteindre. L’esprit de la réforme ne consiste pas à octroyer à la femme des privilèges gracieux, mais, bien plus précisément à lui assurer la pleine jouissance des droits légitimes que lui confère la Loi. Dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est en effet plus possible qu’elle en soit privée », a dit le Roi Mohammed VI. Et d’insister sur l’importance de l’opérationnalisation des institutions constitutionnelles concernées par les droits de la Famille et de la femme : « Nous demandons que soient mis à jour les dispositifs et les législations nationales dédiés à la promotion de ces droits ». Dans le même sens, le Souverain a poursuivi : « Dans un premier temps, le Code de la Famille a représenté un véritable bond en avant ; désormais il ne suffit plus en tant que tel. L’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés ». S’agit-il là d’un appel à l’Ijtihad ? Certainement.
Il est important de constater que derrière cet appel, le Souverain est catégorique sur un point particulier : « En qualité d’Amir Al-Mouminine, et comme Je l’ai affirmé en 2003 dans le Discours de présentation du Code devant le Parlement, Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels. A cet égard, Nous nous attachons à ce que cet élan réformateur soit mené en parfaite concordance avec les desseins ultimes de la Loi islamique (Charia) et les spécificités de la société marocaine. Nous veillons aussi à ce qu’il soit empreint de modération, d’ouverture d’esprit dans l’interprétation des textes, de volonté de concertation et de dialogue, et qu’il puisse compter sur le concours de l’ensemble des institutions et des acteurs concernés ». Un avant-goût de ce que le débat devrait être. Un débat dans le cadre de la paix sociale, loin des confrontations entre progressistes et conservateurs, le plus souvent inutiles et stériles, n’amenant nulle part.
Sur un autre registre, le Souverain insiste dans son discours sur le volet culturel en rapport direct avec les mentalités : « Au nombre de ces écueils, figure l’application incorrecte du Code en raison de divers facteurs sociologiques. L’un d’eux tient notamment à la propension tenace d’une catégorie de fonctionnaires et d’hommes de justice à considérer que le Code est réservé aux femmes. La réalité est autre : le Code n’est spécifique ni aux hommes, ni aux femmes, il est dédié à la famille entière. Fondé sur la notion d’équilibre, il donne aux hommes et aux femmes les droits qui leur échoient respectivement et il tient compte de l’intérêt des enfants. Aussi, Nous soulignons la nécessité que tous, unanimement, s’attachent à l’application pleine et judicieuse des dispositions légales du Code. Il convient aussi de dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l’expérience menée sur le terrain et, le cas échéant, de refondre certaines dispositions qui ont été détournées de leur destination première ». Et voilà, la boucle est bouclée. En effet et de l’avis de beaucoup, les contraintes qui se dressent devant l’application correcte des dispositions de la Moudawana au niveau judiciaire sont notamment d’ordre matériel, organisationnel et humain, d’un côté, et économique, social et culturel, de l’autre. Ces contraintes ont eu pour conséquence de limiter l’efficacité de plusieurs dispositions et nouveautés apportées par ce texte.
D’ailleurs, sur le terrain, la question de la parité continue d’animer le débat public. Il faut rappeler à ce niveau le débat sur les lois régissant l’héritage qui ronge depuis de longues années déjà les partisans des valeurs occidentales laïques et les conservateurs de tout bord. En effet, l’héritage, en tant que droit irréversible des héritiers, reste chez nous à l’origine d’un océan de problèmes et de litiges familiaux. La pratique ne cesse de démontrer d’ailleurs que dans la majorité des cas, l’héritage représente de loin la principale raison de l’éclatement familial, et la femme doit lutter pour bénéficier de son droit à l’héritage. Dans le monde rurale, l’injustice est encore plus flagrante. Les femmes y sont de loin les plus lésées. Les héritiers (frères, cousins, oncles, pères et autres grands-pères) sont les maîtres de céans. L’ignorance, la H’chouma, le patriarcat et autres critères traditionnels viennent amplifier cette injustice à l’égard des femmes.
Une autre problématique en rapport également avec la Moudawana et qui alimente le débat public, n’est autre que le mariage des filles mineures, une pratique toujours ancrée dans la société. Une bonne partie des acteurs de la société civile plaident pour la révision, voire l’annulation, de l’exception prévue dans les articles 20, 21 et 22 du Code de la Famille. Une exception devenue, au fil du temps, la règle, rappelant que la Moudawanna interdit le mariage des moins de 18 ans. Pour beaucoup, cette tradition sacrée dans certains patelins du pays, n’a plus de raison d’être aujourd’hui et ne peut être en conformité avec l’esprit de la Constitution de 2011, ainsi que les conventions internationales signées par le Maroc en la matière
En somme et en théorie, le mariage des mineurs est bien encadré mais en pratique celui-ci connaît des dérogations, violations et détournements de texte de lois. Ceci se passe beaucoup plus à la campagne qu’en ville. Ainsi, en 2018, sur 33.000 demandes de mariage d’un ou d’une mineure qui ont été soumises au juge, 26.000 ont été acceptées, soit un taux de 81%, selon les chiffres du ministère de la Justice, et 98% de ces demandes ont été formulées par des personnes en situation de chômage, dans le monde rural. Autrement dit, la problématique de fond reste la situation socio-économique toujours difficile des zones rurales marocaines. Une situation davantage compliquée en absence d’école et de l’accompagnement nécessaire de cette population marocaine à tous les niveaux…
Dans son discours, le Souverain revient à la charge : « Dans le même cadre, Nous appelons à ce que les tribunaux de la famille soient généralisés à l’échelle des régions du pays, qu’ils soient dotés de ressources humaines qualifiées et que leur soient affectés les moyens matériels nécessaires à l’accomplissement efficace de leur mission. Par ailleurs, rappelons une vérité essentielle : quand les femmes accèdent pleinement à leurs droits, elles ne portent aucun préjudice aux hommes, pas plus qu’elles ne se font tort. De fait, la condition sine qua non pour que le Maroc continue de progresser est qu’elles occupent la place qui leur échoit et qu’elles apportent leur concours efficient à toutes les filières de développement ».
Autrement dit, le feu vert est donné. Le débat est toujours permis, mais l’action est fortement préconisée.
Hassan Zaatit