L'icône de l'appli TikTok sur un écran de tablette, le 21 novembre 2019 à Paris © AFP/Archives Lionel BONAVENTURE
Danses, défis filmés ou conseils pour se maquiller: le réseau de partage de vidéos TikTok a conquis les adolescents du monde entier — non sans controverses autour de cette application d’un géant numérique chinois piloté par un ambitieux patron trentenaire.
Des chiffres vertigineux: quelque 500 millions d’utilisateurs actifs revendiqués, des Etats-Unis à l’Indonésie. La barre du milliard de téléchargements a été franchie en février 2019.
TikTok n’a pourtant été lancé qu’à l’automne 2017 par le groupe chinois ByteDance. Il s’agit de la version internationale de l’application Douyin (son nom en chinois), apparue dès 2016 en Chine.
Le concept est efficace: des vidéos brèves faisant la part belle aux sujets musicaux, filmées face caméra ou sous forme de chorégraphies sur le principe du karaoké ou du playback, aux scénarios déjantés et aux paris que se lancent des pré-adolescents devant leur smartphone.
C’est simple, créatif, ludique. Le moindre petit film peut être monté, filtré, augmenté, partagé, suivi, liké. Pour le regarder, il suffit de glisser le doigt de haut en bas. La célébrité est à portée de tous, des tubes sont nés à force d’être pris et repris comme fond musical, tel Old Town Road.
« Ce succès énorme et immédiat illustre la pertinence de sa stratégie ciblée sur les consommateurs », en l’occurrence des jeunes désireux de communiquer de façon « plus directe et expressive », observe Bo Ji, vice-doyen de l’Ecole de commerce Cheung Kong à Pékin.
Une recette semblable à celle de l’application de partage de musique Musical.ly, présente majoritairement aux États-Unis depuis 2014 et rachetée par TikTok en 2017 pour plus d’un milliard de dollars. La fusion a permis son décollage international.
De quoi faire de Zhang Yiming, fondateur de ByteDance en 2012 et aujourd’hui âgé de 36 ans, un multi-milliardaire et la figure phare d’une nouvelle génération d’entrepreneurs chinois.
Le trentenaire aux lunettes cerclées a intégré en 2019 le top 20 des hommes les plus riches de Chine avec une fortune de 13,5 milliards de dollars, selon le classement de référence Hurun.
« M. Zhang est un entrepreneur très inhabituel en Chine. Il a bâti quelque chose pour le monde entier. Il comprend les jeunes et leur psychologie », insiste M. Bo.
– Agrégateur d’infos –
« C’est d’abord un programmeur informatique », attaché au bon fonctionnement des produits « et bon connaisseur de la technologie », souligne Liu Xingliang, doyen du centre de recherche DCCI Internet Research Institute.
Douyin, version chinoise de TikTok, est numéro un dans le pays et avec quelque 400 millions d’usagers actifs selon le cabinet iResearch, elle a su attirer des célébrités.
Pour autant, le premier coup d’éclat du jeune Zhang Yiming a été « Jinri Toutiao » (« A la Une aujourd’hui »), un agrégateur d’articles d’informations devenu l’une des applications les plus populaires du pays.
En recourant à l’intelligence artificielle pour personnaliser, comme sur TikTok, les contenus proposés à chaque utilisateur, Toutiao « a changé les habitudes de lecture », observe M. Liu.
Un succès que ByteDance tente de répéter à l’international: outre l’agrégateur TopBuzz qu’il propose aux Etats-Unis, le Chinois a pris le contrôle en 2016 de l’agrégateur indonésien BaBe (plus de 30 millions de téléchargements depuis son lancement en 2013).
– Censure et cyber-sécurité –
Pour autant, ByteDance n’échappe pas au rigoureux encadrement d’internet par les autorités chinoises: Toutiao ayant été accusé de « diffuser des contenus pornographiques et vulgaires », le groupe a recruté 2.000 « censeurs » en janvier 2018.
Puis il a dû promettre de gonfler ses équipes de censeurs à 10.000 employés. Zhang Yiming avait alors déclaré être « dévoré par la culpabilité et le remord » pour avoir laissé les contenus incriminés se déverser en ligne.
Les controverses se multiplient aussi à l’étranger: TikTok a été interdit au Bangladesh et brièvement en Inde, où les autorités l’accusaient de propager des vidéos pornographiques.
TikTok a été condamné à une amende de 5,7 millions de dollars aux Etats-Unis pour avoir collecté illégalement des données personnelles de mineurs.
Plus périlleux: des sénateurs américains se sont inquiétés que le propriétaire de TikTok puisse être obligé « de coopérer avec les services de renseignement du Parti communiste chinois », mettant en danger « la sécurité nationale ».
Une agence fédérale américaine a ouvert une enquête de sécurité nationale sur l’application, dévoilait début novembre le New York Times.
Interrogé par l’AFP, TikTok avait alors rappelé que les données de ses serveurs hors de Chine n’étaient « pas soumises à la législation chinoise » — et il insiste volontiers « n’être influencé par aucun Etat, y compris la Chine ».
A voir. Une jeune femme, qui se présente comme une Américaine de religion musulmane, a dit avoir été bloquée par TikTok après avoir diffusé une vidéo virale dans laquelle elle dénonçait le traitement des musulmans ouïghours au Xinjiang (nord-ouest de la Chine), tout en feignant de donner des conseils pour se recourber les cils.
L’appli a démenti dans un premier temps cette accusation en assurant qu’elle n’intervenait pas sur les contenus « pour des raisons politiques ». Elle a finalement reconnu mercredi avoir suspendu « par erreur » la vidéo en question pendant 50 minutes et a présenté des excuses à la jeune femme.
Les déboires américains de l’appli ne surprennent pas Rui Ma, ex-investisseuse familière de la tech chinoise: « Les investissements étrangers aux Etats-Unis sont scrutés plus attentivement, surtout venant de Chine. TikTok, application ultra-téléchargée et prisée des célébrités, était une cible évidente ».
LNT avec Afp