M. Hassan Boubrik, Président de l'ACAPS
Le secteur des assurances au Maroc vit une véritable mue réglementaire avec la mise en place du nouveau cadre prudentiel « Solvabilité Basée sur les Risques – SBR ». Une démarche qui s’inscrit dans la mise à niveau des normes du secteur des assurances et qui permet d’accroître de façon importante la fiabilité, la solidité et la transparence des compagnies, en pleine conformité avec les standards internationaux
En effet, et à l’image de la réglementation prudentielle bancaire qui a renforcé le système bancaire, l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale, ACAPS poursuit les mêmes objectifs pour le secteur des assurances.
Se basant sur Solvency 2, (un ensemble de règles fixant le régime de solvabilité applicables aux entreprises d’assurances dans l’Union européenne), et sur les normes de l’IAIS en matière de solvabilité basée sur les risques, l’ACAPS s’engage dans cette voie tout en tenant compte de la taille du marché et de ses spécificités car s’il faut voir grand, il faut commencer petit.
Les piliers de la réforme
Interrogé à ce sujet, M. Boubrik, Président de l’ACAPS, a bien voulu nous confirmer qu’il menait ce large chantier à travers l’adoption de normes qui reposent sur trois piliers :
Le premier, quantitatif, pour définir les ratios à respecter par les compagnies en matière de capital de solvabilité requis et de fonds propres ;
Le deuxième, qualitatif, qui porte sur la gouvernance et la gestion des risques ;
Et enfin le troisième pilier qui traite de l’information destinée à l’Autorité et au public.
Concernant le pilier qualitatif, l’ACAPS a pratiquement finalisé avec le secteur, la circulaire sur ce chapitre, laquelle va renforcer de manière très substantielle les exigences imposées aux compagnies et qui se déploient en 54 articles. De manière générale, cette circulaire porte sur les obligations en matière de gouvernance.
Ainsi une compagnie doit pouvoir exciper d’une gouvernance très claire, avec une définition du rôle du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance, idem pour celui du PDG ou du Président du Directoire, avec une articulation des pouvoirs entre les différents organes.
Par ailleurs, la circulaire aborde toutes les fonctions clés d’audit interne, de gestion des risques, ainsi que la fonction conformité.
Celle actuarielle sous forme d’exigence, ce qui n’est pas le cas dans la réglementation actuelle.
Calcul du coût réel
En effet, si cette dernière existe, elle n’a pas une indépendance consacrée par la réglementation sur toute la politique de souscription de la compagnie.
Pour les tarifs, par exemple, on ne peut pas établir un tarif en se basant sur ceux des autres en les réduisant un peu pour rendre son offre attrayante. Il faut calculer le coût réel des produits et le projeter sur les années suivantes.
Il s’agit donc d’introduire l’objectivité et la rationalité dans ces fonctions en les projetant dans le temps pour en assurer la continuité. A tel point que la fonction actuarielle doit faire l’objet d’un rapport annuel transmis au Conseil.
De plus, avec la nouvelle réglementation, cette fonction doit non seulement exister, mais se prononcer sur toute la politique de souscription d’une compagnie en amont et pas seulement sur les provisions à constituer en aval.
D’ailleurs, toutes les autres fonctions clés doivent être distinctes dans l’organigramme d’une compagnie, être aussi indépendantes, et doivent se prononcer nécessairement sur tel ou tel aspect de l’activité avec des rapports adressés au conseil.
Avec la nouvelle réglementation des assurances, il s’agit de doter les compagnies à la fois d’une gouvernance et de ressources adéquates pour gérer correctement leurs activités en mettant l’accent sur la gestion des risques auxquels les compagnies sont exposées.
Ce changement réglementaire est fondamental en matière de règles de solvabilité. Avec Bâle, les banques ont progressé de façon significative dans la modernité par leur gouvernance et leur gestion, au-delà du seul respect des normes qui touchent au pilier quantitatif.
Car le pilier qualitatif est le résultat de l’application des règles de bonne gouvernance et il est donc plus important !
L’information, ses systèmes, ses normes
Et pour concrétiser, l’application des nouvelles règles l’ACAPS a également porté dans la nouvelle circulaire des exigences en matière de normes des systèmes d’information qui doivent être audités régulièrement pour rester robustes, fiables et intègres.
Et ce, sachant que l’Autorité de contrôle des assurances, exerce sa mission à travers les rapports que les compagnies doivent lui transmettre avec la priorité d’accompagner le secteur dans une logique de l’amélioration avant d’appliquer des sanctions aux compagnies qui ne s’y conforment pas.
Sur cette partie dite qualitative, la circulaire de l’ACAPS est prête, forte des accords obtenus sur tous ses articles avec les opérateurs du marché et elle sera donc incessamment mise dans le circuit d’adoption !
Car, l’ACAPS travaille en concertation avec les compagnies d’assurance dans deux cadres, celui de la Commission de Régulation et celui du Comité directeur de la Fédération des assurances au sein duquel siègent tous les présidents des compagnies et où ces avancées ont fait l’objet de longues discussions avant d’être adoptées.
En conséquence, sur le pilier 2 de la réforme de la réglementation des assurances, dit qualitatif, il y a eu une parfaite concordance de vues avec le secteur.
La solvabilité et ses nouvelles exigences
Quant au pilier 1, qui porte sur le quantitatif, c’est-à-dire le niveau de fonds propres, l’Autorité de contrôle va exiger des compagnies de nouvelles normes de solvabilité basées sur tous les risques, selon un principe universel.
Le nouveau principe de la solvabilité basé sur tous les risques s’impose à nos assureurs, car il y va de leur crédibilité et de celle du pays du fait de leur internationalisation.
Et, contrairement aux banques qui, sur le plan quantitatif, appliquent une norme universelle de capital imposée dans le cadre de Bâle, son pendant pour les compagnies d’assurance, l’IAIS, édicte des principes et laisse le soin aux diverses juridictions d’en fixer les normes.
C’est ainsi que le Maroc fait le choix d’une méthodologie de calcul pour le bilan prudentiel des compagnies en matière de provisions mathématiques Vie, de fonds propres éligibles et de seuils et modes de calcul pour mesurer leur solvabilité.
Bien sûr, l’objectif reste que les fonds propres puissent faire face à l’ensemble des risques d’une compagnie. Si aujourd’hui seuls les risques de souscription sont couverts par la marge de solvabilité, la nouvelle réglementation des assurances les élargit à ceux de marché et de contrepartie en prenant ainsi en compte les spécificités du secteur, de ses acteurs et de leurs activités.
Par exemple, sur la partie actif et sa répartition, étant donné le peu de possibilités d’investissements, il faut aller vers la « simplicité » en appliquant le principe de proportionnalité.
Consensus
M. Boubrik tient à préciser que sur ce pilier 1 également, il y a un consensus avec le marché sur cette méthodologie qui d’ailleurs est en phase d’expérimentation.
En effet et afin de pouvoir fixer les seuils des exigences quantitatives, un canevas, permettant l’établissement du bilan prudentiel valorisé conformément aux nouvelles règles édictées par le projet de circulaire, a été élaboré et adressé aux compagnies qui ont déjà fait une première restitution, 6 mois après le lancement de de cette première étude d’impact qui a duré de juillet 2018 à janvier 2019.
L’ACAPS a pu ainsi mesurer les conséquences de l’application de ses nouvelles règles d’évaluation des risques.
Aujourd’hui, l’Autorité consolide ces résultats et discute avec chaque compagnie pour mettre à niveau ce dispositif.
Cette démarche sera suivie par une nouvelle étude d’impact après les corrections introduites par chaque compagnie pour réajuster une seconde fois les seuils du canevas. Au terme de ce processus, l’ACAPS arrêtera les règles et les seuils et accordera un temps d’implémentation aux compagnies.
Selon M. Boubrik, le cadre est désormais bien défini, avec des marges de solvabilité, une couverture des réserves, une marge de solvabilité exigée pour des fonds propres minimum, des provisions sur telle ou telle catégorie de risque, au-delà des sinistres qui ne sont que des risques de souscriptions.
En plus, avec la réforme, les risques seront appréhendés de manière générale et les évaluations se feront en «best estimate» et non en valeurs comptables historiques.
Le recours au WEB
Le troisième pilier de la nouvelle réglementation des assurances porte sur l’Information, il dépend naturellement du pilier qualitatif. En effet, dès que la gouvernance est mise en place, les compagnies pourront régulièrement fournir des datas après avoir investi dans des plateformes de communication avec l’Autorité de contrôle, l’échange de données avec le secteur devant impérativement évoluer.
L’ACAPS a déjà commencé avec « Web Inter » qui est une application destinée aux intermédiaires qui fournissaient auparavant des statistiques trimestrielles à l’ACAPS et qui servait de base de communication avec eux.
Aujourd’hui, l’Autorité ne demande plus de telles statistiques, qui lui sont directement fournies par les compagnies, mais la plateforme reste un canal d’échange entre l’ACAPS et les intermédiaires pour la gestion et le suivi de leurs dossiers administratifs.
Quant aux compagnies, l’Autorité développe avec elles une plateforme d’échanges informatiques de données.
Déjà, les reportings trimestriels et les états de synthèses annuels arrivent par ce biais, ce qui facilite les analyses alors que du temps de la DAPS, celle-ci ne disposait pas des chiffres du secteur pour une année donnée, avant le mois de juin de l’année suivante, et ce dans le meilleur des cas.
Ce nouveau cadre réglementaire introduit par l’ACAPS constitue une réelle révolution pour le secteur des assurances !
L’autorité de supervision de ce dernier en adoptant une démarche participative, a pu aboutir à des décisions consensuelles avec les acteurs, qui s’impliquent volontiers dans la concrétisation du nouveau dispositif réglementaire à travers des tests d’application pour une entrée en vigueur de la nouvelle réglementation des assurances en 2020…
Donner du temps
Solvency 2 n’est pas une norme internationale, elle est une directive européenne qui a été faite par l’Europe pour les Européens sur la base du principe de la solvabilité par les risques.
L’ACAPS veut aller vers l’application de cette norme en tenant compte de la taille du marché et de sa simplicité car s’il faut voire grand, il faut commencer petit.
Comme le rôle de Bank Al-Maghrib a été primordial dans la modernisation du secteur bancaire, la même chose doit être faite pour les compagnies d’assurances en donnant le temps de l’adaptation aux nouvelles normes.
Les maux du secteur
De manière générale, le marché de l’assurance reste très rentable et profitable.
Les bénéfices se situent entre 3 et 4 milliards de dirhams par an pour le secteur, avec un taux de rendement des fonds propres variant entre 11% et 12% au mieux, et 8% et 9% au pire, ce qui constitue une rentabilité acceptable.
Ce qui influence les résultats des compagnies d’assurance, c’est le comportement du marché financier, sachant que ces résultats dépendent du rendement des réserves techniques de compagnies, lesquelles diminuent si la bourse sous performe.
Et, si la sinistralité automobile a augmenté en 2018, cela n’empêche nullement que la branche automobile continue à dégager de bons résultats, alors qu’elle a longtemps subventionné les deux autres branches structurellement déficitaires que sont la maladie et l’accident de travail.
Pour M. Boubrik, Président de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance sociale, ce qui est important, c’est que toutes les catégories d’assurance doivent se développer dans la rentabilité.
Bien sûr, il faut de la compétition entre les acteurs du secteur afin que le consommateur bénéficie du juste prix, mais on ne peut pas envisager qu’une branche ou catégorie d’assurance soit techniquement structurellement déficitaire comme c’est le cas des deux citées plus haut.
C’est pourquoi une récente réunion du Comité directeur de la FMSAR a validé par consensus la mise en place d’une provision pour risque tarifaire. Sachant que la maladie, les accidents corporels, l’AT et l’automobile sont structurellement déficitaires et qu’ils représentent des volumes importants pour le secteur des assurances comme par exemple pour la maladie qui atteint 4,5 milliards de dirhams par, les compagnies, en constituant une provision dite pour risque tarifaire, pourront couvrir leurs pertes sur ces produits. Celle-ci va certes agir à la baisse sur leurs résultats, mais les compagnies pourront la libérer progressivement quand elles reviendront à l‘équilibre.
Ce qui représente une motivation à redresser la situation des branches déséquilibrées.
Sur le plan prudentiel, on comprend que grâce à cette provision, les compagnies pourront prendre le temps de redresser leur situation.
Et, pour ce qui concerne la situation actuelle de la branche automobile, nul doute qu’elle a subi les conséquences des garanties annexes introduites par les compagnies pour leurs clients.
Ces garanties annexes portent sur l’incendie, le bris de glace, les voitures de remplacement, la garantie tierce collision, avantages et couvertures qui ne relèvent pas de la responsabilité civile, laquelle, comme chacun sait, est obligatoire. Or, il s’avère clairement que ces garanties ont été mal tarifées.