Déchets électriques et électroniques: Le CESE recommande la création d’une filière de valorisation
Face à la progression rapide du volume des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) au Maroc, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié un nouvel avis plaidant pour la mise en place d’une chaîne de valeur nationale structurée et durable. Intitulé « Vers une économie circulaire des équipements électriques et électroniques : du déchet à la ressource », cet avis s’inscrit dans la continuité des travaux menés par le Conseil en matière d’économie circulaire et de gestion durable des ressources.
Un enjeu croissant
Les DEEE représentent aujourd’hui un enjeu croissant, tant du point de vue environnemental qu’économique. En 2022, le Maroc a produit environ 177 000 tonnes de ces déchets, un volume qui pourrait atteindre 213 000 tonnes à l’horizon 2030. Cette croissance s’explique par la multiplication des usages des équipements électroniques dans des secteurs clés tels que l’industrie, la santé, la communication, la mobilité ou encore l’éducation. Bien que cette évolution suscite des préoccupations environnementales et sanitaires, elle offre également un potentiel important en matière de valorisation de ressources. Les DEEE contiennent en effet des matériaux précieux et réutilisables, notamment des métaux rares, du cuivre ou des plastiques techniques, qui pourraient être récupérés localement et réinjectés dans des chaînes de production nationales. Cette valorisation contribuerait à préserver les ressources naturelles tout en stimulant le développement de filières industrielles locales génératrices d’emplois.
Toutefois, le Conseil relève que ce potentiel reste, à ce jour, largement sous-exploité. En 2020, le taux de recyclage des DEEE n’était que de 13 %. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’une part, le cadre juridique en vigueur ne permet pas encore de structurer une filière compétitive et durable. D’autre part, les initiatives existantes, qu’elles soient publiques ou privées, demeurent souvent fragmentées, sans réelle coordination entre les différents acteurs concernés. Par ailleurs, le secteur informel occupe une place prépondérante dans la collecte et le traitement des DEEE, détournant ainsi une part significative des flux vers des circuits non encadrés. Ce phénomène se traduit par une perte de ressources stratégiques, une absence de traçabilité et une exposition à des pratiques non conformes aux normes environnementales et sanitaires.
Dans son analyse, le CESE insiste sur l’importance de structurer une filière nationale intégrée, capable de couvrir l’ensemble du cycle de vie des équipements électriques et électroniques, depuis leur conception jusqu’à leur valorisation en fin de vie. Cette chaîne de valeur devrait être pensée de manière concertée, en associant les producteurs, les distributeurs, les collectivités territoriales, les établissements publics, les opérateurs de traitement ainsi que les acteurs de la recherche et de l’innovation. L’objectif est de faire émerger un écosystème cohérent, reposant sur des mécanismes de responsabilité partagée, une gouvernance claire et des incitations économiques appropriées.
Définir les responsabilités
Parmi les pistes mises en avant par le Conseil figure la nécessité d’une refonte du cadre réglementaire encadrant la gestion des DEEE. Il s’agirait notamment de définir plus explicitement les responsabilités des producteurs et des distributeurs, en intégrant des exigences d’éco-conception dès la fabrication des équipements, ainsi qu’une obligation de durabilité, de réparabilité et de reprise des appareils en fin de vie. Ce cadre devrait également être étendu à de nouvelles catégories de déchets, encore peu prises en compte dans les dispositifs actuels, comme les panneaux photovoltaïques ou les équipements liés à la mobilité électrique et hybride. Une telle extension permettrait d’assurer une meilleure couverture réglementaire et une anticipation des évolutions technologiques.
Dans cette optique, le CESE propose également de renforcer la traçabilité des matériaux contenus dans les DEEE, en mettant en place une nomenclature normalisée des composants, accompagnée d’un inventaire national des matériaux stratégiques. Ce dispositif faciliterait le suivi des ressources tout au long de la chaîne de traitement et leur réintégration dans les circuits de production industrielle. Pour dynamiser la filière, le Conseil estime également essentiel de mettre en œuvre des incitations fiscales et financières ciblées, destinées à encourager les investissements dans le recyclage, à soutenir les initiatives innovantes et à renforcer les capacités des différents maillons de la chaîne.
La question de l’infrastructure est également centrale. Le CESE recommande de transformer les décharges existantes en plateformes de tri et de démantèlement encadrées par des normes sanitaires, sociales et environnementales rigoureuses. De telles installations offriraient un cadre plus sécurisé pour la récupération et le traitement des DEEE, tout en créant des opportunités d’emploi dans un secteur à fort potentiel.
Concernant le secteur informel, le Conseil préconise une démarche d’intégration progressive, via la structuration de ces activités sous forme de coopératives ou de groupements d’intérêt économique. Cette formalisation permettrait d’améliorer les conditions de travail des intervenants informels, d’accroître la qualité des opérations de tri et de démantèlement, et de canaliser une part importante des flux vers les circuits réglementés.
Par ailleurs, le CESE propose de sensibiliser les consommateurs en introduisant un étiquetage obligatoire sur les équipements, mentionnant notamment un score de réparabilité, la présence éventuelle de substances dangereuses, ainsi que l’instruction explicite de ne pas jeter les appareils dans les ordures ménagères. Cette mesure viserait à renforcer la responsabilité des utilisateurs finaux et à encourager de meilleurs comportements en matière de recyclage.
Enfin, le Conseil souligne la nécessité de développer des partenariats régionaux et continentaux dans ce domaine. Une mutualisation des efforts de collecte, de traitement et de valorisation à l’échelle africaine permettrait de gagner en efficacité, de mieux rentabiliser les investissements et de favoriser l’émergence d’une chaîne de valeur régionale intégrée autour du recyclage des DEEE.
LNT