Le Code de la Famille marocain dans sa dernière version adoptée en 2004 a aujourd’hui plus de 18 ans. Est-il encore en phase avec les contraintes d’un Maroc aspirant à la modernité, dont l’égalité du genre est un baromètre majeur ? Qui plus est, dès ses premières années, la Moudawana et une bonne partie de ses articles et dispositions ont créé la polémique. Idem pour son application et la mise en œuvre de ses textes. Ce constat fait l’unanimité y compris au plus haut niveau de l’Etat, dans la mesure où le Souverain, dans son discours du 30 juillet 2022, à l’occasion du 23ème anniversaire de la Fête du Trône, a appelé à la réforme de la Moudawana de 2004 de façon à garantir les droits de la femme et l’homme, sur un même pied d’égalité. Pour débattre en profondeur du sujet et savoir pourquoi une telle refonte est nécessaire, ainsi qu’évoquer les modifications à y apporter, La Nouvelle Tribune a rencontré le Collectif féminin pour un Code de la famille basé sur l’égalité et la dignité. Dans leur QG à Derb Ghallef à Casablanca, Mme Bouchra Abdou, Directrice d’ATEC (Association Tahadi pour l’Egalité et la Citoyenneté), Me Zahia Ammoumou, avocate et consultante d’ATEC, et Me Aicha Guellaa (Présidente de l’Association Marocaine des Droits des Victimes), ont bien voulu nous expliquer en détail les clauses à revoir. Avec grande conviction et détermination, elles estiment qu’il est grand temps de revoir en profondeur la Moudawana tant que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour passer à l’étape suivante, à savoir celle d’une mouture éthique, équitable et égalitaire.
Entretien réalisé par Hassan Zaatit
La Nouvelle Tribune : Quels sont les objectifs et les raisons derrières la création de votre Collectif ?
Mme Bouchra Abdou : Nous avons organisé deux conférences dédiées à la réforme de la Moudawana. Les débats et les discussions dans le cadre de ces deux rencontres ont donné lieu à la création d’un Collectif féministe composé d’actrices associatives issues d’associations locales de proximité en rapport directe avec la population, particulièrement les femmes victimes de violence juridique.
Qu’entendez-vous par violence juridique ?
Mme Abdou : Quand on parle de violence juridique, cela est en rapport avec les textes du Code de la Famille. Le Collectif est venu rassembler toutes les revendications de ces associations en un mémorandum commun à l’adresse des autorités publiques compétentes.
Me Aicha Guellaa : Pour la question de la Moudawana, il est important de préciser que le mouvement féministe prône un changement radical. Le référentiel de la Moudawana vient en premier lieu. D’ailleurs, la Constitution de 2011 cite sans équivoque l’égalité entre les sexes, ainsi que les Conventions Internationales ratifiées par le Maroc. Ce qui veut dire que la refonte de la Moudawana devrait normalement se référer à la Constitution de 2011. Il s’agit là d’un acquis. Ce qui veut dire que toute réforme ou modification apportées à la Moudawana doit absolument se conformer à la Constitution de 2011 dans son article 19 et les Conventions Internationales signées par le Maroc. C’est aussi simple et logique. L’article 400 du Code de la Famille n’a plus raison d’être.
Concrètement, en quoi consiste votre plaidoyer ?
Mme Abdou : Pour le mariage des mineurs d’abord, nous demandons son interdiction définitive. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seules à demander l’annulation pure et simple du mariage des filles mineures.
Quand vous parlez de suppression du mariage des mineurs, est-ce que cela comprend-t-il également la dérogation attribuée au juge en la matière ?
Me Ammoumou : Effectivement, car sur le terrain, on constate que cette exception accordée au juge est devenue la règle. Les autorisations de mariage des mineurs sont données de manière fréquente.
Mme Abdou : En effet, aujourd’hui, beaucoup d’institutions étatiques et constitutionnelles sont pour le maintien de l’âge légal pour le mariage des filles mineures à 18 ans. C’est phénomène social devenu un fléau de plus en plus inquiétant. Nous plaidons ainsi pour l’abolition de l’article 20 ouvrant la porte au mariage précoce des jeunes filles âgées de moins de 18 ans. Deuxièmement, nous pensons que l’article 49 relatif au partage des biens qui reste très ambigu, manque de lois organiques pour ce qui est de son application. C’est dire que lorsque cette question est mentionnée explicitement et de manière contraignante dans le Code de la Famille, elle pourrait ainsi gagner de la valeur et de la crédibilité. Alors que dans le cas actuel, la laisser à la guise du Adoul que rien n’oblige à aviser les parties dans un acte parallèle et distinct de l’acte du mariage, ne relève guère du bon sens pour garantir à la femme son droit au partage des bien dans le cas du divorce. Aussi, il faut l’intervention des institutions publiques telles que la Conservation Foncière, la Trésorerie Générale ou encore le tribunal pour que l’article 49 sur le partage des biens soit applicable et réaliste. Car sur le terrain, très rares sont les couples qui ont prévu un acte distinct sur le partage des biens le moment de la conclusion de l’acte du mariage. Les traditions et les mentalités propres à la société marocaine en sont le plus souvent la cause. Mais le rôle des lois est justement de contribuer à changer les mentalités. Par rapport à la pension alimentaire, il est aujourd’hui plus que jamais important de revoir les montants appliqués, car ils ne répondent plus aux besoins de la scolarisation, l’alimentation, les soins médicaux et l’hébergement des enfants. Nous demandons aussi le prélèvement de la pension à la source et la hausse des montants octroyés par la Caisse d’Entraide Familiale.
Que proposez-vous au sujet de la tutelle légale ?
Mme Abdou : Pour la femme mariée dont l’époux est absent, cette question pose d’énormes problèmes au niveau de l’obtention des documents administratifs pour les enfants. Et c’est là la grande contradiction quand on voit que l’article 54 de la Moudawana, qui s’inspire des Conventions Internationales que le Maroc a signées en matières des droits des enfants ou encore l’article 34 de la Constitution, prive la femme du droit de conclure ou de signer des documents administratifs nécessaires pour l’enfant, notamment dans les domaines de la scolarisation, l’assurance, la santé ou encore le voyage à l’étranger ou encore en cas d’accidents. Pour la femme divorcée, c’est encore pire puisque l’accord de son ex-mari est obligatoire et nous devons le chercher pour qu’il vienne signer, alors que dans la plupart des cas, le refus est systématique, ce qui porte gravement atteinte aux droits des enfants. Nous sommes pour une tutelle commune entre les deux, mais il y a des exceptions quand on est face à un époux irresponsable. Dans ce cas, il faut que la mère ayant la garde des enfants après le divorce ait également leur tutelle légale. Car il est inconcevable de continuer à faire bénéficier l’homme seul de la tutelle légale, quand il est souvent absent, n’assumant pas la pension alimentaire, ni l’éducation des enfants et ne se soucie même pas de les rendre visite. Nous estimons que la tutelle légale telle qu’elle est prévue dans le Code de la Famille est une loi injuste à l’égard à la fois des femmes et des enfants. Il est également important de préciser que la loi privant la femme de son droit à la Hadana de ses enfants en cas de son remariage, doit être abolie car étant injuste et sanctionne la femme de mener une vie de la manière la plus naturelle et normale après un premier mariage voué à l’échec. Dans notre plaidoyer, nous appelons pour le maintien seulement de trois formules du divorce, à savoir Achiqaq, le divorce par « commun accord » et le divorce pour Absence. D’ailleurs, les statistiques ont démontré que le divorce par commun accord et Achiqaq enregistrent les taux plus élevés dans les tribunaux.
Me Guellaa : Dans le même sens, je pense que le Don de Consolation (Al Moutaâ) accordé à la femme en cas de divorce doit cesser dans les jugements. Il faut l’annuler et le remplacer par la notion de dommages-et-intérêts. Par principe d’égalité entre l’homme et la femme, il faut recourir au DOC pour dédommager la partie lésée par l’acte de divorce, qu’elle soit aussi bien la femme que l’homme. Car une fois arriver au stade de divorce, il faut passer au Code Civil, et non à la Moudawana.
Pourquoi, selon vous, la reconnaissance de la filiation paternelle pose-t-elle toujours problème ?
Me Ammoumou : L’expertise génétique existe effectivement dans la Moudawana. Certes c’est une première dans le Code de la Famille, mais elle a été limitée au seul cas des fiançailles annoncées en présence des familles. Néanmoins, et c’est important de le préciser, les fiançailles ne sont qu’une promesse de mariage, pourtant c’est le seul cas où le juge permet le test ADN pour prouver la filiation paternelle en dehors de l’institution du mariage. Ce qui veut dire que si la loi tolère l’expertise génétique dans les situations de fiançailles, on se demande pourquoi ne pas la généraliser aux autres cas donnant naissance à des enfants en dehors d’une relation conjugale ! Nous pensons que la filiation paternelle devrait dorénavant s’appuyer uniquement sur l’expertise génétique via l’ADN. Car l’essentiel reste la protection des droits et la dignité des enfants nés en dehors de l’institution familiale. Nous pensons notamment à ces enfants nés d’un viol ou encore victimes d’un père irresponsable.
Me Guellaa : A cette question, il faut couper court et arrêter avec ce débat. Nous sommes en 2023 et on a toujours un texte qui n’oblige pas le juge à recourir à l’ADN pour prouver Al Nasab. L’expertise génétique doit être obligatoire et systématique pour cette question de la filiation paternelle. Je ne sais pas pourquoi on cherche à compliquer les choses, alors que les grands perdants restent les enfants nés dans des conditions autres que les relations conjugales.
Peut-on savoir où en êtes-vous aujourd’hui avec votre plaidoyer ?
Mme Abdou : Pour notre plaidoyer, nous allons rencontrer le ministre de la Justice très prochainement, ainsi que la ministre de la Famille, la Présidence du Ministère Public, les groupes parlementaires des partis politiques et les députés. Actuellement, nous sommes en train de discuter des possibilités d’organiser des conférences au Parlement pour débattre de notre plaidoyer pour une Moudawana égalitaire. Nous voulons que notre collectif soit fort, à même d’arracher les droits pour lesquels nous militons. Je tiens à préciser quand même que nos revendications sont réalistes et immédiates.
L’application des articles de la Moudawana nécessite-t-elle donc un véritable travail de fond ?
Me Ammoumou : La problématique n’est pas uniquement dans le texte en soi. En effet, son interprétation par les magistrats déçoit le plus souvent. Nous pensons au sein de notre Collectif que pour un nouveau Code de la Famille, il faut au préalable une magistrature spécialisée. Encore faut-il savoir si le juge se conforme au texte pour demander une enquête sociale sur la fille mineure, son dossier médicale et physique, la présence des parents…Et là, quid de sa propre culture, son éducation et sa mentalité pour prendre la décision adéquate ? On doit souligner toutefois que l’interdiction du mariage des filles mineurs doit être accompagnée par l’accompagnement et le soutien de l’État qui est appelé à se mobiliser pour assurer à ces filles leur droit à l’école et à la formation. La même chose pour la Hadana qui nécessite une lecture raisonnable, car il est inconcevable de priver la femme de son droit à la Hadana de son enfant à l’âge de 7 ans si cette dernière veut se remarier. Alors que si ce même enfant souffre d’un handicap, sa mère peut le garder même s’elle veut se remarier. Je pense que la femme divorcée au Maroc reste otage de ses enfants. Là aussi, le juge est appelé à enquêter et oser demander au père s’il était à la hauteur de ses engagements à l’égard de son enfant. Le problème est que souvent le juge du tribunal de Première Instance prononce des verdicts audacieux et sages, mais ils sont très vite rejetés par le juge d’Appel. Ce qui n’a pas permis, entre autres, à la Moudawana d’évoluer sur le plan de l’interprétation juridique de ses dispositions.
Me Guellaa : Ce qu’il nous faut dans un premier lieu, c’est la loi et ensuite la formation continue des magistrats et des avocats aux valeurs des Droits de l’Homme. Il faut enlever au juge l’autorité d’appréciation à l’instar de ce qui se fait au niveau de la législation pénale. Il faut limiter la marge de manoeuvre des juges. Je pense aussi qu’en la matière, ce ne sont pas le volet technique ou celui des textes qui posent vraiment problème. Il faut se pencher sur la question du référentiel de la Moudawana. Toutes les forces politiques ont voté pour la Constitution de 2011. Donc il faut s’y conformer, et pas question d’inventer des polémiques une fois qu’il s’agit de la Moudawana.
Quel est maintenant votre plan d’action pour les mois à venir ?
Me Ammoumou : A travers les cas que nous traitons au sein de notre action associative, nous avons déjà élaboré un plaidoyer. Nous avons également organisé deux rencontres consacrées à la réforme de la Moudawana avec la participation de magistrats, avocats et le CNDH. Des recommandations ont été formulées à cette occasion faisant l’objet d’un mémorandum. A l’occasion du 8 mars, nous comptons organiser une troisième rencontre avec l’adoption d’autres recommandations à même de renforcer notre plaidoyer pour une Moudawana égalitaire. Notre souhait est de voir notre plaidoyer atterrir au Parlement lors de la prochaine session du Printemps. On rencontre beaucoup de femmes hâtes de voir une nouvelle Moudawana. Nous espérons mettre en place un front fort au sein des institutions publiques pour défendre et soutenir notre plaidoyer. Qu’attendons-nous justement pour aller de l’avant, alors que le Roi a déjà donné son feu vert pour la réforme de la Moudawana ?
En plus de la révision des textes, qu’en est-il de la problématiques des mentalités ?
Mme Abdou : C’est très difficile de changer les mentalités. Il faut d’abord commencer par l’éducation et l’école. Au sein du corps judiciaire, il faut des magistrats formés aux valeurs des Droits de l’Homme et doivent être au courant des Conventions Internationales sur les Droits de l’Enfant et des expériences juridiques d’autres pays.
Me Ammoumou : A souligner toutefois que certains juges osent quand même l’Ijtihad. Je vous donne l’exemple de ce juge qui a rendu un verdict accordant à la femme divorcée son droit au partage des biens, car il considérait le travail domestique comme étant un moyen contribuant à la fructification du patrimoine familiale. Son argument est simple du moment que le législateur a prévu une rémunération due au titre de l’allaitement pour la femme. Malheureusement, ce jugement a été rejeté en Appel arguant le manque de preuves. C’est dire que le parcours des femmes dans les tribunaux est une véritable tragédie. On ne voit pas l’intérêt suprême de l’enfant dans les jugements. Le plus grave, c’est qu’on est en train de combattre ces juges qui osent l’Ijtihad et des interprétations adaptées et clairvoyantes des textes de la Moudawana.
Voulez-vous dire que si c’est le cas, il faut verrouiller les marges d’interprétations et d’appréciation des juges ?
Mme Abdou : Nous sommes pour une mouture explicite, sans ambigüité aucune, sans discrimination et injustice à l’égard des femmes, mais aussi et surtout contraignante. Ce qui est en mesure de contribuer aux changements des mentalités. C’est sûr. En témoigne d’ailleurs l’obligation de la ceinture de sécurité dans la voiture prévue clairement dans le Code de la Route. Pour le Code de la Famille, il faut un dispositif clair et contraignant. De la sorte, on finira par s’y adapter, tous : magistrats, avocats et justiciables. Et c’est à ce niveau-là que la société civile est appelée à exercer sa mission de suivi, du contrôle, de plaidoirie, de manifestation… Malheureusement, ce que nous constatons c’est que la société civile, en particulier les mouvements féministes, n’assure plus ce rôle. Je vous donne l’exemple de la tutelle légale où la démission de ces mouvements est manifeste. En plus d’un texte précis, le ministère de l’Education Nationale doit prévoir dans ses programmes scolaires une matière aux valeurs humaines afin de permettre aux enfants de grandir avec des notions des Droits de l’Homme. Malheureusement, la démission de tous laisse les enfants à la merci des réseaux sociaux avec des discours et des orientations irresponsables prônant la discrimination et la Hogra. C’est dire que pour changer les mentalités, il faut travailler sur plusieurs fronts.
Pouvez-vous nous citer des cas concrets où l’application de la Moudawana a démontré ses limites ?
Me Ammoumou : Lors d’une situation de divorce, le domicile conjugal revient au mari s’il en est le propriétaire, alors que la femme se trouve obligée de quitter avec ses enfants moyennant un montant de loyer d’un logement après les trois mois de viduité (Al Idda). La femme se trouve ainsi avec ses enfants dans un autre logement, le plus souvent loin d’être décent, sachant la flambée aujourd’hui des prix des loyers. Idem pour les frais de scolarisation, car la Moudawana ne parle pas des droits de scolarisation, étant donné qu’ils sont inclus dans la pension alimentaire. C’est-à-dire que, du jour au lendemain, la femme se trouve incapable de payer les frais de l’école privée pour ses enfants, obligés de migrer vers le public, d’où le devoir de l’Etat de mettre en place des écoles publiques à la hauteur. C’est dire qu’aujourd’hui, les frais de scolarisation et des soins doivent être mentionnées au même titre que les frais de logement et en dehors de la pension alimentaire. Autrement et c’est que nous vivons sur le terrain, le plus souvent, ces femmes abandonnent leurs enfants au profit du mari, car elles préfèrent que ces derniers continuent à vivre au même niveau social après le divorce. J’ai un cas aujourd’hui où une femme a vu son enfant préférer vivre chez sa grand-mère, ainsi que l’autre qui ne veut plus continuer ses études. Mais où est le respect du principe de l’intérêt suprême de l’enfant prévu dans les textes de lois puisque sur le terrain et dans les jugements, on ne le voit pas ?
Me Guellaa : Par manque de formations continues aux Droits de l’Homme et Droits de l’Enfants, je vous donne l’exemple de ces juges et avocats qui ne débattent même pas du droit de l’enfant de rester dans l’école où il a été inscrit, alors que la Constitution de 2011 et la Moudawana parlent de l’intérêt suprême de l’enfant. La question des enfants est très importante car si la femme est mature et peut se débrouiller et assumer, la situation est encore plus délicate pour ces enfants qui ont vu leur vie changer radicalement. Que dire aussi de ces montants de pension alimentaire pour les enfants de 300 Dhs !
Me Ammoumou : Cette question de tutelle légale est d’une gravité inédite, car c’est de la dignité de la femme et de son statut social qu’il s’agit. Cela concerne toutes les femmes y compris des juges femmes ou encore des pilotes femmes, des universitaires toujours incapables de mener une vie normale après le divorce à cause de toutes ces lacunes de fond que ce soit au niveau de la Hadana, le droit à ses enfants, la tutelle légale, le partage des biens…Vous avez aussi l’exemple de beaucoup de femmes qui doivent attendre que son enfant ait l’âge de 18 ans pour lui souscrire un compte bancaire par crainte que son père en profite, ou encore s’oppose à toute opération bancaire, étant donné qu’il faut sa signature en tant que tuteur légal par la force de la loi, sachant qu’il n’a jamais mis un centime dans ce compte bancaire alimenté en bonne partie par la mère. Aussi, beaucoup de femmes s’abstiennent de souscrire à un compte d’épargne pour les études de ses enfants pour les mêmes raisons.
Me Guellaa : Nous avons également le cas d’un mari condamné à 30 ans de prison, alors que sa femme divorcée souffre à chaque fois qu’un de ses enfants a besoin d’un document administratif. Nous avons vécu le cas d’une femme dont l’enfant avait besoin d’une opération chirurgicale d’urgence nécessitant l’accord des parents, sauf que son ex-mari n’a pas voulu donner l’accord. C’est hallucinant.
Un mot pour conclure ?
Me Guellaa : Nous sommes pour une véritable refonte de la Moudawana et pas question de se contenter de modifier quelques textes pour prétendre qu’on l’a réformée. La refonte de la Moudawana doit absolument se référencier à la Constitution de 2011 et les Conventions Internationales. En parallèle il faut une dynamique sociétale, une volonté politique et des moyens matériels d’accompagnement. Et pour une application correcte de la Moudawana, il faut aussi de la spécialisation et des tribunaux spécialisés.
Me Ammoumou : La réforme des textes est fondamentale, mais il faut les ressources humaines et logistiques adéquates. Il faut une justice spécialisée à jour de la sociologie, la psychologie, les Conventions Internationales…Tous les ministères, notamment l’Education et l’Intérieur, doivent accompagner la réforme. Car la Moudawana est une affaire sociétale. De mon côté, je reste optimiste. Notre plaidoyer ne vise personne et prétend l’intérêt général de l’institution familiale marocaine. Autrement, si on continue à mettre les bâtons dans les roues, ce sont la femme et l’enfant qui sont les perdants.
Mme Abdou : La société civile, particulièrement le mouvement féministe, doit assumer sa responsabilité dans l’étape actuelle à travers des revendications avancées et précises. L’Etat doit aussi faire preuve de mobilisation. L’acteur politique doit aussi y croire. Je suis optimiste et notre collectif restera mobilisé et déterminé pour une Moudawana égalitaire et éthique.
Me Geullaa : Les militantes féministes sont toujours optimistes. C’est pour cela qu’on continue de militer.
Me Ammoumou : En ce qui me concerne, je suis optimiste. Le message royal donné à l’occasion de la Fête du Trône dont une bonne partie a été consacrée à la femme est un signal fort. Les associations de la société civile et les mouvements féministes doivent préparer un dossier revendicatif consistant. Moi, en tant qu’avocate dans une affaire donnée, je dois avoir les éléments nécessaires pour convaincre le juge. Mais je dois disposer aussi d’un texte. Le travail de notre Collectif émane de la base et le changement escompté viendra de la base. Notre Collectif est constitué justement d’associations locales de proximité connaissant parfaitement les véritables problèmes dont souffrent les femmes à cause de la Moudawana, ses articles et son application, ainsi que les causes de l’éclatement familiale où la femme sorte d’un projet de mariage les mains vides.