Le Premier ministre algérien Noureddine Bedoui (D) et son adjoint Ramtane Lamamra (G) lors d'une conférence de presse à Alger le 14 mars 2019 © AFP RYAD KRAMDI
Le pouvoir en Algérie s’efforce difficilement de convaincre la rue du bien-fondé de la prolongation sine die du mandat du président Abdelaziz Bouteflika et de son plan de réformes, à la veille d’un vendredi décisif pour le mouvement de contestation populaire.
Le pays est le théâtre depuis le 22 février de manifestations contre le président Bouteflika, d’une ampleur inédite depuis son arrivée au pouvoir il y a 20 ans, déclenchées par sa décision de briguer un 5e mandat malgré une santé défaillante.
Sous la pression croissante de la rue, le chef de l’Etat a renoncé lundi à se présenter et reporté la présidentielle prévue le 18 avril, prolongeant de fait son mandat actuel jusqu’à la fin d’une prochaine « Conférence nationale » chargée de réformer le pays et d’élaborer une nouvelle Constitution.
Jeudi, face à la presse, le nouveau Premier ministre Noureddine Bedoui – qui a remplacé lundi le très impopulaire Ahmed Ouyahia – et son vice-Premier ministre Ramtane Lamamra ont tenté durant 90 mn de « vendre » à l’opinion les décisions du chef de l’Etat, qui n’ont pas calmé la colère ces deux derniers jours.
– A la peine –
« Nous avons entendu le message de la jeunesse algérienne » et « les revendications de la rue » donneront le cap au futur gouvernement, a assuré M. Bedoui.
Sa composition sera dévoilée « au plus tard la semaine prochaine » et il s’agira d’une équipe de « technocrates », puisant dans les « jeunes compétences, hommes et femmes » dont dispose l’Algérie, a-t-il précisé.
« La situation générale du pays est sensible et marquée parfois par des tensions ne permettant pas de parvenir à un consensus à même de répondre aux revendications » immédiatement, a prévenu M. Bedoui en ouvrant la conférence de presse.
« Il faut sortir de cette crise de manière calme et en veillant à la stabilité du pays », a poursuivi, en appelant à plusieurs reprises au « dialogue », ce préfet de carrière, jusqu’ici ministre de l’Intérieur, que le quotidien El Watan qualifiait il y a quelques mois de « ministre de la Répression ».
M. Bedoui est souvent apparu à la peine pour répondre concrètement aux questions des journalistes.
Il a justifié par la « volonté du peuple » le report de la présidentielle et l’auto-prolongation par le chef de l’Etat de son mandat – jugés illégaux voire inconstitutionnels par de nombreux observateurs: « Il n’y a rien au-dessus de la volonté du peuple », a-t-il argué.
Il n’a pas donné de date pour la future présidentielle à l’issue de laquelle le président Bouteflika s’est engagé à remettre son mandat.
Il a simplement indiqué que le mandat du gouvernement, qui n’aura qu’un rôle « de soutien et d’appui » de la Conférence nationale « sera de courte durée » et « ne dépassera pas une année », laissant entendre que ladite Conférence nationale pourrait avoir fini ses travaux en un an, ce dont doutent de nombreux observateurs.
MM. Bedoui et Lamamra ont peiné à convaincre. « A quoi sert cette conférence de presse? », leur a demandé un journaliste: « vos réponses ont jusqu’ici été hors sujet, vous ne donnez pas l’impression de vouloir répondre aux questions (…) du peuple algérien ».
– « Profond décalage » –
Les réactions apparaissaient également négatives sur les réseaux sociaux, où se multiplient les appels pour vendredi à une 4e semaine consécutive de grandes manifestations hebdomadaires à travers le pays.
Une journée-test, pour les contestataires comme pour le pouvoir, qui permettra de savoir si M. Bouteflika a réussi à apaiser la contestation qu’étudiants et universitaires, puis enseignants et lycéens, ont maintenu vivace en manifestant en nombre mardi et mercredi.
Mercredi déjà, M. Lamamra, diplomate chevronné et apprécié, chargé de « vendre » le « plan de travail » présidentiel à l’étranger selon les observateurs, avait vanté sur les ondes de la radio nationale les mérites de ce plan proposé par le chef de l’Etat.
Pour le président Bouteflika, « il ne s’agit pas de rester au pouvoir pendant quelques semaines ou quelques mois de plus », a-t-il assuré, « la priorité absolue est de réunir les Algériens et de leur permettre d’aller ensemble vers un avenir meilleur ».
Un autre ancien diplomate, Lakhdar Brahimi, 85 ans, réputé proche de M. Bouteflika, a défendu aussi mercredi, à la télévision nationale, les solutions proposées par le chef de l’Etat, prônant le « dialogue » et mettant en garde contre tout « changement radical ».
Aucun des deux ne semblait avoir réellement convaincu là non plus. Selon le quotidien Liberté, leurs « interventions médiatiques ont eu le mérite de confirmer le profond décalage entre les solutions (…) proposées par le régime et celles défendues par le peuple ».
LNT avec Afp