M. Abdellatif Jouahri, Wali de BAM
Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, a reçu la presse (en présentiel pour la première fois depuis la crise sanitaire), pour présenter et discuter des conclusions du Conseil de BAM, réuni le matin même. Dans un contexte tendu au niveau international, entre la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, et au niveau national, avec une flambée des prix et de faibles précipitations, le point de vue du Gouverneur sur la conjoncture était particulièrement attendu.
Les projections de BAM pour 2022 ne sont pas rassurantes. La forte baisse annoncée de la valeur ajoutée agricole et la pression sur les prix lui font projeter une croissance de seulement 0,7% pour l’année, accompagnée d’une inflation vertigineuse de 4,7% ! On aurait pu s’attendre à un rehaussement du taux directeur pour combattre l’inflation, mais il ne faut pas oublier que le Maroc connaît à peine une timide relance économique au sortir de deux ans de crise. Pour que la dynamique de cette relance soit préservée, elle doit être accompagnée, entre autres, d’une politique monétaire accommodante. C’est là tout le dilemme. Abdellatif Jouahri a donc expliqué que, étant donné que ses projections prévoient le retour à une inflation normale en 2023, BAM a choisi de « continuer à soutenir l’activité économique et atténuer l’impact de l’environnement international défavorable », et ainsi de « maintenir l’orientation accommodante de la politique monétaire et de garder en conséquence le taux directeur inchangé à 1,50% ». Et de rappeler que : « J’ai toujours dit que ce que nous faisons n’est pas uniquement tiré par l’inflation […] toute la politique non-conventionnelle de la banque centrale est au profit de l’entreprise, du crédit à lui donner, et ainsi au profit de l’activité économique ».
Une inflation maîtrisée d’ici 2023 ?
Bank Al-Maghrib considère ainsi, pour le moment en tout cas, que l’inflation reste maîtrisée à l’horizon des 8 trimestres sur lesquels travaillent la banque centrale, avec un retour à moins de 2% à moyen terme. Et « vu que la conjoncture sur le plan économique, va connaître une baisse significative de son taux d’évolution, nous avons fait converger les objectifs d’une inflation maîtrisée et d’un soutien à l’activité économique », selon M. Jouahri.
Le Wali a toutefois longuement insisté sur les très fortes incertitudes qui entourent la conjoncture actuelle, mettant à mal les modèles de la banque centrale. Il a même déclaré qu’il s’agit d’une situation « inédite », car le niveau d’incertitudes est encore « plus élevé qu’avec covid ». À titre d’exemple, les projections de BAM n’ont pas pris en compte les précipitations du mois de mars, qui devraient avoir un vrai impact sur la VA agricole. M. Jouahri a donc averti que les projections, de même que les décisions, du Conseil de BAM pouvaient changer très rapidement avec l’évolution de l’environnement national et international. S’il est prévu que l’inflation reste élevée à un horizon plus lointain, alors la banque centrale devra réagir.
Le Wali a également évoqué les sorties à l’international prévues dans la LF 2022, laissant sous-entendre que les conditions actuelles ne sont pas les plus favorables pour le Trésor. D’ailleurs, il a même évoqué la possibilité de tirer sur la LPL, car la crise russo-ukrainienne créé le « choc » qui justifie son utilisation auprès du FMI.
Si cette conjoncture inédite va forcément impacter le budget de l’Etat, avec un déficit budgétaire prévu à 6,3% du PIB contre 5,9% prévus initialement, et un déficit du compte courant projeté à 5,5% contre 2,6% l’année dernière, BAM veut rassurer. Et d’expliquer que selon le gouvernement, ces besoins supplémentaires seront couverts par les financements innovants et les recettes de monopoles. Les recettes des premiers seraient portées à 20 MMDH contre 12 prévus, et le très bon comportement des phosphates permettrait à OCP de dégager 4,5 MMDH de plus.
La situation dépeinte par le Wali de BAM est donc fragile, pétrie d’incertitudes, et s’il existe des signes d’espoir, on craint l’effet d’un nouveau choc, ou de l’étalement dans la durée des troubles géopolitiques actuels.
Selim Benabdelkhalek