Alors que les analystes étaient très partagés à l’approche du 2ème Conseil de Bank Al-Maghrib de l’année, avec une légère prévalence pour la prévision d’une nouvelle hausse du taux directeur de 25 pbs, c’est finalement le choix du statu quo qui a prévalu, avec un maintien du taux à son niveau de 3%. Dans son communiqué, Bank Al-Maghrib a toutefois choisi d’utiliser les termes « marquer une pause dans le cycle de resserrement de la politique monétaire », laissant présager la probabilité de futures hausses du taux directeur.
Ce même mot a d’ailleurs été utilisé par le Wali de BAM, M. Abdellatif Jouahri, lors du point de presse tenu à l’issue du conseil : « Nous sommes dans une pause, et nous laissons les choses venir pour les réunions prochaines à la lumière de nos évaluations ». Après avoir insisté sur l’indépendance de la banque centrale, le gouverneur a rappelé que le conseil prend ses décisions, dans le but premier d’éviter le désancrage des anticipations d’inflation : « Si vous entrez dans ce cercle non-vertueux, vous aurez des conséquences plus lourdes et serez obligés de prendre des mesures plus draconienne ».
Quant aux effets des trois dernières hausses sur l’économie réelle, selon les chiffres de BAM, le taux débiteur moyen des crédits aux entreprises a pris +95 pbs depuis la première hausse du TD, et celui des crédits aux particuliers +49 pbs. Ainsi, a expliqué le Wali, ils n’ont pas encore suivi l’augmentation de 150 pbs du taux directeur. Et de mentionner avoir écrit une lettre au GPBM à ce sujet, notamment en ce qui concerne le « risque encouru » par les banques. Et en ce qui concerne l’impact de ces hausses sur l’acte d’investir, M. Jouahri a rappelé qu’à la lumière d’une étude récente, la question du financement n’arrive qu’en 8ème position dans les facteurs de décision d’investir.
Côté chiffres, selon les projections de BAM, l’inflation a connu une accélération en 2022, atteignant un pic de 10,1% en février 2023. Depuis lors, elle a commencé à ralentir mais reste à des niveaux élevés, principalement en raison de la hausse des prix des produits alimentaires frais. Pour l’ensemble de l’année, l’inflation devrait se situer en moyenne à 6,2% en 2023, puis descendre à 3,8% en 2024. La composante sous-jacente de l’inflation devrait suivre une trajectoire similaire, passant de 6,6% en 2022 à 6,1% cette année, puis à 2,9% en 2024, proche du taux cible de BAM.
Sur le plan économique, la sécheresse persistante et un environnement international défavorable continuent de peser. La croissance de la valeur ajoutée dans le secteur agricole devrait être limitée à 1,6% en 2023, après une contraction de 12,9% l’année précédente. En 2024, la croissance devrait rebondir à 5,5%, en supposant une récolte céréalière de 70 MQt. Pour les secteurs non agricoles, la croissance de la valeur ajoutée devrait ralentir de 3% en 2022 à 2,5% en 2023, puis s’accélérer à 3,2% en 2024. En somme, après une hausse de 8% en 2021 et une décélération à 1,3% en 2022, la croissance économique devrait atteindre 2,4% cette année et s’améliorer à 3,3% en 2024.
En ce qui concerne les comptes extérieurs, les échanges de biens devraient diminuer cette année, avec une baisse prévue de 2,8% des exportations, principalement en raison de la diminution des ventes de phosphate et de ses dérivés. Cependant, les exportations devraient augmenter de 6% en 2024, soutenues par la hausse des expéditions dans le secteur automobile. Parallèlement, les importations devraient diminuer de 2,2%, principalement en raison de la réduction de la facture énergétique, puis augmenter de 2,9% en 2024, en raison notamment de la hausse prévue des achats de produits finis de consommation et de biens d’équipement. Les recettes du tourisme devraient progresser de 14,9% en 2023, atteignant 107,6 MMDH, puis se stabiliser en 2024. Les transferts des Marocains résidant à l’étranger devraient également augmenter, avec une croissance annuelle d’environ 3,5%, atteignant 114,7 MMDH en 2023 et 118,7 milliards en 2024. Le déficit du compte courant devrait s’établir autour de 2,5 Le déficit du compte courant devrait s’établir autour de 2,5% du PIB en 2023 et en 2024, après 3,5% en 2022. Les réserves officielles de change devraient atteindre 361,2 MMDH à fin 2023, puis 357,9 milliards à fin 2024, représentant une couverture d’environ 5 mois et demi d’importations de biens et de services.
En ce qui concerne les conditions monétaires, le besoin de liquidité des banques devrait s’accentuer, atteignant 107,1 MMDH à fin 2023 et 118,3 milliards à fin 2024, principalement en raison de l’expansion de la monnaie fiduciaire. Le crédit bancaire au secteur non financier devrait augmenter de 3,7% en 2023 et de 4,4% en 2024. Le taux de change effectif réel devrait s’apprécier de 0,8% en 2023 et de 1,2% en 2024, en raison de l’appréciation de la monnaie nationale en termes nominaux et d’un niveau d’inflation domestique supérieur à celui des pays partenaires et concurrents commerciaux.
Enfin, du côté des finances publiques, les recettes ordinaires ont augmenté de 4,2% au cours des cinq premiers mois de 2023, principalement en raison de la hausse des recettes fiscales. Les dépenses globales ont également augmenté de 6,8%, en particulier les dépenses d’investissement et les charges d’intérêts de la dette extérieure. En tenant compte des mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, le déficit budgétaire devrait atteindre 5% du PIB en 2023, puis revenir à 4,3% du PIB en 2024, grâce notamment à la baisse prévue des subventions et à la hausse des recettes non fiscales.
Des chiffres qui globalement évoluent dans la bonne direction, même si nombre d’incertitudes persistent. Rendez-vous donc à la prochaine réunion du Conseil, car, comme l’a souligné M. le Wali Jouahri, le manque de données disponibles au Maroc, et surtout la faible fréquence de leur mise à jour, empêche un suivi et une réactivité comparables à la FED américaine…
Selim Benabdelkhalek