« Lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera ». Cette citation célèbre attribuée à Napoléon Bonaparte raisonne de nouveau avec l’actualité des derniers jours depuis qu’une startup chinoise, Deepseek, a mis à l’amende les géants américains de l’IA et a provoqué un crash boursier avec 1400 milliards de dollars de valorisation perdue en une journée.
Et, malgré la technicité des sujets autour de l’intelligence artificielle, ce qui s’est passé n’est pas si compliqué à comprendre. Jusqu’alors, la « hype » autour de l’IA surfait sur des prémisses qui semblaient inébranlables : entrainer des modèles d’IA et les faire tourner à l’échelle nécessitent des machines puissantes et donc des investissements tout aussi massifs. Trump annonçait d’ailleurs quelques jours à peine avant la mise en ligne de Deepseek le plan « Stargate » en grandes pompes avec 500 milliards de dollars dédiés à l’IA.
Sauf que pendant que les Américains gonflaient leurs valorisations en même temps que leur ego, cette startup chinoise a entrainé son modèle avec un coût de seulement 5 ou 6 millions de dollars. Il n’en fallait pas plus pour faire exploser la bulle de spéculation à Wall Street et même à obliger Donald Trump à reconnaitre que l’annonce de Deepseek est un « wake up call » pour les entreprises américaines, montrant au passage sa capacité à tourner le dos aujourd’hui à ses amis d’hier.
Mais, au-delà des implications technologiques ou financières de cette actualité, c’est un tournant majeur qui s’opère dans le secteur de l’IA dont les répercussions sont décisives pour le reste du monde. Ce qu’a démontré Deepseek, c’est que pendant qu’en occident les experts sur LinkedIn nous annoncent la panacée à coups d’émojis et que les utilisateurs payent 20$ leur abonnement premium à Chatgpt pour lui demander d’écrire une chanson marrante sur leur belle-mère, un modèle gratuit, en open source, peut être accessible au plus grand nombre avec des performances débridées et à un coût réduit.
Or, l’enjeu de l’IA n’est pas son exploitation pour créer des visuels d’écureuils avec un cœur dans une application de messagerie, mais bel et bien de venir révolutionner des pans entiers de nos industries, dans la santé, l’éducation, l’agriculture, la défense, entre autres.
Et, quand bien même les technologies américaines seraient les meilleures, justifiant par là leur coût, leur modèle propriétaire devait être challengé par des modèles ouverts pour permettre à cette nouvelle révolution industrielle de se répandre à travers le monde. En ouvrant un accès à cette technologie à un coût bas, la Chine va permettre à des milliers de startups à travers le monde de s’atteler à créer des opportunités différentes parce que répondant à leurs spécificités culturelles, linguistiques ou sociales par exemple, avec un ancrage plus local. Paradoxalement, la démocratisation de l’IA est désormais un acquis chinois, même s’il ne serait pas étonnant de voir les modèles concurrents actuels s’adapter rapidement à cette nouvelle tendance.
L’impact géopolitique n’est lui aussi pas négligeable comme en témoignent toutes les tentatives de présenter Deepseek comme le suppôt du régime chinois, ce qui par ailleurs doit faire sourire en douce à Pékin. En réalité, avec cet IA « low cost », la Chine pourrait donner des ailes à d’autres grandes nations qui jusqu’alors pensaient devoir être spectatrice de ce nouveau show. Même les Européens, France en tête, devraient se réjouir de voir éclore des perspectives nouvelles moins couteuses et surtout souveraines. Investir dans sa propre IA n’est plus une gageure, ne pas dépendre des Américains et de « Trusk » est désormais possible, « game is on ».
Même au Maroc, dont les ambitions digitales ont été récemment renouvelées avec une volonté de créer un réel écosystème de startups au service du développement du pays et de former la jeunesse aux technologies de son temps, les opportunités s’élargissent grandement. Alors, Xièxiè Deepseek ?
Zouhair Yata