Pour la 3ème année consécutive, la Coface, spécialiste de l’assurance-crédit et expert des risques commerciaux, a réalisé une enquête sur les délais de paiement au Maroc auprès d’un panel d’entreprises représentatives. Sofia Tozy, chef économiste à la Coface a répondu aux questions de La Nouvelle Tribune.
La Nouvelle Tribune : Pouvez-vous nous présenter le cadre et la méthodologie de cette édition 2017 de l’enquête Coface sur les délais de paiement?
Sofia Tozy : Cette publication est avant tout une lecture d’enquête qui se veut fidèle à l’expérience des entreprises sondées, afin de retranscrire le ressenti du panel. Coface lit d’abord les résultats, puis les analyses pour donner un premier champ de compréhension des réponses apportées. Nous produisons ce type d’enquêtes, depuis 3 ans, à partir d’un questionnaire d’une trentaine de questions diffusé à notre base de données de clients et prospects, ainsi qu’à celles de nos partenaires, notamment la BMCI et la CFCIM (Chambre française de commerce et d’industrie), afin de toucher le plus grand nombre d’entreprises. L’enquête est axée sur le B2B, ou sur ce qu’on appelle communément les crédits fournisseurs.
L’enquête 2017 a été conduite entre juillet et août derniers et l’objectif est de capter le pouls des entreprises, de tailles et secteurs différents, sur les six premiers mois de l’année, que ce soit sur les délais, les retards de paiement, mais aussi leur trésorerie, perspectives d’embauches et investissements ou encore la conjoncture nationale globale.
Plus de 256 répondants, un échantillon en hausse par rapport à l’édition 2016, ont participé à cette enquête avec une ventilation sectorielle représentative de la composition de l’économie marocaine.
Quelles sont les tendances lourdes qui se dégagent de cette enquête?
Le premier constat est qu’une grande partie des répondants subit des délais de paiement à plus de 120 jours, ce qui n’était pas le cas des éditions précédentes. La nouveauté étant que certains secteurs ayant structurellement des délais de paiement plus court, déplorent ces délais. Ainsi, dans les services, 47% des sondés indiquent avoir des délais de plus de 120 jours. Le second constat est que le délai de paiement moyen, tous secteurs confondus, est passé de 82 jours en 2016 à 99 jours en 2017.
Il est important de noter que lorsqu’on parle de délais de paiement, il s’agit de délais contractuels entre le dépôt de la facture et la réception du règlement. Techniquement, la réglementation impose des délais de paiement, mais ceux-ci peuvent être plus courts que les délais contractuels qui sont donc des crédits fournisseurs. Il y a donc des pratiques de paiement qui se sont installées dans certains secteurs et qui se sont imposées comme des règles de marché.
Quelles sont les causes sous-jacentes à cet allongement des délais de paiement?
Grâce aux questions complémentaires posées aux sondés sur l’état de santé des entreprises et leurs projections sur la conjoncture marocaine, plusieurs pistes d’explications se dessinent. La première cause serait donc que les effets du ralentissement économique de l’année passée se font encore ressentir en 2017 sur les six premiers mois, malgré la nette amélioration de la croissance (agricole et non agricole) aux premier et second trimestre.
La seconde cause potentielle, qui conforte l’idée que le dernier trimestre de l’année 2016 a eu un impact négatif sur le début d’année suivant, est le fait que cette période ait connu un pic de défaillances. En effet, d’après les données d’InfoRisk, les défaillances d’entreprises ont augmenté de 15% en glissement annuel à fin 2016.
Le troisième facteur qui s’ajoute à ces deux premières causes est l’incertitude politique qu’a connue le pays depuis octobre dernier, avec un flottement qui a duré plusieurs mois. L’impact des délais de paiement ayant un effet domino qui entraine les opérateurs économiques du plus gros, ayant la meilleure capacité de négociation, au plus petit qui la subit. Les précédentes enquêtes ont d’ailleurs démontré que plus les entreprises sont grandes, plus leurs délais de paiement sont longs.
Par ailleurs, l’état de la trésorerie des entreprises peut également expliquer la dégradation des délais de paiement. La santé de la trésorerie conditionne en effet les capacités de paiement et les sondés indiquent clairement à 43% (37% en 2016) que leur trésorerie s’est dégradée ces 6 derniers mois et à 40% (34% en 2016) qu’elle l’est toujours actuellement. Cependant, si ce constat est négatif, les sondés ont indiqué majoritairement que leur trésorerie sera stable dans les 6 prochains mois et 25% pensent qu’elle s’améliorera (contre 16% qui s’attendent à une dégradation).
Les analyses de Bank Al Maghrib confirment ces constats au niveau des données de crédits aux entreprises. En effet, la banque centrale marocaine indique que les crédits débiteurs et de trésorerie ont connu une forte baisse de -5% en glissement annuel, avec un pic en janvier à -7,2%. Tous ces éléments tendent à conforter l’analyse qui qualifie de conjoncturel l’allongement des délais de paiement, puisque la baisse des crédits de trésorerie indique un repli des banques, mais aussi que les entreprises n’en remplissaient par forcément les conditions. Preuve s’il en est, les crédits à l’équipement ont connu quant à eux, toujours selon BAM, une croissance continue de 2016 à 2017.
Le délai de paiement moyen est passé de 66 jours en 2015, à 82 jours en 2016 pour atteindre 99 jours en 2017. Est-ce inquiétant?
Nous avons donné à cette enquête le titre « allongement des délais de paiement, un trou d’air? » parce que les réponses collectées sont une image instantanée qui indique que les délais de paiement sont plus longs. Cependant, notre analyse est positive pour les mois à venir, du fait des réponses des entreprises sondées qui s’attendent d’une part majoritairement à une stabilisation des délais ou des retards et d’autre part de leur trésorerie.
C’est donc un ensemble de déterminants conjoncturels qui expliquent cette situation dégradée. S’il est vrai que les délais de paiement au Maroc sont plus longs, l’importance pour une entreprise n’est pas le délai mais son évolution. Dans ce sens, les projections sont donc rassurantes du point de vue des déclarations des entreprises sondées. D’autre part, les textes d’application des lois réglementant les délais de paiement légaux doivent être promulgués incessamment, et cela aura certainement un impact positif également.
De même, en termes d’investissement et d’emplois, les réponses des entreprises indiquent que dans les 2 cas, la majorité entend maintenir une stabilité – 44,5% comptent investir et 32% embaucher. Enfin, les entreprises anticipent une amélioration de leur environnement économique puisque 42,1% estiment que les performances de l’économie marocaine vont se maintenir, et 30,7% pensent qu’elles vont s’améliorer.
Propos recueillis par Zouhair Yata