Des forces soudanaises sont déployées le 3 juin 2019 autour du quartier général de l'armée à Khartoum pour disperser des manifestants © AFP ASHRAF SHAZLY
Le bras de fer entre les généraux au pouvoir au Soudan et la contestation a pris une tournure violente lundi avec la dispersion par la force du sit-in des manifestants à Khartoum, qui a fait au moins cinq morts selon un comité de médecins.
Face à l’opération des militaires, les manifestants, qui réclament depuis des semaines un transfert du pouvoir aux civils, ont mis le feu à des pneus et érigé des petits murets avec des briques sur des routes accédant au lieu du sit-in, ainsi que sur d’autres axes de la capitale.
Selon le comité central des médecins soudanais, proche du mouvement de contestation, les forces de l’ordre ont eux tiré dans l’hôpital Charq al Nil et empêchent l’accès au Royal Care, un autre établissement hospitalier de la capitale.
Les relations entre les deux camps se sont tendues à la suite de l’échec le 20 mai des négociations, suivies des mises en garde du Conseil militaire qui dirige le pays depuis le 11 avril, date de la destitution sous la pression populaire du président Omar el-Béchir.
L’escalade est telle, lundi, que les fers de lance de la contestation ont appelé à la « désobéissance civile » dans tout le pays et à « renverser » les généraux au pouvoir.
– « Massacre » –
Des tirs provenant du lieu du sit-in ont été entendus tôt en matinée par un journaliste de l’AFP, qui a fait état d’un déploiement important des forces de sécurité dans les rues de la capitale.
« Une tentative du Conseil militaire de faire disperser le sit-in par la force est en cours », a ensuite déclaré dans un communiqué l’Association des professionnels soudanais (SPA), acteur majeur de la contestation.
Un habitant a déclaré à l’AFP que des forces de police tentaient d’expulser les manifestants d’une rue près du sit-in.
Le Comité central des médecins soudanais a fait état d’au moins cinq morts, des « martyrs » « tués sous les balles du Conseil militaire ».
Il a ajouté vérifier des informations faisant état d’autres morts. Il a par ailleurs indiqué avoir enregistré « un nombre important de blessés graves ayant nécessité des interventions chirurgicales et le placement en soins intensifs ».
La SPA a condamné un « massacre » et appelé les Soudanais à « la désobéissance civile totale pour renverser le Conseil militaire perfide et meurtrier ».
L’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation dont fait partie la SPA, a appelé à l' »intervention urgente » d’organisations humanitaires citant la Croix-Rouge, le Croissant-Rouge et Médecins sans frontières (MSF).
Elle a également appelé dans un communiqué à des « marches pacifiques et des cortèges dans les quartiers, les villes, les villages », et à « renverser le Conseil militaire ».
L’ambassade américaine a réagi sur Twitter en exhortant les généraux à « cesser » cette opération « injustifiée ». Le Conseil militaire en « porte la responsabilité », a-t-elle prévenu.
Depuis le 6 avril, des milliers de manifestants campent devant le siège de l’armée. Après avoir demandé le soutien des militaires contre le président Omar el-Béchir, ils réclament désormais le départ du pouvoir des généraux.
Des négociations entre les deux camps visant à former un Conseil souverain, censé assurer la transition politique pour trois ans, ont échoué le 20 mai. Depuis lors, le Conseil militaire a dénoncé des débordements autour du sit-in, les qualifiant de « menace pour la sécurité et la paix publiques », et a promis d’agir « avec détermination » pour faire cesser cette situation.
– « Sit-in pacifique » –
Plusieurs personnes ont été tuées ces derniers jours dans des circonstances peu claires à proximité du lieu du sit-in.
Des soldats et des agents des forces de sécurité avaient été déployés samedi autour de la rue du Nil, près du lieu du sit-in, empêchant l’accès à cette zone.
La SPA avait accusé le même jour les militaires de « planifier de façon systématique et de s’employer à disperser le sit-in pacifique (…) avec une force et une violence excessives ».
Une grève générale a été observée les 28 et 29 mai à travers le pays par le mouvement de contestation, mobilisant divers secteurs d’activité, pour tenter de faire plier le pouvoir militaire.
Le chef du Conseil militaire au pouvoir, Abdel Fattah al-Burhane, s’est rendu récemment en Egypte, aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite, trois pays qui lui ont affiché leur soutien.
A la tête du Soudan pendant près de 30 ans, Omar el-Béchir a été destitué et arrêté par l’armée le 11 avril sous la pression d’un mouvement inédit déclenché le 19 décembre par la décision des autorités de tripler le prix du pain dans un pays miné par une grave crise économique.
LNT avec Afp