Un buste d'Alfred Nobel pris en photo avant l'annonce des lauréats du prix Nobel de médecine à l'Institut Karolinska de Stockholm, Suède, le 5 octobre 2020 © AFP Jonathan NACKSTRAND
A peine sorti d’une mauvaise passe qui a terni le prix littéraire le plus célèbre au monde, le Nobel de littérature est attribué jeudi à Stockholm, mais le ton plus apaisé du nouveau chapitre reste à confirmer.
Les sites de paris placent la Française Maryse Condé, la Russe Lioudmila Oulitskaïa, la Canadienne Margaret Atwood ou le Japonais Haruki Murakami comme favoris.
Les critiques littéraires sondés par l’AFP penchent plus pour l’Américano-caribéenne Jamaïca Kincaid, le Kényan Ngugi wa Thiong’o, la poète canadienne Anne Carson, le Hongrois Peter Nadas ou le Français Michel Houellebecq.
Mais tous s’accordent à dire que le prix est très difficile à prédire cette année. L’Académie suédoise, chamboulée par la critique, choisira-t-elle un lauréat plus consensuel? Plus original? Ou creusera-t-elle à son sillon, où sont surreprésentés les écrivains européens, cinq sur six de ses derniers prix?
L’institution, qui décerne son 113e Nobel jeudi à 13H00 (11H00 GMT), garde secret jusqu’au dernier instant le vote de ses 18 membres. Et aucun nom en lice n’est jamais confirmé avant la levée des archives… cinquante ans plus tard.
Seul à pouvoir disputer à celui de la paix le titre de plus célèbre des Nobel, le prix de littérature peine à sortir d’une des périodes les plus troublées de son histoire, pourtant longue et mouvementée.
Fin 2017, l’Académie suédoise avait été minée par les dissensions sur la manière de gérer les accusations visant un Français, Jean-Claude Arnault, époux d’une académicienne et personnalité influente de la scène culturelle suédoise, depuis condamné pour viol.
– de #metoo à Handke –
Le scandale avait déchiré l’institution en plein cataclysme #MeToo, jetant une lumière crue sur les coulisses d’une académie rongée par les intrigues, et ébranlant les Nobel et même l’image d’une Suède championne de transparence, de probité, de modernité et d’égalité.
Tremblant sur ses bases, le temple des lettres avait dû surseoir au prix 2018, du jamais vu depuis la guerre.
A peine le temps de sortir de l’eau qu’il y avait replongé la tête la première en récompensant en octobre 2019 l’écrivain autrichien Peter Handke, aux sulfureuses positions pro-Milosevic.
Le jury avait tenu bon, avançant avoir jugé exclusivement l’oeuvre et pas l’homme. Mais face à cette tempête, les débats sur le caractère réellement littéraire de l’oeuvre de Bob Dylan -lauréat surprise en 2016- n’étaient que peu de choses.
L’Académie a de toute façon préféré les candidats de l’ombre que les célébrités.
Des grands noms comme Murakami ou le Franco-tchèque Milan Kundera ont circulé en vain dans le passé, prenant ainsi la relève de l’Américain Philip Roth, disparu en 2018 sans Nobel.
L’Albanais Ismaïl Kadaré, le Roumain Mircea Cartarescu, les Hongrois Peter Nadas ou Laszlo Krasznahorkai pourraient compléter le triomphe de la « Mitteleuropa » l’an passé. Nouvelle venue aussi dans les pronostics: la Britannique Hilary Mantel et ses romans historiques.
Les Américaines Joyce Carol Oates, Joan Didion ou Marilynne Robinson, la Canadienne Margaret Atwood ou l’Israélien David Grossman pourraient bénéficier d’une aventure extra-européenne.
Le poète sud-Coréen Ko Un, promettrait lui une énième controverse: l’ancien moine bouddhiste, cité comme nobélisable depuis des années, est tombé en disgrâce après des accusations d’attouchements sexuels, là aussi dans le sillage de #Metoo.
– une femme non Européenne? –
2020, année des femmes? Avec trois lauréates lors des Nobel scientifiques, cette saison est dans les temps de passage pour battre le record de femmes lauréates (cinq en 2009), alors que la paix vendredi et l’économie lundi restent à décerner.
Au palmarès par pays, la France est en tête pour la littérature, avec 15 lauréats, dont le premier, l’oublié Sully Prudhomme, ou des géants comme Camus (1957) ou Sartre, seul écrivain à l’avoir refusé de son plein gré, en 1964.
Six ans après Modiano, et douze après Le Clézio, des critiques verraient bien Michel Houellebecq être couronné en Suède.
La langue de Molière est en revanche devancée par celle de Shakespeare, avec 29 auteurs anglophones primés. Etats-Unis, Royaume-Uni et Allemagne sont les autres pays les plus récompensés.
Des grands pays comme la Chine (Mo Yan en 2012) et l’Inde (Rabindranath Tagore en 1913), ou encore le Brésil (aucun lauréat) sont eux sous-représentés.
L’édition 2020 est privée pour la première fois depuis 1944 de remise des prix avec les lauréats – pour cause de coronavirus. Les jurés pourraient en profiter pour sacrer un profil fuyant les caméras, comme l’Américain Thomas Pynchon, spéculent certains.
« Un cérémonie et un banquet annulés. Il n’y aura pas de meilleur moment pour récompenser cet auteur très reclus », s’amuse la critique de la radio publique suédoise Anna Tullberg.
LNT avec Afp