Nous avons publié la semaine passée un texte de notre excellent ami Saad Khiari, auteur et cinéaste, qui comprenait plusieurs mots dont l’origine est incontestablement issue de la langue arabe.
Il s’agissait pour nos lecteurs de trouver quels étaient ces mots. Le texte ci-après en présente la version qui donne donc en gras ces mots et l’on s’aperçoit que l’appart arabe à la langue française est des plus conséquents comme le prouve la plume avertie de Saad Khiari.
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Les trois hommes d’origine africaine, dormant à même le sable et comme assommés par une nuit sans sommeil, arrivaient à peine à ouvrir les yeux à cause du soleil. Visiblement, ils sortaient d’une mésaventure ou d’une harga qui aurait mal tourné. Le plus résistant d’entre eux parvint à nous faire le récit suivant :
« Mes camarades et moi avions pris tous les risques pour fuir vers l’Espagne. Décidés à faire comme tous les Harragas, nous avions payé le tarif plein et les bakchichs nécessaires, pris nos rations de haschisch et embarqué de nuit, prêts à affronter les récifs, les garde-côtes et le froid. Le chef de bord se prenait pour un nabab, et distribuait généreusement les coups de matraque et de cravache.
En guise de boutre pour embarcation, nous eûmes droit à une simple felouque qui avait déjà connu de nombreuses avaries, calfatées de goudron. Le capitaine qui se faisait appeler Amiral, était un sacré lascar basané à tête de chacal, secondé par un argousin qui parlait un charabia incompréhensible. Partis d’Essaouira, notre tentative de harragas prit fin à Sidi-Kaouki. Nous voilà aussitôt sommés d’abandonner bardas et autres cabans, sous la menace d’une bande de satrapes, probablement des Sarrazins ou des Kroumirs, fanfaronnant avec leurs hoquetons ceints de kandjars lustrés au colcotar et de yatagans rutilants. Leur amiral, plutôt caïd ou pacha, se prenait pour un sultan à la tête d’une véritable smala. Nous étions les victimes d’un véritable trafic. Leur chef au visage pointu de sloughi, avait deviné que nous avions compris la mascarade et souhaitait nous laisser de lui et de ses séides, un souvenir moins désagréable. Il nous proposa de rendre visite à leur marabout pour faire provision de baraka.
Nous voici donc escortés par une longue caravane, précédée d’une très belle fantasia et sous un déluge de baroud vers une gigantesque guitoune, qui sentait le musc et le benjoin et dans laquelle s’affairaient d’innombrables houris, resplendissantes dans leurs caftans en satin et en taffetas, pendant que les favorites se prélassaient sur leurs sofas telles des odalisques aux yeux soulignés de kohl et entourés de carmin. Leurs mains brillant des mille scintillements des lapis-lazuli et décorées de henné, ne lâchaient pas le narguilé d’où s’échappaient des effluves de kif et des odeurs de lointains rivages.
Mais rien ne pouvait effacer les mille senteurs de jasmin, de bergamote, de lilas et de musc. Les hommes, en burnous, affalés sur des matelas recouverts de percale de coton et de repose-têtes en mohair, sirotaient leurs élixirs et leurs alcools, comme dans une joyeuse nouba. Quelques-uns étaient coiffés de fez rouge, en souvenir des lointaines razzias de leurs ancêtres ; d’autres se laissaient bercer par les mélodies de la guitare et du tambour et par la mélancolie du luth.
Le maître des lieux proposa de convoquer un toubib pour nous rassurer. Nous avions opté pour la visite du souk. Ce serait après le hammam, nous avait-on répondu.
Le Souk de la médina était réputé pour ses épices. On avait rempli des couffins d’abricots, d’artichauts, d’aubergines, d’épinards, de limes, de merguez, d’oranges, de pastèques, de potiron, de taboulé et de yaourt. Après avoir pris une tasse de moka à la cardamone, nous nous sommes dirigés vers le bazar aux épices : une vraie merveille pour les sens. Des véritables symphonies de Badiane, d’ambre, d’antimoine, de santal, de bourrache, de cumin, de curcuma, d’estragon, de gingembre, de safran ; bref de quoi faire un très bon tagine ou un bon couscous. Sans compter les variétés de sirops, de sorbets, de gâteaux sucrés et de loukoums. A la sortie nous avions remarqué le marchand de tarama et de boutargue, que les gens du quartier appellent le caviar du pauvre. »
A la fin du récit totalement incohérent, nous ne pouvions savoir s’il s’agissait d’une algarade de mauvais djinns à l’assaut de cerveaux privés de sommeil, ou s’il s’agissait d’une avanie aux dégâts irréversibles. De toutes les manières, c’est kif-kif ; il y aurait un besoin urgent de talisman.
Saad Khiari, auteur et cinéaste