Le Conseil de Bank Al-Maghrib a tenu ce mardi 22 septembre sa troisième réunion trimestrielle de l’année 2020. Lors de cette réunion, il a analysé les développements de la conjoncture économique et sociale et les projections macroéconomiques à moyen terme de la Banque. Ces dernières ont été ajustées par rapport à l’édition de juin à la lumière des données disponibles, de l’évolution de la situation sanitaire et de la réponse des autorités. Le scénario central qui en découle table sur une contraction plus prononcée de l’économie en 2020, suivie d’un relatif rebond en 2021. Il reste cependant entouré d’un degré exceptionnellement élevé d’incertitudes liées notamment à l’évolution de la pandémie et à ses conséquences aussi bien au niveau national qu’international.
Le Conseil s’est enquis par la suite de la transmission des décisions de politique monétaire prises depuis le début de la pandémie pour soutenir le financement de l’économie, atténuer l’impact de la crise et favoriser la relance, ainsi que du bilan des différentes mesures adoptées par le Comité de Veille Economique.
Sur la base de ces évaluations, le Conseil a jugé que les conditions de financement de l’économie restent adéquates et a décidé de maintenir le taux directeur inchangé à 1,5%, tout en continuant de suivre de très près l’ensemble de ces évolutions.
Le Conseil a noté qu’après une stagnation au deuxième trimestre et une légère baisse en glissement annuel en juillet, l’indice des prix à la consommation s’est accru de 0,9% en août sous l’effet d’une hausse des prix des produits alimentaires à prix volatils. Sa progression moyenne sur les huit premiers mois de l’année est ressortie ainsi à 0,7%. Dans un contexte marqué par de faibles pressions émanant de la demande, l’inflation continuerait d’évoluer à des niveaux bas, ressortant à 0,4% en moyenne en 2020 avant de s’accélérer modérément à 1% en 2021.
Sur le plan international, les données récentes relatives en particulier au deuxième trimestre 2020 confirment l’ampleur de la récession prévue. Cette dernière serait la plus profonde depuis la grande dépression de la fin des années 20 du siècle dernier. De plus, les perspectives à moyen terme restent entourées de très fortes incertitudes en relation notamment avec l’évolution de la pandémie. Celle-ci est marquée ces dernières semaines par la recrudescence des cas d’infections qui laisse présager une deuxième vague de contaminations dans plusieurs pays, en particulier chez nos principaux partenaires européens. Le scénario de base table pour la zone euro sur un recul du PIB de 9,1% cette année, suivi d’une croissance limitée à 3,1% en 2021. Pour l’économie américaine, elle devrait accuser une contraction de 5,3%, avant de rebondir de 4% en 2021. Sur le marché du travail, le taux de chômage est passé aux Etats-Unis en deux mois de son plus bas niveau en un demi-siècle, soit 3,5% enregistré en février, à son plus haut en près de 90 ans, soit 14,7% en avril, avant de reculer progressivement pour se situer à 8,4% en août. Il devrait poursuivre sa baisse graduelle pour avoisiner 8% en 2021. Dans la zone euro, ce taux ne devrait pas connaître de variation importante, s’établissant à 7,6% en moyenne en 2020 et à 7,1% en 2021, grâce essentiellement aux dispositifs de maintien de l’emploi. Dans les principaux pays émergents, la croissance resterait positive en Chine en 2020, avec un taux prévu à 0,8%, avant de s’accélérer à 7,5% en 2021, alors qu’en Inde, le PIB chuterait de 4% cette année et rebondirait de 8,5% en 2021.
Sur les marchés des matières premières, le prolongement par les pays de l’OPEP+ de l’accord de réduction de l’offre, d’une part, et le recul des stocks et de la production aux Etats-Unis, d’autre part, ont induit une inversion de la tendance baissière depuis fin avril dernier des prix du pétrole. Ces derniers ressortiraient toutefois en baisse sur l’ensemble de l’année. Le cours du Brent, en particulier, devrait diminuer de 32,7% à 43,1 $/bl en moyenne en 2020, avant d’augmenter à 55,7 $/bl en 2021, sous l’effet notamment de la reprise attendue de la demande. Pour ce qui est des cours des phosphates et dérivés, ils ont évolué durant les huit premiers mois de l’année à des niveaux inférieurs à ceux observés en 2019. Ils devraient ressortir en recul en 2020 à 78 $/t en moyenne pour le phosphate brut et à 285 $/t pour le DAP, avant de progresser à 81 $/t et à 295 $/t respectivement en 2021.
Dans ce contexte de fortes pressions désinflationnistes, le taux d’inflation devrait s’établir en 2020 à 0,6% dans la zone euro et à 1,1% aux Etats-Unis. En 2021, il resterait dans la zone euro bien en deçà de l’objectif de la BCE, s’établissant à 1,4% et atteindrait 2,5% aux Etats-Unis. Pour ce qui est des décisions de politique monétaire, après une série de mesures d’une ampleur exceptionnelle au cours de la première moitié de 2020, les banques centrales des principales économies avancées ont maintenu l’orientation accommodante de leur politique monétaire. La BCE a ainsi décidé à l’issue de sa réunion du 10 septembre de maintenir inchangés ses taux d’intérêt directeurs et de poursuivre la réalisation de son programme d’achats d’urgence face à la pandémie dont le montant total s’élève à 1.350 milliards d’euros et ce, au moins jusqu’à fin juin 2021 et, dans tous les cas, jusqu’à ce qu’elle juge que la crise est passée. Elle a réitéré qu’elle poursuivra ses achats nets au titre du programme d’achats d’actifs à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros, ainsi que ceux sous l’enveloppe temporaire additionnelle de 120 milliards d’euros. Elle continuera aussi à fournir une liquidité abondante via ses opérations de refinancement. Pour sa part, au terme de sa réunion des 15-16 du mois courant, la première après la refonte de son cadre de politique monétaire, la FED a décidé de garder inchangée la fourchette cible du taux des fonds fédéraux à [0%-0,25%]. Elle prévoit de maintenir cette fourchette jusqu’à ce que les conditions du marché du travail aient atteint des niveaux conformes avec ses évaluations de l’emploi maximum et que l’inflation ait évolué en ligne avec sa nouvelle orientation en matière de stabilité des prix. Elle a également indiqué qu’elle augmentera ses avoirs de titres du Trésor et des titres hypothécaires au cours des prochains mois au moins au rythme actuel afin de maintenir le bon fonctionnement du marché et contribuer à favoriser des conditions financières accommodantes.
Au niveau national, les dernières données des comptes nationaux restent celles relatives au premier trimestre 2020 et ne reflètent donc que partiellement l’effet de la pandémie sur l’économie. Elles font ressortir une forte décélération de la croissance à 0,1% contre 2,8% le même trimestre un an auparavant. Pour l’ensemble de l’année 2020, la prévision annoncée en juin a été ajustée à la baisse au regard du redémarrage plus lent que prévu de l’activité, de la mise en place de certaines restrictions locales ou sectorielles suite à la recrudescence des infections, ainsi que de la poursuite de la fermeture quasi-totale des frontières pour les voyageurs. L’économie nationale devrait ainsi connaître, selon le scénario de base retenu par Bank Al-Maghrib, une contraction de 6,3% avec des reculs de 5,3% de la valeur ajoutée agricole et de 6,3% de celle des secteurs non agricoles. En 2021, le PIB rebondirait de 4,7%, porté par une hausse de 12,6% de la valeur ajoutée agricole, sous l’hypothèse d’une récolte céréalière de 75 millions de quintaux, et par une amélioration de 3,7% de celle non agricole.
Ces perspectives qui restent entourées d’un niveau exceptionnellement élevé d’incertitudes liées notamment à l’évolution de la pandémie, à l’ampleur de ses retombées ainsi qu’au rythme de la reprise, vont devoir être régulièrement actualisées.
Sur le marché du travail, les données du HCP relatives au deuxième trimestre indiquent une perte nette, par rapport au même trimestre de 2019, de 589 mille emplois dont les quatre cinquièmes enregistrés au niveau de l’agriculture. En outre, près des deux tiers des personnes ayant préservé leurs emplois ont travaillé moins que d’habitude et le volume horaire hebdomadaire par personne a reculé de 45 à 22 heures, une baisse ayant concerné essentiellement les secteurs non agricoles. En parallèle, le nombre d’actifs a diminué de 93 mille personnes et le taux d’activité a reculé de 45,8% à 44,8%. Dans ces conditions, le taux de chômage s’est aggravé de 8,1% à 12,3% globalement, de 11,7% à 15,6% dans les villes et de 3% à 7,2% dans les campagnes.
Sur le plan des comptes extérieurs, les exportations de biens ont reculé, en glissement annuel, de 17% à fin juillet, tirées notamment par des replis des ventes de 28,7% pour le secteur automobile et de 29,5% pour le textile. En regard, les importations ont connu une baisse de 17,5%, reflétant essentiellement des régressions de 18,5% des acquisitions de biens d’équipement et de 24,8% des achats de produits finis de consommation, ainsi qu’un allégement de 31,6% de la facture énergétique. Quant aux recettes de voyage, leur reflux s’est accentué à 44,1% alors que celui des transferts des MRE s’est limité à 3,2%. Pour l’ensemble de l’année, les exportations ressortiraient, selon les prévisions de Bank Al-Maghrib, en chute de 16,6% avant d’augmenter de 22,4% en 2021, portées en particulier par la progression prévue des expéditions du secteur automobile. En parallèle, les importations de biens se contracteraient de 17,4% avant de s’accroître de 17% en 2021. S’agissant des recettes de voyage, elles ressortiraient en forte diminution, passant de 78,8 milliards de dirhams en 2019 à 23,9 milliards en 2020 et rebondiraient à 49,1 milliards en 2021. Plus résilients à la crise, les transferts des MRE accuseraient une baisse limitée de 5% à 61,5 milliards avant de s’améliorer de 2,4% à 63 milliards en 2021. Dans ces conditions, et tenant compte de rentrées de dons à hauteur de 7,2 milliards de dirhams en 2020 et de 2,6 milliards en 2021, le déficit du compte courant devrait se creuser à 6% du PIB en 2020, au lieu de 10,3% prévu juin, et s’alléger à 5,2% du PIB en 2021. Concernant les entrées d’IDE, elles reculeraient à l’équivalent de 1,5% du PIB cette année, contre 2,9% du PIB en 2019, avant de revenir en 2021 au niveau moyen observé avant la crise. Ainsi, tenant compte de la mobilisation exceptionnelle des financements extérieurs, l’encours des avoirs officiels de réserve avoisinerait 294,7 milliards de dirhams à fin 2020 et 289 milliards à fin 2021, soit une couverture autour de 6 mois et 20 jours d’importations de biens et services.
Concernant les conditions monétaires, l’encours du crédit bancaire au secteur non financier s’est accru, en glissement annuel, de 6% à fin juillet, en relation principalement avec l’augmentation importante des prêts de trésorerie accordés aux entreprises privées. Il devrait, tenant compte de l’évolution prévue de l’activité économique et de l’effet attendu du programme Intelaka ainsi que des différentes mesures de soutien et de relance, enregistrer une progression autour de 4% en 2020 et en 2021. Reflétant essentiellement la réduction de 25 points de base du taux directeur opéré en mars dernier, les taux débiteurs ont reculé de 29 points de base à 4,58% en moyenne au deuxième trimestre, baisse ayant profité aussi bien aux grandes entreprises qu’aux TPME. Ce repli devrait se poursuivre au regard de la réduction de 50 points de base du taux directeur opérée en juin et de la mise en place de dispositifs de garantie pour le financement de la relance à des conditions indexées sur ce taux. Pour sa part, le taux de change effectif réel, après une appréciation de 1,1% en 2019, devrait se déprécier de 0,8% en 2020 et de 2% en 2021, résultat d’une dépréciation en termes nominaux ainsi que d’un niveau d’inflation domestique inférieur à celui des pays partenaires et concurrents commerciaux.
Pour ce qui est des finances publiques, l’exécution budgétaire au terme des huit premiers mois de l’année fait ressortir un déficit de 46,5 milliards de dirhams, contre 35,2 milliards un an auparavant et ce, compte tenu du solde positif de 9 milliards du fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie. Les recettes ordinaires ont régressé de 6,5%, impactées par le recul de 8,4% des rentrées fiscales. En parallèle, les dépenses globales ont augmenté de 2,5%, traduisant essentiellement une hausse de 8,3% des charges au titre des autres biens et services, alors que les dépenses d’investissement ont diminué de 4,7% et celles au titre de la compensation de 6,4%. Avec la réduction du stock des opérations en instance de 1,6 milliard, le déficit de caisse s’est établi à 48,1 milliards de dirhams, en creusement de 3,2 milliards par rapport à son niveau à fin août 2019. Ce besoin a été couvert par des ressources intérieures d’un montant net de 32,8 milliards et par des concours extérieurs nets de 15,2 milliards. Tenant compte des données de la loi de finances rectificative 2020 et de la poursuite de la mobilisation des financements spécifiques en 2021, le déficit budgétaire, hors privatisation, devrait s’aggraver de 4,1% du PIB en 2019 à 7,9% cette année, avant de s’atténuer à 5,1% en 2021. Outre les ressources internes, le financement des besoins du Trésor est assuré par une mobilisation exceptionnelle des financements extérieurs. La dette du Trésor augmenterait ainsi de 65% du PIB en 2019 à 76,1% en 2020 et se situerait à 75,9% en 2021.
LNT avec CdP