Photo fournie le 21 juin 2018 par l'agence nord-coréenne Kcna du leader nord-coréen Kim Jong Un accueilli par le président chinois Xi Jinping (g) à son arrivée à Pékin © KCNA VIA KNS/AFP -
Ce n’est pas parce qu’on passe à l’économie de marché que l’on doit partager le pouvoir. C’est en substance le modèle que Pékin peut vendre à Kim Jong Un, venu chercher le soutien de son puissant allié au moment où la Corée du Nord met l’accent sur le développement économique.
Lors de sa troisième visite en Chine en moins de trois mois, le jeune leader nord-coréen a entendu le président Xi Jinping lui rappeler que son pays marquait cette année le 40e anniversaire des réformes qui en ont fait la deuxième puissance économique mondiale.
« Les Chinois ont eu le courage de se réformer et d’innover », a déclaré M. Xi, cité par l’agence Chine nouvelle. « Nous sommes heureux de voir que la Corée du Nord a pris la décision majeure de mettre l’accent sur la construction de son économie. »
Kim Jong Un a annoncé en début d’année que sa priorité était désormais « la construction économique socialiste », le pays ayant achevé le développement de son arsenal nucléaire.
Le jeune dictateur a depuis promis au président américain Donald Trump de se débarrasser de l’arme atomique en échange d’une levée des sanctions internationales, lors d’un sommet historique la semaine dernière à Singapour.
– Singapour by night –
Le sommet a été l’occasion pour l’héritier de la dynastie des Kim de visiter Singapour, lors d’une promenade nocturne dans cette ville symbole du capitalisme dont les images ont été abondamment diffusées par les médias nord-coréens.
Cette visite présente « une certaine similitude historique » avec celle effectuée en 1979 aux Etats-Unis par le numéro un chinois de l’époque, Deng Xiaoping, à l’orée des réformes économiques, reconnaît Zhao Tong, spécialiste de la Corée du Nord au Centre Carnegie-Tsinghua à Pékin.
Deng Xiaoping avait alors pu « constater par lui-même la réussite du développement des pays occidentaux et adresser un signal positif au reste du monde », rappelle M. Zhao, qui estime que la Corée du Nord se trouve quatre décennies plus tard à l’aube d’un « tournant stratégique majeur ».
Dans ce contexte, « la Chine est prête à partager son expérience » avec Pyongyang, a promis mercredi le président chinois.
Avant de quitter Pékin, Kim Jong Un a eu droit à une visite d’un parc de développement de technologies agricoles ainsi que d’un centre de contrôle du métro pékinois.
La présence à ses côtés du Premier ministre Pak Pong Ju, principal responsable des questions économiques à Pyongyang, « semble montrer que le but de ce voyage est d’étudier la Chine en tant que modèle de développement économique post-dénucléarisation », observe depuis Séoul Koh Yu-hwan, spécialiste de la Corée du Nord à l’Université Dongguk.
– Le repoussoir soviétique –
Si Pékin peut se vanter de ses réussites économiques, le président chinois ne manque pas non plus une occasion d’affirmer qu’elles ont été favorisées par la « stabilité » du régime communiste, qui a échappé au sort de l’ex-URSS en refusant tout réforme politique.
« La Chine répète à la Corée du Nord depuis des années qu’on peut maintenir un régime de parti unique tout en s’ouvrant à l’extérieur », observe le sinologue Jean-Pierre Cabestan, de l’Université baptiste de Hong Kong.
Depuis son arrivée au pouvoir fin 2012, Xi Jinping a encore renforcé l’emprise du Parti communiste chinois sur la société civile. Les technologies de surveillance de la population et l’absence d’opposition organisée en Chine sont autant d’arguments de nature à rassurer le jeune dictateur nord-coréen, estime M. Cabestan.
L’effondrement du bloc soviétique au début des années 1990 a jusqu’ici dissuadé Pyongyang d’ouvrir son économie, même si le régime tolère désormais les entrepreneurs privés.
« La Corée du Nord a peur d’un effondrement comme celui de l’Union soviétique, ce qui explique pourquoi il n’y a pas eu d’ouverture jusqu’à présent », observe Zhu Feng, doyen de l’Institut de relations internationales de l’Université de Nankin (est de la Chine). « Mais à présent, il n’y a pas d’autre option. »
L’existence d’une Corée du Sud prospère complique toutefois l’équation pour les Nord-Coréens, qui pourraient redouter d’être avalés économiquement par Séoul s’ils se décidaient à ouvrir leur frontière aux échanges — un sort qui évoquerait celui de l’ex-Allemagne de l’Est, comme le rappelle M. Cabestan.
Pour l’heure, le régime de Pyongyang continue en tout cas à cultiver officiellement l’orthodoxie communiste. Le capitalisme « est une société corrompue qui coure à sa perte », écrivait encore samedi le quotidien officiel du parti au pouvoir.
LNT avec Afp