La Bourse de Casablanca a accueilli la présentation des premiers résultats de la première enquête nationale sur les pratiques de consolidation au Maroc, menée par l’Association marocaine des Consolideurs Financiers (AMCF) auprès de 51 groupes. Au-delà des chiffres, cette restitution a donné lieu à un échange nourri entre praticiens, régulateurs et experts, confirmant que la consolidation n’est plus un simple exercice comptable, mais un pilier de la confiance sur le marché des capitaux.
En ouverture, Zineb Guennouni, directeur exécutif du développement de la Bourse de Casablanca, a rappelé que la solidité d’un marché financier « ne réside pas dans la technologie, ni dans les règles, ni dans les infrastructures visibles », mais d’abord dans « la qualité de l’information financière ». La consolidation, souvent perçue comme un sujet technique, se trouve ainsi « au cœur de la transparence, de la visibilité et de la crédibilité » de la place casablancaise. La généralisation des comptes consolidés, l’alignement progressif sur les IFRS et la montée en puissance des exigences des investisseurs traduisent, selon elle, une économie qui se structure et une gouvernance qui s’améliore, mais qui impose aux émetteurs, cotés ou non, un niveau croissant d’exigence.
Un contexte boursier dynamique qui renforce les exigences de transparence
Zineb Guennouni a inscrit cette enquête dans un contexte boursier particulièrement dynamique. L’année 2025 s’annonce comme « une année exceptionnelle », marquée par un nombre record de sociétés cotées, avec le franchissement imminent du cap des 80 émetteurs, un marché stabilisé sur des niveaux élevés et plus de 80 000 investisseurs actifs. Les récents taux de sursouscription, parfois supérieurs à 40 fois, témoignent de cet appétit. Cette dynamique, a-t-elle averti, crée une responsabilité accrue en matière de transparence, car « les investisseurs qui regardent la place de Casablanca appliquent les mêmes grilles d’analyse et les mêmes exigences que sur les grandes places internationales ».
Dans ce contexte, la consolidation devient un enjeu stratégique pour les entreprises cotées mais aussi pour celles qui envisagent de recourir demain au marché pour financer leur croissance. S’adressant aux groupes non cotés, Zineb Guennouni a insisté sur le fait que, tôt ou tard, ils auront besoin de lever de la dette ou des fonds propres, et que les investisseurs qui les accompagneront « auront exactement les mêmes besoins de lisibilité et de confiance ». La qualité de l’information consolidée constitue, dès aujourd’hui, « un avantage stratégique » dans un Maroc en pleine transformation, où la fonction finance est appelée à jouer un rôle central dans le financement de l’investissement.
Une enquête inédite pour dresser un état des lieux structuré des pratiques
Pour le président de l’AMCF, Khalid Raji, cette enquête marque une étape structurante pour la profession. Il a rappelé que l’idée remonte à la création de l’Association et s’est concrétisée en 2024 avant de déboucher sur cette première restitution en 2025. « La consolidation n’est plus un simple exercice technique », a-t-il souligné, mais « un levier stratégique pour renforcer la transparence, la gouvernance et la confiance des investisseurs », dans un environnement caractérisé par l’évolution permanente des normes, l’élargissement des groupes et l’essor du reporting extra-financier. L’enquête ne vise pas à distribuer des bons ou des mauvais points, mais à dresser « un état des lieux fidèle » des pratiques, à identifier les défis opérationnels et à éclairer les besoins en compétences, en outils et en accompagnement.
Présentée par Anass Radi, vice-président de l’AMCF, et Siham Akla, membre du conseil d’administration, l’étude repose sur un dispositif mixte combinant un questionnaire de 53 questions structuré autour de huit axes et des entretiens qualitatifs avec les responsables de consolidation. Les 51 groupes interrogés sont majoritairement de taille intermédiaire : 57 % emploient entre 1 000 et 10 000 salariés. Le Maroc reste la principale zone d’implantation, avec une expansion notable vers l’Afrique subsaharienne, puis l’Europe. Quarante pour cent des groupes sont détenus par des institutions publiques, tandis que 31 % seulement sont cotés en Bourse.
Normes comptables, reporting et usage stratégique des comptes consolidés
Sur le plan normatif, le paysage apparaît relativement équilibré : environ la moitié des groupes appliquent les IFRS et 48 % se réfèrent encore aux normes marocaines du CNC. Quelques groupes gèrent un double référentiel, mais ils demeurent minoritaires. S’agissant des motivations, la consolidation est encore perçue, pour 29 % des répondants, d’abord comme un exercice de conformité légale, la transparence vis-à-vis des investisseurs arrivant en second rang. Ce constat évolue toutefois, avec une utilisation grandissante des comptes consolidés pour le pilotage stratégique : 69 % des groupes indiquent que leurs comptes consolidés sont effectivement utilisés par le top management.
L’un des enseignements forts de l’enquête concerne l’organisation de la fonction. Au Maroc, 71 % des groupes internalisent la consolidation, un choix souvent justifié par la maîtrise de la chaîne de production de l’information et par des impératifs de confidentialité, notamment dans les groupes familiaux non cotés. Vingt pour cent externalisent totalement cette fonction, faute de ressources ou d’outils adaptés, tandis que 10 % adoptent un modèle mixte, avec un noyau interne renforcé ponctuellement par des experts pour des opérations complexes, telles que fusions, acquisitions ou changements de référentiel. Parmi les groupes qui internalisent, 67 % disposent d’une entité dédiée, rattachée dans plus de 70 % des cas à la direction financière et, plus rarement, à la direction générale.
Sous-investissement en capital humain et forte pression sur les équipes
Cette structuration masque néanmoins un sous-investissement en capital humain. La plupart des départements consolidation comptent entre un et trois collaborateurs, avec une prédominance de profils juniors ayant entre deux et quatre ans d’expérience. Les consolideurs disposant de 10 à 20 ans de pratique sont rares, dans un contexte de turnover élevé. Les entretiens mettent en avant deux explications récurrentes : la forte pression des délais et la technicité du métier, d’un côté, et l’attractivité des marchés étrangers pour ces profils, de l’autre, notamment en Europe, en Amérique du Nord et dans les pays du Golfe.
Sur les rythmes de clôture, les pratiques restent hétérogènes. Environ un tiers des groupes consolident leurs comptes sur une base trimestrielle, près de 30 % sur une base semestrielle et 20 % annuellement. Une minorité se rapproche d’une fréquence mensuelle. Si les délais de clôture tendent à se réduire, les délais de publication dépassent encore souvent 90 jours. L’un des facteurs explicatifs tient au fait que près de 70 % des plaquettes de publication sont encore produites manuellement, sans automatisation des flux entre systèmes.
Gouvernance, documentation et processus intra-groupes encore perfectibles
Les enjeux de gouvernance ressortent également avec acuité. Un quart des groupes ne dispose d’aucune documentation formalisée en matière de consolidation (manuel de consolidation, règles de retraitement IFRS, procédures intra-groupes). Chez les autres, les manuels existants sont souvent jugés trop généraux et insuffisamment détaillés pour garantir l’homogénéisation des pratiques au sein du groupe. Cette absence de formalisme renforce la dépendance aux personnes et fragilise l’application d’un principe clé de la consolidation : l’homogénisation des comptes des différentes entités, au-delà du seul référentiel comptable.
Les systèmes d’information illustrent la même dualité. Quarante-deux pour cent des groupes s’appuient encore sur Excel comme outil principal de consolidation, tandis qu’une proportion équivalente recourt à des solutions spécialisées de type SAP BFC. Mais 67 % ne disposent pas d’interface entre l’outil de consolidation et la comptabilité générale, et 92 % n’ont pas d’intégration avec les outils de planification budgétaire, alors même que la consolidation prévisionnelle progresse. Ce manque d’interfaçage limite la fiabilisation des données et réduit la capacité à exploiter pleinement la richesse analytique des comptes consolidés, notamment pour le forecast, l’analyse par secteur ou par zone géographique.
Quatre priorités de transformation pour une fonction plus intégrée et plus visible
En conclusion de leur présentation, Anass Radi et Siham Akla ont dégagé quatre grandes priorités de transformation, qui ont été largement reprises lors des échanges avec la salle. Il s’agit d’abord du déploiement d’outils dédiés et intégrés couvrant l’ensemble de la chaîne, de la consolidation au reporting. Vient ensuite le renforcement de la gouvernance à travers des manuels, procédures et règles d’homogénisation formalisés. Troisième axe, l’amélioration des processus intra-groupes, en particulier la réconciliation des transactions, encore largement manuelle. Enfin, les consolidateurs insistent sur la nécessité d’investir dans la formation des équipes et de renforcer l’engagement des directions générales, condition indispensable pour faire évoluer les pratiques.
SB

