Entretien avec M. Maurice Button, CEO de City & Financial Global LTD, organisateur de la City Week de Londres
City & Financial Global Ltd est une institution privée britannique spécialisée dans l’organisation de conférences internationales de haut niveau dans le domaine de la Finance, de la Fintech, de la Cyber finance ou encore dans le management du risque.
Elle est le principal organisateur de la City Week depuis de nombreuses années aux côtés de partenaires officiels comme City London, TheCityUK, le Department of International Trade, etc.
Elle a travaillé pour le gouvernement britannique, le gouvernement fédéral américain, la Commission européenne ou encore l’ONU.
Son président exécutif et fondateur, M. Maurice Button, a bien voulu répondre aux questions de La Nouvelle Tribune et de www.lnt.ma en marge de l’édition 2019 de la City Week qui s’est tenue à Londres les 20 et 21 mai derniers au Guildhall.
A.D
La Nouvelle Tribune :
Le thème de l’édition 2019 de City Week est « Les services financiers comme moteur d’une globalisation inclusive ». Pourquoi un tel choix ?
M. Maurice Button :
Le monde est entré dans une phase de dé-globalisation, de protectionnisme et de populisme à large échelle, principalement en réponse à la crise financière et son impact sur l’économie réelle.
C’est démontré par l’élection du Président Trump, du Brexit et de la montée en force
des politiciens populistes et nationalistes en Europe et ailleurs dans le monde, comme au Brésil.
Ces mouvements politiques ont été soutenus par de larges pans de la société qui ont commencé à se sentir privés de leurs droits, ignorés et marginalisés par l’élite politique.
Ils ont aussi le sentiment que les bénéfices économiques de la globalisation les ont laissés en plan, et qu’il y a un fossé de plus en plus large entre les riches et les pauvres.
La seule façon de contrer cette marée montante est de réinventer la globalisation et la rendre plus inclusive. D’où le thème de la City Week de cette année.
Comment conciliez-vous cette approche, qui met Londres au centre de services financiers globaux, avec les développements liés au Brexit ? Le marché financier de Londres est-il toujours aussi attractif, et le sera-t-il dans les prochains mois ?
Londres est un centre financier global, pas simplement européen.
Son fuseau horaire, son système de droit commercial très respecté, l’avantage que l’anglais soit la langue des affaires de choix au niveau global, les noyaux inégalés d’expertises et compétences financières que l’on peut trouver à Londres, la profondeur de son marché des capitaux, sa position prédominante dans le secteur des opérations de change, la taille de ses industries de gestion d’actifs et de fonds, le fait que la ville soit le siège de Lloyd’s et un centre majeur pour l’assurance internationale, et enfin, l’inventivité et l’adaptabilité de la ville de Londres et ses financiers, comme cela a été prouvé au fil des siècles – tout cela lui promet une place de choix dans le futur.
De plus, le centre de gravité de la croissance économique et financière se déplace irrémédiablement vers l’est, en particulier la Chine et l’Asie du Sud-Est.
La majeure partie de la croissance du PIB dans les décennies à venir devrait venir de cette région. Londres est bien positionnée pour profiter de cette mutation et aider à financer la croissance dans la région.
La globalisation est essentielle aux opérations financières et a largement contribué à leur développement. Va-t-elle toujours prévaloir alors que nous la voyons fortement contestée, particulièrement aux Etats-Unis, champions de l’unilatéralisme avec M. Trump, ou encore dans plusieurs pays de l’Europe continentale ?
Comme mentionné plus haut, nous vivons actuellement un rejet de la globalisation, du libre-échange et des institutions qui ont soutenu l’ordre économique mondial depuis 1945.
Les politiciens populistes ont avivé le mécontentement et ont promis des solutions simplistes à ceux qui ressentent que la société les a abandonnés, marginalisés, ou simplement dupés à travers l’inégalité des revenus dans leur pays.
Toutefois, il y a des raisons valides à ce mécontentement, et si la globalisation, avec son énorme capacité à générer de la richesse et à être une force positive pour la société, doit retrouver son ascendant et gagner la bataille face aux politiciens populistes, alors elle doit changer.
Ses partisans doivent écouter leurs critiques et leur répondre. Elle doit devenir beaucoup plus inclusive et transparente. La richesse qu’elle génère doit être partagée de façon plus juste. Plus particulièrement, la confiance en l’honnêteté et l’intégrité des institutions financières doit être rétablie.
Une régulation équitable et transparente devrait assurer que le but premier des institutions financières et de pourvoir aux besoins de financement de l’économie réelle et des consommateurs.
De nombreux sujets qui vont être débattus durant cette édition concernent l’Europe, ainsi que l’intégration et le développement des services financiers.
Pensez-vous que la place de Londres restera le cœur des opérations financières vers, et depuis le Vieux Continent ?
L’Europe continentale n’a pas de marchés financiers bien développés, c’est pourquoi les gouvernements et entreprises européens sont historiquement venus à Londres pour lever des capitaux.
La Commission européenne le sait très bien, et a lancé le projet de l’Union des marchés des capitaux il y a quelques années. L’UMC était, en fait, l’idée personnelle de Lord Hill, alors Commissaire européenne aux services financiers pour le Royaume-Uni.
La question est de savoir si le développement de l’UMC va prendre de la vitesse, et le temps qu’elle va mettre à prendre forme.
La difficulté vient du fait que la raison pour laquelle l’Europe continentale n’a pas de marchés financiers bien développés est autant liée à des préférences culturelles qu’aux déficiences dans la structure des marchés et le système légal.
En résultat, l’Europe continentale est bien plus dépendante du prêt bancaire, qui est à son tour limité par les bilans comptables des banques.
Pour les gouvernements et entreprises européens qui veulent lever des sommes importantes, les marchés des capitaux de Londres devrait être leur choix premier pour l’avenir prévisible.
Quelles pistes de réflexions pourraient être mises en évidence concernant la régulation financière globale ?
Il y a eu beaucoup de sujets liés à la régulation financière globale qui furent discutés durant la City Week de cette année, mais l’un des plus importants fut la résilience opérationnelle.
La résilience opérationnelle est en haut de l’agenda de la plupart des régulateurs financiers nationaux, mais, de manière surprenante, il n’y a pas de cadre règlementaire international pour elle, de la même manière que nous avons les accords de Bâle pour la supervision bancaire, l’OICV pour les marchés des valeurs mobilières et des contrats à terme, l’AICA pour l’assurance, le CSPR pour les paiements et le CNCI pour les standards de comptabilité.
Et pourtant le besoin se fait certainement sentir, car c’est la résilience opérationnelle qui sera le facteur qui déterminera l’ampleur de la prochaine crise financière, de même sa vitesse et son étendue.
Elle est aussi cruciale à un niveau plus concret et micro, en rapport à la durabilité des sociétés en elles-mêmes, et leur capacité à être compétitives et survivre.
De plus, c’est l’un des garants de la protection des intérêts des consommateurs, des investisseurs, des employés et plus largement, de la communauté des parties prenantes.
Comment définir la résilience opérationnelle ? Brièvement, c’est la capacité des firmes, des entreprises de l’infrastructure des marchés financiers, et du secteur en lui-même, de prévenir, répondre, se remettre et apprendre des disruptions opérationnelles de toute sorte.
Les formes de disruption opérationnelle se devenues plus complexes et intenses ces dernières années, car le rythme du changement technologique est devenu plus rapide et l’environnement cyber plus hostile.
La finance verte est-elle un secteur financier en plein essor ? Quels chemins va prendre son développement futur ?
La finance verte va devenir l’un des thèmes dominants de la finance au cours des prochaines décennies.
Sans aucun doute, l’Accord de Paris et les Objectifs de Développement Durable de l’ONU ont attiré l’attention internationale sur l’impact financier du changement climatique.
Ils ont aussi accru les efforts de collaboration pour transitionner vers une économie à bas carbone, qui incluent la croissance de la finance verte.
Toutefois, le secteur reste comparativement minime. Moody’s projette que les ventes globales d’obligations vertes atteindront les 200 milliards de dollars US en 2019, après seulement 6% de croissance en 2018.
Selon un récent document de consultation publié par la FCA (Financial Conduct Authority) en fin d’année dernière, 38 sociétés green avaient à cette date, levé 10 milliards de dollars US à Londres, dont 14 fonds d’investissement renouvelables.
Dans le secteur de la banque de détail, les prêts hypothécaires verts ont été lancés, de même que nombre de produits de gestion d’actifs et d’investissements.
Cela reste marginal, et cela ne va certainement pas mener bien loin pour ce qui est de sauver la planète.
Mais cela pourrait être sur le point de changer. Les régulateurs à travers le monde ont mené une série d’initiatives qui pourraient substantiellement accélérer le développement de la finance verte.
Au niveau supranational, la taskforce sur les déclarations financières liées au climat (Taskforce on Climate Related Financial Disclosures – TFCD) du Conseil de Stabilité Financière (CSF) a lancé une initiative visant à aider les compagnies à quantifier les risques associés au changement climatique, comme les effets physiques du changement climatique sur leurs opérations ou l’impact des nouveaux principes verts sur leurs business modèles et leurs clients.
La TFCD est soutenue par des sociétés qui gèrent environ 100 000 milliards de dollars US. Si elle reste encore une initiative volontariste, des régulateurs internationaux, comme la Banque d’Angleterre et la FCA au Royaume-Uni, explorent la possibilité de rendre obligatoire pour les sociétés de services financiers de produire des rapports publics sur la façon dont ils gèrent les risques climatiques pour leurs clients et opérations.
Et la FCA projette également une consultation sur la façon dont toutes les sociétés cotées, c’est-à-dire les gros clients corporate des institutions financières, devraient faire des rapports aux marchés sur leurs risques liés au changement climatique.
Cela permettrait aux institutionnels, à leur tour, d’inclure le risque climatique dans leurs choix d’investissement de manière plus assurée.
Ces exigences accrues de déclaration et divulgation auprès des institutions financières et leurs clients corporate pourraient être les incitations nécessaires pour faire passer la finance verte au niveau suivant.
Afin que le marché de la finance verte prospère, une condition supplémentaire est de se mettre d’accord sur des standards et principes généraux minimaux et communs, afin de mesurer la performance et l’impact des produits financiers verts.
Des standards minimaux et une taxonomie commune augmenteraient la confiance des investisseurs, permettant de stimuler le marché.
Le plan d’action sur la finance durable de la Commission européenne, lancé l’année dernière, cherche à réaliser exactement cela en introduisant (a) une taxonomie précisant ce qui devrait être considéré comme une « activité économie environnementalement durable », (b) de nouveaux benchmarks bas-carbone pour guider les investisseurs en ce qui concerne leur empreinte carbone et (c) de nouvelles obligations de divulgation pour les investisseurs institutionnels et les gestionnaires d’actifs.
En prenant toutes ces initiatives régulatoires en compte, 2019 devrait voir le début d’une vraie croissance de la finance verte.
Entretien réalisé à Londres par Afifa Dassouli