Les procédures ouvertes mercredi par la Commission européenne contre trois pays refusant d’accueillir des demandeurs d’asile ont rappelé combien la crise migratoire a divisé l’UE, ébranlée par l’arrivée de plus de 1,4 million de personnes par la mer depuis 2015.
L’afflux sur les côtes grecques, qui avait provoqué une situation chaotique, a ralenti de manière spectaculaire depuis le printemps 2016. Mais c’est loin d’être le cas sur les côtes italiennes, où continuent d’arriver des hommes et des femmes risquant leur vie pour traverser la Méditerranée.
D’où viennent-ils? Combien sont morts en tentant de fuir la guerre ou la misère? Comment ont évolué les arrivées depuis le pic de 2015? Où sont déposées les demandes d’asile dans l’UE, combien sont acceptées? L’AFP a réuni des chiffres pour comprendre la crise migratoire.
– Le pic de 2015 –
La crise n’a pas de point de départ officiel, mais les données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) permettent de dégager quelques repères temporels.
Après une hausse progressive depuis 2011, l’année 2014 marque un bond, avec les arrivées de 170.100 personnes sur les côtes italiennes et de 43.518 sur les côtes grecques, soit près de quatre fois plus que l’année précédente au total.
C’est néanmoins en 2015 que la situation prend des proportions vertigineuses: l’OIM recense cette année-là 1.011.712 arrivées par la mer en Europe, dont 853.650 sur les côtes grecques, avec un pic en octobre, et 153.842 sur les rivages italiens.
Cette hausse s’explique notamment par l’enlisement du conflit sanglant en Syrie, conjugué à une détérioration des conditions de vie dans les camps de réfugiés syriens en Turquie, au Liban et en Jordanie, où l’aide internationale vient à manquer.
Parmi les arrivants en Grèce en 2015, plus de la moitié sont ainsi des demandeurs d’asile syriens (56,1% de Syriens, 24,3% d’Afghans, 10,3% d’Irakiens), ayant transité par la Turquie.
La plupart ont poursuivi leur route vers le nord par la « Route des Balkans ». 579.518 migrants ont par exemple été enregistrés dans des centres dédiés en Serbie, selon l’agence européenne Frontex.
Les arrivants sur les côtes italiennes en 2015 viennent eux plutôt d’Afrique (parmi les principales nationalités, dans l’ordre: 39.162 Érythréens, 22.237 Nigérians, 12.433 Somaliens, 8.932 Soudanais).
– 2016, 2017: une accalmie, mais… –
Les traversées de la Méditerranée connaissent une nette baisse en 2016: l’OIM comptabilise au total 363.401 arrivées sur les côtes grecques et italiennes, près de trois fois moins que le total de 2015.
En Grèce, les arrivées par la mer chutent de presque 80% (173.614 arrivées), sous l’effet combiné du pacte migratoire scellé entre Ankara et l’UE en mars 2016 pour freiner les traversées de la mer Égée et de la quasi-fermeture de la Route des Balkans.
Cette tendance se poursuit en 2017: 7.699 arrivées par la mer ont été comptabilisées en Grèce par l’OIM depuis le début de l’année. L’accalmie en mer Égée reste cependant fragile, suspendue notamment à la bonne volonté turque.
Surtout, sur les côtes italiennes, le rythme est loin d’avoir ralenti. En 2016, les arrivées ont même atteint un nouveau record (181.436), principalement des Nigérians (20,7%), Érythréens (11,4%) et Guinéens (7,4%), selon l’OIM. La plupart ne sont pas considérés comme de potentiels réfugiés par les Européens, mais comme des migrants économiques irréguliers à renvoyer.
Et en 2017, les chiffres confirment que la Méditerranée centrale est bien redevenue la principale route vers les côtes européennes. Les autorités italiennes ont ainsi enregistré plus de 65.000 arrivées depuis le 1er janvier, des chiffres en hausse de près de 20% par rapport à la même période de 2016.
– Des drames humains –
Derrière les « flux » migratoires se jouent des drames humains, comme le montrent les chiffres de l’OIM sur le nombre de décès en Méditerranée. Près de 14.000 migrants y sont morts ou disparus ces quatre dernières années: 3.283 en 2014, 3.784 en 2015, 5.098 en 2016, et déjà plus 1.800 depuis le 1er janvier.
Par ailleurs, parmi les demandeurs d’asile dans l’UE en 2015 et 2016, environ un tiers étaient des mineurs, selon la Commission européenne. En 2016, 63.300 demandeurs d’asile étaient même des mineurs non accompagnés, selon Eurostat, qui précise que 38% étaient Afghans et 19% Syriens, les deux principales nationalités.
L’agence de coordination policière Europol avait indiqué en janvier 2016 que plus de 10.000 enfants migrants non accompagnés avaient disparu en Europe lors des 18 à 24 mois précédents, craignant que nombre d’entre eux soient exploités, notamment sexuellement, par le crime organisé.
– Demandes d’asile –
Les pays de l’UE ont connu en 2015 un niveau record de demandes d’asile, avec près de 1,26 million de primo-demandeurs enregistrés, après 562.700 en 2014, selon Eurostat (ces chiffres peuvent inclure des demandes déposées dans plusieurs pays par les mêmes personnes).
En 2016, le niveau est resté extrêmement élevé, avec 1,2 million de premières demandes enregistrées, déposées principalement, comme l’année précédente, par des Syriens, Afghans et Irakiens.
En cumulant 2015 et 2016, l’Allemagne a enregistré à elle seule plus de 1,16 million de premières demandes sur les 2,46 millions dans l’UE par pour ces deux années, selon les données d’Eurostat.
De nombreux candidats à l’asile dans l’UE sont arrivés par la Méditerranée, mais pas tous. Il y a par exemple des Albanais (28.925 en 2016) ou encore des Russes (23.015).
– Protection accordée –
Toutes les demandes d’asile ne font pas l’objet d’une décision favorable. Les pays de l’UE ont accordé en 2016 une protection à quelque 710.400 personnes au total, plus de deux fois plus qu’en 2015, selon Eurostat.
Cette « protection » recouvre trois statuts différents: celui de « réfugié » (55% du total en 2016), la « protection subsidiaire » pour ceux ne répondant pas aux critères du statut de réfugié mais qui sont en danger dans leur pays (37%) et « l’autorisation de séjour pour raisons humanitaires » (8%).
L’Allemagne, pays qui a reçu le plus de requêtes, est logiquement celui qui a accordé une protection au plus grand nombre de personnes en 2016. Eurostat fait ainsi état de 445.210 décisions positives en 2016, soit « trois fois plus qu’en 2015 ». Suivent ensuite, loin derrière, la Suède (69.350), l’Italie (35.450), la France (35.170) et l’Autriche (31.750).
Les principaux bénéficiaires d’une protection dans les 28 pays de l’UE en 2016 sont restés, comme en 2015, les Syriens (405.600 personnes, doit 57% du total), les Irakiens (65.800) et les Afghans (61.800).
Le taux de réponses positives (avec l’un des trois statuts accordés) varie fortement selon la nationalité des demandeurs et le pays où la demande a été déposée.
Il s’élevait par exemple en 2016 à 98,1% en moyenne pour les Syriens, 92,5% pour les Érythréens ou encore 63,5% pour les Irakiens. Mais il était bien plus bas pour d’autres: 17,4% par exemple pour les demandeurs pakistanais, 5,2% pour les Algériens ou encore 3,1% pour les Albanais.
– Les migrants renvoyés –
Un demandeur d’asile dont la requête est rejetée est voué à être renvoyé dans son pays d’origine, de la même manière que les migrants irréguliers ne demandant pas l’asile, généralement considérés comme des « migrants économiques ».
305.365 personnes ont fait l’objet en 2016 d’une décision administrative ou judiciaire de renvoi d’un pays de l’UE vers leur pays d’origine (contre 286.725 en 2015 et 251.986 en 2014), selon des chiffres collectés par l’agence Frontex.
Et 176.223 personnes ont été effectivement renvoyées en 2016, dont 79.608 de manière forcée, toujours selon Frontex.
Les trois nationalités ayant fait l’objet des plus nombreux retours forcés étaient les Albanais (19.482), les Marocains (7.506) et les Kosovars (4.916).
– Les « relocalisations » –
Face à l’afflux extraordinaire en Italie et en Grèce, les Européens étaient convenus en septembre 2015 de déroger temporairement à la règle qui impose la responsabilité du traitement d’une demande d’asile au pays par lequel le demandeur est entré dans l’UE.
Après de difficiles tractations, les États membres ont ainsi décidé à la majorité de répartir 160.000 personnes en deux ans depuis ces deux pays vers le reste de l’Union. Mais au 9 juin 2017, seulement 13.973 personnes ont été « relocalisées » depuis la Grèce et 6.896 depuis l’Italie, soit moins de 21.000 au total.
Parmi les dizaines de milliers de migrants encore présents en Grèce, environ 11.000 sont éligibles à une « relocalisation », selon des chiffres cités par la Commission européenne. En Italie, elle évalue à plusieurs milliers le nombre de personnes répondant aux critères.
L’objectif initial de 160.000 « relocalisations » est donc devenu inatteignable et le plan, censé incarner la solidarité européenne, est devenu un symbole des divisions entre pays de l’UE.
Certains l’ont appliqué au ralenti, d’autres pas du tout, ce qui a encouragé la plupart des candidats potentiels à poursuivre leur route vers le nord de l’Europe. La Commission européenne a ainsi ouvert une procédure d’infraction mercredi contre la Hongrie, la Pologne et la République tchèque pour leur refus de respecter leur quota d’accueil.
Les « relocalisations » se sont aussi heurtées aux difficultés logistiques des autorités grecques et italiennes sur le terrain, et parfois aux réticences de demandeurs d’asile inquiets de se voir imposer une destination inconnue.
A cela s’ajoutent des critères d’éligibilité restrictifs en termes de nationalité, le plan ne concernant que les demandeurs quasiment assurés (d’un point de vue statistique) d’obtenir l’asile après leur transfert. C’est le cas des Syriens et des Érythréens, mais ce n’est par exemple plus celui des Irakiens.
LNT avec Afp