Bank Al-Maghrib, en partenariat avec la Société Financière Internationale (SFI), a organisé une conférence cruciale pour le secteur bancaire marocain, portant sur le thème « Catalyser le marché secondaire des créances en souffrance au Maroc ». Cet événement, qui a rassemblé des acteurs institutionnels, des banques, et des experts internationaux, a permis de discuter de cette réforme tant attendue par l’écosystème financier marocain.
Un projet de réforme au service de l’économie
Dans son discours inaugural, M. Abderrahim Bouazza, Directeur Général de Bank Al-Maghrib, a insisté sur l’importance stratégique de cette réforme. Le projet de loi, en cours d’élaboration, vise à résoudre le problème croissant des créances en souffrance, ou créances bancaires non performantes (NPL), qui représentent actuellement 98 milliards de dirhams, soit 8,6 % du total des crédits bancaires et près de 7 % du PIB. Cette situation résulte de facteurs variés, dont des contextes économiques difficiles, des difficultés sectorielles et des pratiques de gestion financière parfois inefficaces.
M. Bouazza a souligné que ces créances en souffrance pèsent lourdement sur les bilans des banques, en mobilisant des fonds propres et en limitant leur capacité à octroyer de nouveaux crédits. Cette problématique affecte également la liquidité globale du secteur bancaire, avec un besoin moyen estimé à 120 milliards de dirhams, souvent comblé par Bank Al-Maghrib elle-même. La mise en place d’un marché secondaire vise à atténuer ces pressions en permettant aux banques de céder leurs créances à des investisseurs spécialisés, libérant ainsi des ressources pour soutenir l’économie.
Pour atteindre cet objectif, la réforme propose d’éliminer plusieurs obstacles juridiques, notamment en supprimant l’exigence de consentement des débiteurs pour la cession de leurs créances et en simplifiant les modalités de notification. Elle prévoit également des ajustements fiscaux pour encourager la participation des acteurs du marché.
Apprendre des expériences internationales
David Tinel, Responsable du bureau de la SFI au Maroc, a partagé son expertise en matière de gestion des créances en souffrance, en s’appuyant sur son expérience dans la zone euro après la crise financière mondiale de 2008. Il a expliqué que l’accumulation de créances non performantes affecte non seulement la rentabilité des banques, mais aussi leur capacité à générer du capital, ce qui fragilise l’ensemble du système financier.
En Europe, les solutions mises en œuvre ont varié selon les contextes nationaux, mais certaines stratégies communes se sont révélées efficaces. Parmi celles-ci, on retrouve la création de compagnies de gestion d’actifs, qui permettent de regrouper les créances en souffrance pour une gestion centralisée et spécialisée. Les plateformes transactionnelles électroniques, qui facilitent les ventes de créances entre banques et investisseurs, ont également joué un rôle clé. Enfin, l’harmonisation des cadres réglementaires, accompagnée d’une standardisation des données sur les NPL, a renforcé la transparence et attiré de nouveaux investisseurs.
Ces approches ont permis à l’Europe de réduire le volume de ses créances non performantes de 1 000 milliards à 350 milliards d’euros en moins de dix ans, démontrant que des solutions de marché bien conçues peuvent débloquer des capitaux et revitaliser l’activité économique.
Les défis spécifiques du Maroc
Lors de son intervention, Nabil Badr, Directeur Adjoint de la Supervision Bancaire à Bank Al-Maghrib, a insisté sur la nécessité d’un écosystème adapté pour garantir le succès du marché secondaire des créances en souffrance au Maroc. Cela inclut la formation de spécialistes capables de gérer ces actifs complexes, tels que des prestataires externes et des experts en restructuration d’entreprises. Il a également souligné l’importance de disposer de systèmes d’information robustes et numérisés, qui offriront aux investisseurs un accès fiable aux données nécessaires pour évaluer correctement les créances proposées.
Un autre défi majeur concerne l’adaptation des règles fiscales et comptables. Actuellement, les banques ne peuvent sortir les créances irrécouvrables de leurs bilans qu’après cinq ans et après avoir épuisé toutes les voies de recours. Ce délai, combiné aux coûts élevés de gestion et de recouvrement, limite les incitations à céder ces créances. La réforme vise à résoudre ce problème en proposant un cadre fiscal plus souple et en alignant les normes comptables sur les meilleures pratiques internationales.
L’instauration d’un marché secondaire des créances en souffrance pourra transformer profondément le paysage financier marocain, ont insisté les intervenants. Et d’ajouter qu’en permettant aux banques de libérer des fonds immobilisés, ce mécanisme pourrait rediriger ces ressources vers des activités productives, stimulant ainsi la croissance économique. Par ailleurs, la présence d’investisseurs spécialisés encouragera une valorisation plus juste des actifs bancaires, renforçant ainsi la confiance dans le secteur.
Selim Benabdelkhalek