Avec la grande réforme budgétaire lancée par l’Etat en 2015, il ne s’agissait pas d’économiser sur les dépenses et de rationaliser les recettes pour les pérenniser, mais de réformer la loi de finances, introduire la gouvernance budgétaire et digitaliser les process pour une rentabilité dans le temps et introduire la plus grande transparence.
De la réussite de tous les pans de cette réforme dépend l’impact des utilisations du budget public sur la croissance économique et inversement l’élasticité des recettes et des dépenses en fonction du taux de croissance.
Ce sujet, d’analyse macro-économique de grande importance pour le Maroc qui se modernise, a fait l’objet d’une intervention du Trésorier Général du Royaume lors d’un récent symposium international organisé par l’Université Hassan II de Casablanca.
M. Noureddine Bensouda y expliquait que « Les fonctions essentielles de l’Etat sont l’allocation des ressources (l’Etat intervient directement dans le processus de production des biens et services publics), la redistribution (l’Etat lutte contre les inégalités) et la stabilisation (l’Etat fait face aux effets des crises économiques) ».
Les bienfaits d’une bonne gouvernance
L’intervention de l’Etat dans l’économie est effectuée à travers plusieurs instruments.
Premièrement, le budget de l’État et les budgets des collectivités territoriales ont, bien sûr, une incidence directe sur le fonctionnement de l’économie, à travers leurs impacts sur les entreprises et les ménages.
De même que les dépenses publiques contribuent à l’activité des entreprises, au moyen de la commande publique et des subventions directes ou indirectes aux différents agents économiques.
Et même l’endettement public génère des revenus pour les créanciers de l’Etat (banques, sociétés d’assurances, organismes de placement en valeurs mobilières).
C’est pourquoi une bonne gouvernance des budgets de l’Etat et des collectivités territoriales, améliorerait leur impact sur l’économie.
Pour ce faire, la gouvernance budgétaire, est devenue le fer de lance de la réforme budgétaire par les différentes réformes lancées ces dernières années. Et tout particulièrement celle de la loi organique relative à la loi de finances, LOLF, qui permet de rendre visible et lisible le contenu des politiques publiques.
En effet, l’accent sur la gouvernance est clairement défini par l’article 39 de la LOLF. Celui-ci précise notamment que la LOLF doit consister en un programme lui-même basé sur un ensemble cohérent de projets ou actions relevant d’un même département ministériel ou d’une même institution.
Celui-ci doit être assorti d’objectifs définis en fonction des finalités d’intérêt général, mais surtout basé sur des indicateurs chiffrés qui permettent de mesurer les résultats escomptés dans les meilleures conditions d’efficacité, d’efficience et de qualité des réalisations ».
La LOLF permet « d’identifier les politiques publiques et de les traduire en programmes.
Le budget de l’Etat est devenu structuré en programmes liés à une stratégie et des objectifs qui font l’objet de suivis par des indicateurs adéquats.
C’est simple : avant cette réforme le budget était structuré en dépenses par nature et non par destination pour connaître le coût des politiques publiques.
Mais l’introduction de la gouvernance budgétaire a aussi beaucoup servi à la commande publique qui assure la production des biens et services collectifs et crée de ce fait la croissance. C’est là un des principaux objectifs de la LOLF.
LOLF, une volonté constante de performance
Véritable constitution financière de l’Etat, la loi organique relative à la loi de finances (LOLF) a pour principal objectif d’améliorer l’intervention de l’Etat à travers l’efficacité de la dépense publique, avec une volonté constante de performance et de qualité du service rendu.
Elle permet le passage d’une culture de moyens et de répartition des enveloppes budgétaires entre les départements ministériels à une logique de résultats et de performance.
Cette nouvelle logique est déclinée à travers la réforme de la nomenclature budgétaire, qui présente désormais les dépenses de l’Etat en termes de programmes, de projets et d’actions.
La LOLF au Maroc a introduit une panoplie de mécanismes en relation avec la rationalisation et l’optimisation des dépenses publiques.
Enfin et pour remédier à la problématique de faiblesse du taux d’exécution des dépenses d’investissement et à son corollaire le report des crédits, la LOLF a limité les reports à 30% des crédits de paiement ouverts par la loi de finances de l’année au titre du budget d’investissement pour chaque département ministériel ou institution.
Une telle mesure a d’ailleurs eu pour effet, avant même son entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2018, l’augmentation substantielle des dépenses d’investissement du budget de l’Etat, qui ont atteint 67 MMDH en 2017 contre 61,7 MMDH en 2016. Ainsi, clairement, la LOLF organise « le dépenser mieux »
En ce qui concerne les collectivités territoriales, il importe de souligner que les nouvelles lois organiques se rapportant à leur organisation financière traduisent une volonté similaire, d’une part pour accélérer le rythme d’exécution des budgets locaux et d’autre part, pour réduire la tutelle sur les processus de conception des projets, de leur programmation budgétaire et de leur mise en œuvre.
La gouvernance budgétaire peut être également appréciée à travers les réformes suivantes :
– les délais de paiement qui introduisent le facteur temporel dans la gestion des budgets ;
– et la mise en place de systèmes intégrés d’information et de gestion qui renseignent sur l’efficience des budgets et leur transparence. Ils sont également fondamentaux pour la reddition des comptes.
La commande publique, un rôle névralgique
L’amélioration de la gouvernance budgétaire dans son ensemble est accompagnée de la réforme de la commande publique.
La commande publique, et plus particulièrement les marchés publics, suscite l’intérêt des entreprises à raison des forts enjeux financiers et économiques qu’elle représente.
A travers les marchés publics, l’Etat vise notamment à produire des biens et services de qualité, à soutenir la croissance par le biais de la demande adressée aux entreprises et à orienter l’investissement au niveau territorial.
A ce titre, il est à souligner que « l’Etat, en tant qu’agent économique ouvre, grâce à la commande publique, des opportunités de création de richesse par les entreprises.
A cet effet, il doit veiller à l’égalité des chances entre elles en mettant une réglementation au standard international, mais adaptée au contexte du Maroc ».
C’est justement l’objectif poursuivi par la réforme de la réglementation relative aux marchés publics, entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2014.
Ainsi, le nouveau décret sur les marchés publics a introduit des innovations majeures en matière de préparation, de passation et de gestion de la commande publique, notamment :
– la simplification et la clarification des procédures, à travers notamment, l’unicité du cadre juridique organisant la commande des organismes publics qui a été au cœur du nouveau dispositif réglementaire.
Le décret du 20 mars 2013 s’applique désormais aux marchés lancés par les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics ainsi qu’aux prestations architecturales.
– le renforcement de la transparence, de la concurrence et de l’égalité de traitement des candidats.
Investissement public et croissance, « peut mieux faire »
Les dépenses publiques constituent un des éléments de la demande qui exerce un effet multiplicateur sur la croissance économique, au même titre que l’investissement privé et les exportations
Toutefois, pour le cas du Maroc, et selon une étude empirique, l’effet des dépenses publiques demeure moyen.
En effet, il est relevé que « la croissance économique au Maroc est positivement corrélée aux dépenses publiques […]. Malgré l’impact positif de la dépense publique sur la dynamique de croissance économique au Maroc, l’effet d’une telle dépense demeure moyen (0,37).
Pour une augmentation à la marge de 1 point de la dépense publique, la croissance économique augmente de 0,37 point ».
Les facteurs explicatifs de la contribution moyenne des dépenses publiques à la croissance économique sont « la propension à épargner, la propension à importer et le niveau des transferts sociaux et de pression fiscale.
En outre, il ressort de l’étude empirique précitée qu’en reliant l’efficacité moyenne de la dépense d’investissement et la faible contribution de l’ouverture de l’économie à la croissance, « on se trouve dans une situation de déficits jumeaux.
Le premier est budgétaire, le deuxième est commercial. Au lieu que l’enveloppe budgétaire mobilisée par l’Etat dynamise l’activité économique, elle contribue à l’aggravation des déficits, commercial et budgétaire ».
En outre et concernant l’apport de l’investissement à la croissance, Bank Al-Maghrib et le Conseil économique, social et environnemental précisent que « le niveau du coefficient marginal de capital (ICOR) reste très élevé et est en augmentation constante pour atteindre un niveau de 7 en 2014, alors que la moyenne mondiale se situe légèrement au-dessus de 3.
Ce constat implique que l’investissement génère de moins en moins de croissance et constitue ainsi un effet d’entrainement de moins en moins efficace pour l’économie nationale ».
Les constats de la TGR
Le soutien de l’Etat aux entreprises et en particulier la PME n’engendre pas tous les effets escomptés, en raison notamment des conséquences négatives dues aux retards de paiement de la commande publique.
Les masses financières importantes que l’Etat injecte en vue de produire des biens et services, sont, du fait des retards de paiement, à l’origine d’un effet boule de neige, puisque généralement une entreprise attributaire d’un marché public répercute le retard de paiement sur ses fournisseurs, …
A titre d’illustration et selon les statistiques de la Trésorerie Générale du Royaume relatives aux marchés de l’Etat, les délais moyens constatés durant les années 2012 à 2015 dépassent de loin le délai réglementaire et varient entre 138 jours pour les années 2012 et 2013, 156 jours en 2014 et 146 jours en 2015, sachant que pour certains départements ministériels les délais dépassent 200 jours.
Le résultat est qu’aux termes d’une année d’application de cette réforme, le délai moyen global de paiement pour l’Etat est passé de 146 jours avant janvier 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme, à 55 jours en 2017.
Il en est de même pour les collectivités territoriales, pour lesquelles le délai moyen de paiement est passé de 142 jours à 55. La réduction substantielle du délai moyen global de paiement est imputable essentiellement à la diminution des délais chez les ordonnateurs, dont le délai moyen d’ordonnancement est passé de 140 jours en 2016 à 51 jours en 2017.
Au niveau des comptables publics, les performances en matière de visa et de règlement se sont améliorées passant de 6 jours en 2016 à 4 jours en 2017.
Le système de gestion intégrée des dépenses (GID) est l’un des plus importants. C’est un système d’information budgétaire et comptable unifié et commun à l’ensemble des acteurs de la dépense.
Le système GID a pour objectif d’accélérer le traitement des actes liés à la dépense publique dans le respect de la législation en vigueur, de simplifier et de rationaliser les circuits et procédures de son exécution, de mettre en concordance les comptabilités des différents intervenants et d’élaborer des tableaux de bord nécessaires à la prise de décision.
In fine…
Une meilleure gouvernance budgétaire favorisant des retombées positives sur l’économie et sur le niveau de vie des citoyens passerait par des actions concomitantes sur :
– les dépenses de l’Etat et des collectivités territoriales dont l’effet multiplicateur sur la croissance économique mérite d’être amélioré
– ainsi que sur leurs ressources dont l’élasticité devrait être supérieure à l’unité.
En conclusion, il importe de souligner que « le dépenser mieux » a pour corollaire une meilleure mobilisation des ressources financières de l’Etat et des collectivités territoriales.
Afifa Dassouli