Benkirane, la mémoire courte et les leçons mal placées
Parler de courage politique suppose d’abord d’assumer ses propres contradictions. Abdelilah Benkirane, récemment réélu à la tête du PJD, a préféré, une fois de plus, endosser le costume d’orateur populiste au détriment du sens de l’État. À la faveur d’une actualité tragique qui est le génocide en cours à Gaza, l’ancien chef du gouvernement a multiplié les sorties pour condamner la normalisation entre le Maroc et Israël, s’érigeant en donneur de leçons… tout en oubliant que cette normalisation s’est faite sous l’exécutif dirigé par son propre parti.
Faut-il lui rappeler que c’est bien son successeur, Saad Eddine El Othmani, membre du PJD et alors chef du gouvernement, qui a apposé sa signature au bas des accords tripartites Maroc–États-Unis–Israël ? Ces accords ont certes suscité le débat, mais ils ont été pris dans un contexte géopolitique tendu, où les menaces répétées de notre voisin de l’Est sur l’intégrité territoriale du Royaume imposaient des alliances stratégiques. La reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, fruit direct de cet accord, en est une conséquence que nul ne saurait balayer d’un revers de main.
Mais Benkirane, fidèle à son style, évite soigneusement la cohérence. Il évoque Gaza, parle à raison d’un drame humanitaire et d’un génocide que le monde regarde en silence. Il s’indigne, s’emporte, joue l’homme du peuple, mais instrumentalise une cause juste à des fins partisanes. Là où le monde attend des solutions, lui souffle sur les braises.
Plus grave encore : il a laissé un dirigeant d’un parti d’opposition turc, un État membre de l’OTAN, donc soumis au dictat militaire et stratégique américain, le principal soutien d’Israël, s’exprimer depuis le Maroc dans des termes qui relèvent d’une ingérence manifeste dans notre politique étrangère. Ce même responsable politique, dont le pays partage une frontière maritime et une responsabilité géographique directe dans la région, se permet de sermonner le Maroc, à des milliers de kilomètres de Gaza, alors que sa propre nation, mieux placée pour intervenir, n’a pas levé plus que la voix.
Oui, il y a une ligne rouge à ne pas franchir. Et elle commence lorsque des leaders politiques marocains, portés par l’ivresse du verbe, en viennent à fragiliser la parole de l’État en matière diplomatique. Il ne s’agit pas de nier le droit à la critique car la normalisation avec Israël peut et doit faire l’objet de débats lucides. Mais encore faut-il faire la distinction entre sympathie pour la cause palestinienne, qui est légitime et largement partagée, et récupération politique, confusion des rôles et appels à une désobéissance à peine voilée.
Ce que Benkirane ne dit pas, c’est s’il serait prêt, s’il était réélu chef de gouvernement, à abroger les accords signés. Aurait-il le courage d’annoncer qu’il tournerait le dos à la reconnaissance américaine du Sahara ? Qu’il renoncerait à une carte stratégique dans un contexte de menaces hybrides de plus en plus pressantes ? Qu’il sacrifierait des intérêts nationaux vitaux sur l’autel de la posture idéologique ? Le silence sur ce point est assourdissant.
La politique étrangère d’un pays ne se décide ni sous le coup de l’émotion, ni au micro d’un meeting. Elle se construit dans la durée, avec discernement, en plaçant les intérêts supérieurs de la Nation au premier plan. En ce sens, le Maroc, depuis le retour de la question palestinienne au centre de l’actualité, a multiplié les initiatives humanitaires, diplomatiques et symboliques pour exprimer son soutien indéfectible au peuple de Gaza, tout en maintenant fermement sa boussole et son cap : la préservation de sa souveraineté.
Les Marocains ont le cœur à Gaza, mais les pieds bien ancrés dans leur réalité nationale. Ils attendent de leurs dirigeants des projets, des visions, des réponses concrètes aux défis économiques, sociaux et territoriaux. Pas des sermons théâtraux aux relents d’incohérence.
Il est temps que Benkirane, et avec lui tout responsable politique aspirant à gouverner, comprenne qu’on ne bâtit pas un avenir national sur les ruines du calcul électoral.
