Des passants dans les rues de Milan le 28 février 2020, avant le confinement © AFP/Archives Miguel MEDINA
Utiliser les données de nos téléphones pour lutter contre le coronavirus, tout en évitant les atteintes aux libertés individuelles: le gouvernement français planche sur ce sujet épineux avec un projet d’application mobile pour « identifier les chaînes de transmission », sur « la base du volontariat ».
D’abord hostile à l’idée d’un traçage numérique et face à des élus aux aguets sur cette question, l’exécutif prépare désormais les esprits à un éventuel recours à cette technique dans le cadre de la stratégie de déconfinement de la population, afin d’éviter une nouvelle flambée de l’épidémie qui a déjà fait plus de 10.000 morts en France.
Dans un entretien au Monde mercredi, le ministre de la Santé Olivier Véran et le secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O expliquent que le gouvernement planche sur un projet baptisé « StopCovid ». Il vise à « développer une application qui pourrait limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission » tout en étant respectueuse de la vie privée et des libertés individuelles, détaille Cédric O.
« Aucune décision n’est prise » mais « l’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner », explique-t-il.
L’application s’appuie sur la technologie Bluetooth, qui permet à nos smartphones d’identifier des appareils à proximité (écouteurs, enceintes, imprimantes…), et non le recueil de données de géolocalisation.
En France, près de 8 Français sur 10 possèdent un smartphone équipé d’un capteur Bluetooth, relève l’ancien secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi dans une note remise aux députés.
L’application ne serait utilisée que sur une base volontaire et pourra être « désinstallée à tout moment », assure Cédric O.
« Elle retracera l’historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée », précise-t-il. « Lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique. »
– Masse critique d’utilisateurs –
Les données seront « anonymisées » et leur utilisation compatible avec le droit européen sur les données personnelles, selon Olivier Véran. « Personne n’aura accès à la liste des personnes contaminées, et il sera impossible de savoir qui a contaminé qui. Le code informatique sera public » et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), gendarme de la protection des données en France, est « étroitement » associée aux travaux, assure-t-il.
Les travaux sont menés par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) depuis plusieurs jours. Il s’inscrivent dans le cadre d’un projet européen (PEPP-PT) mené en coopération avec l’institut allemand Fraunhofer Heinrich Hertz et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse. Ce projet repose sur les mêmes prérequis d’application open source, installée volontairement, protectrice de la vie privée et respectueuse de la législation européenne sur la protection des donnés.
Pour autant, une telle application reposant sur la bonne volonté des personnes est-elle efficace? Cela reste à démontrer. Le système ne fonctionne qu’entre personnes ayant téléchargé l’application, il faut donc qu’une masse critique suffisante l’utilise pour qu’elle ait un effet.
Selon une étude de l’université britannique d’Oxford publiée dans la revue « Science », une telle application peut aider à enrayer la propagation du virus à condition d’être utilisée par 60% de la population.
Singapour a recours à ce système, qu’elle a baptisé Trace Together: une application lancée le 20 mars y avait été téléchargée un million de fois au 1er avril, selon un pointage du gouvernement, pour une population totale dans la ville-Etat de 5,7 millions de personnes.
Mais la hausse des cas ces dernières semaines a depuis poussé Singapour à ajouter au dispositif Trace Together, la fermeture de ses écoles et lieux de travail, et à placer près de 20.000 travailleurs migrants en quarantaine.
LNT avec Afp