Emmanuel Macron à l'Elysée, le 25 septembre 2017 © AFP ludovic MARIN
» C’est durant ce premier semestre 2018 que je souhaite poser les jalons de toute l’organisation de l’islam de France « . Il a suffi de cette phrase du Président de la République dans son interview avec le JDD le 11 février 2018 pour que la toile, la presse et les déclarations d’hommes politiques s’enflamment. Le Président n’y va pas de main morte. Non seulement, il affirme sa volonté de réorganiser l’islam de France, mais il se fixe surtout un délai de 6 mois pour mener à bien ce chantier qui a tout d’un serpent de mer.
En effet, depuis la création du Conseil de réflexion sur l’islam en France (CORIF) en 1990 par Pierre Joxe jusqu’à l’installation du CFCM en 2003, la formule »islam de France » est sujette à caution. Il est un non-sens pour certains qui, dans une forme de négation intellectuelle, estiment que l’islam est un et indivisible qu’il soit en Arabie, en Indonésie ou en France. Pour d’autres, il est le symptôme d’un autoritarisme qui habiterait l’Etat français à l’égard des religions. L’islam de France serait de ce point de vue une reproduction du projet consistorial napoléonien. Pour d’autres enfin c’est une formule éphémère qui n’a accouché jusqu’à présent que d’un projet boiteux sur la représentativité de l’islam en France.
CONTEXTE
Le contexte post-attentats, la centralité de l’islam dans le débat public, la radicalisation au sein des prisons françaises et d’une partie de la jeunesse qui se réclame de l’islam, la question du financement des lieux de cultes musulmans et l’implication de pays étrangers dans la gestion par procuration de l’islam en France…sont autant de facteurs qui militent pour que l’Élysée veuille se saisir de la question de la réorganisation de l’islam en France.
Par ailleurs, dans quelques-unes de ses déclarations, le Président Macron prévient contre la progression d’une forme de radicalité de la laïcité : » retrouver ce qui est le cœur de la laïcité, la possibilité de pouvoir croire comme de ne pas croire, afin de préserver la cohésion nationale et la possibilité d’avoir des consciences libres « . Le Président estime qu’il y a un risque à » brandir des objets connotés » ou à » faire des raccourcis en plongeant tout le monde dans un même sac…Il y a une question qui est celle de l’organisation. Mais il y a une autre question, qui est celle du rapport entre l’islam et la République « .
Indirectement, le Président fait ainsi siennes les conclusions de l’institut Montaigne sur les musulmans en France : » Aujourd’hui, le discours sur l’islam et l’image de l’islam sont très largement fabriqués par les djihadistes, les salafistes et les autres émetteurs de discours intégristes. Dans leur majorité́, les musulmans de France ne participent pas de cet islam-là. »
La volonté du Président consiste donc à vouloir combattre le fondamentalisme religieux qui se diffuse avec vigueur, à construire un culte musulman connu et reconnu tout en déconstruisant les polémiques qui exacerbent les crispations et les angoisses autour de la visibilité de l’islam dans l’espace public.
DÉMARCHE
La gestion de l’islam a toujours obéi, entre autres, à une logique où l’État cherche à ménager les susceptibilités des porte-voix de l’islam de France. Les équilibres sont souvent fragiles, les alliances au sein du CFCM sont de circonstances et chacune des grandes fédérations que compte le CFCM n’hésite pas à livrer batille en vue d’une OPA sur l’islam et sur les musulmans de France.
Dans sa démarche, le Président vise sans le dire à contourner les appareils en appelant à un nouveau contrat entre la majorité dite des musulmans silencieux, celle-là même qui ne se reconnaît pas dans les grandes organisations qui contrôlent l’offre de l’islam en France. Une institution comme le CFCM, la Mosquée de Paris, l’UOIF (aujourd’hui Musulmans de France) se voient ainsi dépossédées implicitement de leurs titres de corps intermédiaires pouvant intercéder pour l’État auprès des musulmans et vice-versa.
» Ma méthode pour progresser sur ce sujet, c’est d’avancer touche par touche « , a déclaré le chef de l’Etat à l’hebdomadaire le JDD. » Je ne dévoilerai une proposition que quand le travail sera abouti « . Le nouveau contrat qui se dessine se veut global et équilibré. Son ambition est de sortir du paternalisme vis-à-vis des français musulmans, de leur permettre d’accéder à l’autonomie financière, de responsabiliser les musulmans dits silencieux et de donner accès aux cultures de l’islam.
De leur côté, les musulmans sont appelés à engager le travail théologique, historique et religieux en adéquation avec le contexte républicain français, à ouvrir la voie aux laïcs pour accéder aux responsabilités au sein d’une nouvelle structure représentative, à centraliser les flux financiers et à lutter fermement contre le discours radical.
La Fondation des Œuvre de l’Islam de France a été créée par Dominique De Villepin par décret le 31 mai 2005, il y a plus de 10 ans. L’institution, bien qu’ayant été reconnue d’utilité publique, n’a pas pu mener à bien sa mission, à savoir » la construction et la gestion des lieux de culte, en accord avec les maires des communes concernées « . En 2010, M. Chevènement avait posé la question en séance au Sénat de la pérennité de la FOIF et de son bilan presque inexistant. Il a estimé que les » dysfonctionnements » de la FOIF tenaient d’abord à » la composition de son conseil d’administration « . Dans un contexte post-attentats où les partis Les Républicains et le Front National avaient fustigé la politique du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme, l’ancien premier ministre Manuel VALLS en 2016 lance alors la Fondation de l’Islam de France FIF. M. VALLS avait alors estimé qu’il n’est temporairement plus question de financer les mosquées par des fonds étrangers. Ces derniers représenteraient environ 20% des budgets alloués aux lieux de culte en France principalement par le Maroc, l’Algérie et l’Arabie Saoudite.
La Fondation de l’Islam de France, installée par M. Valls et dirigée aujourd’hui par Jean-Pierre Chevènement, a une vocation exclusivement culturelle. Il est fort probable qu’une nouvelle structure (qui n’aura certainement pas le statut de Fondation) prenne une place centrale dans le nouveau dispositif institutionnel de la réorganisation de l’islam. En plus d’être chargée de l’épineuse question du financement du culte, elle devra s’acquitter également de celle de la formation des imams et du paiement de leurs salaires.
Gérald Darmanin, auteur d’un rapport sur l’islam français estime que c’est au niveau du financement que l’influence des pays étrangers (Algérie, Maroc, Turquie, Arabie saoudite, Qatar) se révèle déterminante car selon lui : » qui paie décide « . C’est avec ce système que Macron veut rompre. S’il est tout à fait légal aujourd’hui pour une collectivité locale de soutenir une association qui dirige un lieu de culte, force est de constater que la plupart des lieux de culte musulmans préfèrent le statut de la loi 1901 (associations à but non lucratif) à celui de la loi de 1905 (associations cultuelles), pourtant plus avantageux sur le plan fiscal.
En 2017, un projet de loi sur un État au service d’une société de confiance porté par Gérald Darmanin introduit le principe du droit à l’erreur, mais impose une obligation aux associations cultuelles de déposer des comptes annuels. Le droit à l’erreur introduit la notion selon laquelle il est possible de se tromper dans ses déclarations à l’administration sans risquer une sanction dès le premier manquement, tant que cette erreur est commise de bonne foi. C’est désormais à l’administration de démontrer la mauvaise foi de l’usager. Le ministre Darmanin aimerait aller plus loin en obligeant à l’avenir les lieux de culte à se soumettre au statut de 1905 et aux contrôles qui en découlent.
S’agissant de la formation des imams, environ 300 imams sont détachés pour prêcher en France principalement par le Maroc et l’Algérie, mais aussi, de plus en plus, par la Turquie. Les autres sont soit formés à l’étranger, soit « autoproclamés imams » et souvent de tendance salafiste, soit formés dans les rares instituts en France mais financés en grande partie par l’étranger, notamment à l’Institut Européen des Sciences Humaines de Château-Chinon et de Paris.
La volonté du Président Macron d’aller au-delà des appareils aura sans doute un effet direct sur la place du CFCM dans la nouvelle architecture de l’islam. Il y a comme un péché originel qui a tant plongé le CFCM dans l’immobilisme. En effet, ses membres sont élus dans les mosquées selon une répartition des sièges proportionnelle à la surface des bâtiments.
Sans aller jusqu’à supprimer le CFCM, sa représentation pourrait être minoritaire au sein de la future instance. La conduite de celle-ci serait menée en grande partie par des cadres dirigeants qui proviendraient de la nouvelle génération des français musulmans. L’État les désignerait dans un premier lieu avant de mettre en place le mécanisme de leur élection directe par la communauté musulmane. Là où l’Église catholique est représentée par une conférence épiscopale, la communauté juive par le Consistoire et les protestants par une Fédération, la nouvelle structure aurait sans doute le statut de l’interlocuteur unique et exclusif de l’État auprès des musulmans.
PERCEPTION
Pour le politologue Gilles Kepel, pourtant critiqué sur ses explications sur le fondamentalisme islamiste, mais que Macron cite parmi ses inspirateurs, il y a une équation à prendre en considération : » Il faut trouver une formule qui tienne compte de la plasticité du sunnisme français, sans que les musulmans soient les otages des rivalités entre leurs pays d’origine. » Hakim El Karoui s’inscrit dans la droite ligne de Kepel. Pour lui, » le moment est venu de confier l’organisation à la nouvelle génération de Français de confession musulmane « . Cet ancien banquier d’affaires (chez ¬Rothschild, comme Macron) qui conseilla jadis Jean-Pierre Raffarin est l’un des meilleurs analystes de l’islam français. Son dernier livre, L’Islam, une religion française, occupe aujourd’hui presque tout l’espace du débat public sur l’islam.
El Karoui y appelle avec pédagogie à une « contre-insurrection culturelle » des musulmans intégrés contre ceux qui dévoient leur foi. » Nous sommes dans un pays laïc, dit El Karoui, où toutes les religions sont organisées. Pourquoi particulièrement l’islam ? Parce que nous avons deux grands problèmes. Il y en a un, immense, c’est la montée du fondamentalisme. Et un autre qui est l’insertion sereine, calme, sans difficulté, des musulmans dans l’espace républicain. »
Mohamed Moussaoui, président de l’Union des Mosquées de France (UMF) soutient que sur le plan de la représentativité de l’islam, : » le CFCM n’est plus en mesure de répondre aux réalités de l’islam de France d’aujourd’hui. Le CFCM n’a été qu’un espace de dialogue des grandes fédérations. Une sorte de guichet des pouvoirs publics à travers lequel ces derniers s’adressent aux musulmans. Il ne répond pas aux attentes des français musulmans ni sur le plan de la formation, ni sur le plan du financement des lieux de culte. » » Le fait musulman a beaucoup évolué, poursuit M. Moussaoui…Il faut réfléchir à un mode de représentativité qui rend compte de cette évolution…par exemple une grande région comme le Grand Est (fusion des anciennes régions : Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne NDLR) ne peut plus être représentée par un seul Conseil Régional du Culte Musulman. Il faudrait penser même à une représentativité au niveau des départements « . Mais sans aller jusqu’à jeter le bébé avec l’eau du bain, M. Moussaoui tempère en insistant sur la nécessité de maintenir une représentativité du culte musulman en France et de la faire évoluer.
Anouar Kbibech, président du Rassemblement des Musulmans de France, dont on dit qu’il est écouté par le Président de la République sur ce chantier de la réorganisation de l’islam estime que : » le CFCM est une institution incontournable. Elle n’est pas parfaite mais elle représente tout de même plus de 2000 mosquées. Des pistes de travail existent…elles vont de la réorganisation du CFCM, voire même le changement de son statut d’association loi 1901 à association Loi 1905, jusqu’au financement de l’islam en passant par de nouveaux échelons de représentation au niveau des régions et des départements, la création des instances de dialogue. » M. Kbibech continue que : » l’idée d’un grand imam de France (suggérée par Hakim El Karoui NDLR) est un non-sens. S’il n’y a pas de clergé en islam, il y a bien le collège des Oulémas qui statue par consensus « .
Les inquiétudes sont manifestées principalement par les défenseurs d’une certaine vision de la laïcité. Benoit Schenckenburger, le Secrétaire national du parti de Gauche, avait dénoncé dans un communiqué, une » remise en cause de certaines dispositions de la loi de séparation des Églises et de l’État » et considéré que les trois pistes de réflexion envisagées par le Président, à savoir : la possibilité de financement du culte musulman, la formation des imams et de nouvelles modalités de composition du CFCM, » feraient sortir l’État de sa neutralité et l’obligerait à prendre parti sur les dispositions cultuelles ou rituelles « .
Plus radical que Schenckenburger, l’ex-membre des Frères Musulmans, Mohamed Louizi appelle sur les colonnes du Figaro à » réduire l’influence des pays étrangers sur l’islam dit de France, notamment en interdisant clairement, dans les faits, tout financement étranger « . M. Louizi, considère que » la laïcité mérite un débat sociétal franc, totalement transparent et si réforme il faut mener, c’est la réforme de l’islam et non la réforme de la laïcité « . À l’idée d’un grand imam de France, M. Louizi répond : » ce grand imam va-t-il parler au nom des sunnites ou des chiites ? Des soufis ou des islamistes ? Des Marocains ou des Turcs ? Ma crainte, c’est qu’en faisant » élire » un » Monsieur islam de France « , qui de toute façon n’aura jamais la reconnaissance des fidèles… »
L’islamologue Rachid Benzine estime : » qu’on a tendance à croire que l’islam de France n’est pas organisé…des initiatives émergent un peu partout et elles témoignent de la capacité des musulmans à se prendre en charge…cette vision centralisatrice n’a plus de sens « .
Ahmed Ogras, président du CFCM, s’oppose à ce que l’État français s’immisce dans la gestion du culte musulman. L’homme qui a reçu M. Erdogan lors de la dernière visite de ce dernier en France, s’insurge » chacun doit rester dans son rôle. Aujourd’hui le culte musulman est une religion, donc elle gère elle-même sa maison…il ne faut surtout pas de tutelle de la part de l’État, juste un rôle de facilitateur « . M. Ogras estime que la participation des pays étrangers au financement de l’islam en France est » un mythe » car 95% des projets des mosquées sont financés par les musulmans de France.
CONCORDAT
Le concordat se présente comme le terrain d’expérimentation propice à une nouvelle réorganisation de l’islam de France. Mais au risque de tout mélanger, ne confondons pas esprit du concordat et application des dispositions du Traité concordataire signé le 15 juillet 1801. Disons-le vite et sans atermoiement, il est impossible d’étendre les dispositions du statut concordataire à l’islam sans renégocier la loi du 8 avril 1802 et le traité concordataire signé avec le Saint-Siège. Sans compter la remise en question de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, fut-ce pour l’adapter aux circonstances.
Le statut concordataire reconnaît une différence de fait héritée de l’annexion par l’Allemagne entre 1871 et 1918, mais il ne sacralise pas une différence de droits ni constitue un droit à la différence. Il ne s’agit donc pas d’une exception à traduire impérativement en règle. Roland Ries, maire de Strasbourg, estime qu’il s’agit bien d’un » paradoxe assumé, au sens littéral de la doxa, c’est-à-dire » à côté « . À côté d’un cadre général et non contre lui « .
En revanche, c’est au nom de l’égalité républicaine des droits de toutes les communautés religieuses que des lieux de culte bénéficient du soutien de la ville de Strasbourg par exemple. Ainsi, la Grande Mosquée de Strasbourg, financée en grande partie par le Royaume du Maroc, a pu bénéficier auprès de la ville de Strasbourg d’un bail emphytéotique et d’une aide au financement de sa construction à hauteur de 10 % de son coût (16 % étant apportés par les autres collectivités, Région et département du Bas-Rhin).
Dans sa déclaration, suite à sa prise de fonction à la tête du Conseil Régional du Culte Musulman CRCM, Abdelhaq Nabaoui affirme : » L’islam n’est pas tourné vers un passé quelconque mais est d’abord une promesse d’avenir… Nous allons devenir force de proposition pour les fidèles et pour les pouvoirs publics…Aux fidèles, nous devons une représentativité qui va au-delà des appartenances associatives…des imams formés convenablement et parlant français… une pratique et une inscription vigoureuse dans le dialogue interreligieux. « .
Pour ce faire, le président du CRCM avait proposé de fixer le siège de la défunte FOIF à Strasbourg afin de faciliter son financement grâce au droit local (le Concordat) qui permet des subventions publiques aux associations cultuelles, ce qui n’est pas le cas ailleurs en France. Le Président du CRCM laisse ainsi entendre, du moins implicitement, qu’aucune démarche dans le sens d’une réorganisation de l’islam de France ne pourra se faire sans le consentement (ou du moins l’adhésion) des organisations historiques qui structurent encore aujourd’hui l’islam de France.
Aujourd’hui encore, le régime concordataire est pressenti pour répondre à une des questions de ce nouveau chantier de réorganisation voulu par le Président Macron, à savoir la formation des imams. A cet égard, deux questions se posent. La première concerne le cadre institutionnel qui sera dédié à cette formation : l’université pourrait-elle servir de lieu pour former les imams de France ? Ou ne faudrait-il pas, pour parer à d’éventuels recours pour atteinte à la laïcité, créer une structure indépendante ? La seconde question concerne le contenu de la formation. L’université a vocation à fournir des formations islamologiques mais pas théologiques. Un diplôme en islamologie reconnu par l’État n’ouvre pas la voie forcément à la fonction de l’Imamat. A supposer donc que l’université puisse dans le régime concordataire (et dans un esprit d’égalité de traitement entre les différents cultes) former des imams, ces derniers devraient impérativement suivre une formation théologique, sans laquelle les mosquées ne pourraient les engager comme imams.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger la pression qu’exerce aujourd’hui les associations laïques sur le régime concordataire. Certains projets de cours de religion portés par les protestants et les catholiques, comme celui de l’Éducation au Dialogue Interreligieux et Interculturel EDII prévu pour la rentrée 2018 et qui inclut l’islam, sont vivement critiqués par des collectifs d’associations laïques qui n’y voient qu’un détournement de la loi. Elles se disent prêtes à déposer une question prioritaire de constitutionnalité si de tels projets entrent en vigueur.
PERSPECTIVE
La volonté d’engager une profonde réorganisation de l’islam en France est réelle. Sans doute parce le contexte s’y prête. Sur le plan politique, le Présidant Macron a une forte légitimité pour transformer le pays. Le moment donc est propice pour conduire ce chantier de la réorganisation de l’islam. Sur le plan sécuritaire, les services de sécurité français ont su et pu en peu de temps affronter le fléau du terrorisme, en particulier le djihadisme. Ces services ont réussi à démanteler plusieurs réseaux terroristes qui se réclament de l’islam et ont fait échouer de nombreux projets terroristes. À ce niveau, la France mesure bien l’intérêt vital de sa coopération sécuritaire avec certains pays à qui pourtant elle reprocherait aujourd’hui une ingérence douce dans la gestion de la chose musulmane française. Sur le plan sociétal, la demande est réelle de la part des français musulmans pour asseoir une place connue et reconnu à l’islam en France. Seulement 30% de ces français musulmans connaissent l’existence d’une instance dite CFCM qui est pourtant censée les représenter.
Il est tout même important de ne pas mener une réorganisation de l’islam avec un esprit de rupture généralisée qui supposerait que l’on coupe les français musulmans de leurs racines (le pays d’origine), de leurs symboles (la Kaaba). Vouloir engager les français musulmans dans la bataille sémantique sur islam de France, islam français, islam en France ne changerait en rien le fait qu’ils soient tous d’accord sur l’authenticité du Coran, sur l’exemplarité de la vie de Prophète de l’islam, sur la direction de la prière et sur le caractère sacré de la Mecque…
Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’islam a pris aussi les couleurs de l’environnement culturel, social et historique français dans lequel il évolue. La pratique du culte, le rapport à la religion, l’identité confessionnelle musulmane ne sont pas (ne le seront peut-être jamais) standardisés en Europe. Les trajectoires migratoires porteuses de l’islam ne sont pas les mêmes en France, en Grande-Bretagne, au Danemark. Il y a bien une spécificité française, ce qui veut dire qu’il y a bien un islam nourri du vécu Français, de l’histoire de France et de la société française. A t-on donc vraiment besoin de le décréter ou de le labelliser : islam de France ?
La création le 04 février 2018 à la Grande Mosquée de Lyon du Conseil théologique des imams du Rhône (CTIR) mérite une attention particulière. La structure qui regroupe une trentaine de cadres religieux officiant dans le département du Rhône n’a certes aucun recul expérimental. Toutefois, elle dit quelque chose de la capacité des musulmans de France à se prendre en charge et s’auto-organiser. » Ce conseil, expliquent les initiateurs, indépendant dans sa réflexion et ses décisions, est un espace organisé qui permettra aux imams de coordonner leurs efforts notamment dans le domaine du culte et d’harmoniser leurs avis religieux (fatwas) « . L’ambition de ses initiateurs qui sont de différentes sensibilités islamiques est de répondre aux interrogations des musulmans » dans un esprit d’ouverture et de compréhension, loin des excès « . Cinq commissions, répondant à plusieurs défis constatés par les imams, ont été créées : l’enseignement et la formation, la consultation religieuse (fatwas), les rites musulmans, la communication et le dialogue interreligieux, l’éthique et la déontologie.
Par ailleurs, cette manie de l’État Francis à vouloir toujours choisir lui-même ceux qui seraient aptes à représenter l’islam et les musulmans n’est pas sans créer des remous. En 2017, sur les colonnes du JDD, alors que l’ancien Président François Hollande s’apprêtait à nommer à la tête de la FIF M. Chevènement, Gérald Darmanin n’a pas hésité à parler d' » une idée presque coloniale « . » Au fond, continue M. Darmanin, on part du principe que les musulmans sont une sorte de prolétariat qui ne paie pas d’impôts, qu’ils n’ont qu’à manger leur viande communautaire pour financer leur lieu de culte et qu’on va charger une personnalité politique de gérer leur fondation parce qu’il n’y a pas de Français musulman capable. C’est quand même extrêmement étonnant. On n’imagine pas que le président du Consistoire soit Xavier Bertrand ! Cela montre que le chef de l’État ne connaît pas la situation du pays. « . Fin janvier 2017, Dalil Boubakeur avait exprimé son refus de participer au nouveau chantier de » l’islam de France « . Son opposition à la FIF dirigée par M. Chevènement est un secret de polichinelle.
En matière de formation des imams, le débat ne peut se poser de manière tranchée comme si la France, son islam et ses musulmans évoluent en marge du monde et loin des interférences du temps mondial. Les expériences menées par les pays alliés même de la France méritent d’être appréciées dans leur globalité.
En mars dernier, l’Union des mosquées de France, présidée par Mohamed Moussaoui, a annoncé la création d’un nouvel institut de formation des imams en France pour la rentrée scolaire 2018. Il s’agit bien d’une annexe de l’Institut Mohammed VI de Rabat pour la formation des imams et cadres religieux et il est reconnu comme tel. Ses finances sont transparentes. Il y a dans la démarche de cet institut de quoi nourrir une sorte d’intelligence relationnelle entre le Maroc et la France au service de leurs intérêts communs en matière de gestion de l’islam. Car » l’institut permettra, estime M. Moussaoui, de former des imams français sur le sol français, en langue française et dans le respect strict des exigences de la loi en matière de transparence financière « .
Il ne faut pas mésestimer l’éventualité d’un bras de fer entre l’État et les organisations musulmanes. Ce bras de fer pourrait naître de la volonté du Président Macron à réorganiser l’islam de France à marche forcée sans tenir compte réellement des organisations musulmanes historiques de France. La vision centralisatrice et descendante qui a toujours façonné la gestion de l’islam de France a probablement atteint le seuil où elle devient un handicap à l’émancipation d’un islam de France connu, reconnu, apaisé et démystifié. Pour beaucoup de français musulmans, on part du principe que les musulmans méritent encore la tutelle que l’État leur impose, ni majeurs ni vaccinés pour pouvoir se prendre en charge au sein de l’État laïc, des citoyens entièrement à part au lieu d’être des français à part entière…
Hamid DERROUICH