Des Algériens célèbrent la démission du président Abdelaziz Bouteflika, dans les rues d'Alger le 2 avril 2019 © AFP RYAD KRAMDI
Abdelaziz Bouteflika, qui a dirigé l’Algérie depuis 20 ans, n’est plus aujourd’hui qu’un simple citoyen de ce pays après avoir été sommé par l’armée, pour l’instant encore, sous l’autorité du chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, de remettre dans l’heure sa lettre de démission le mardi 2 avril 2019.
Celui qui aspirait, ô folie, à rempiler pour un cinquième mandat consécutif à la Présidence de la République n’aura pu, en fait, complètement terminer le quatrième, poussé vers la sortie par le peuple algérien massivement mobilisé depuis plus de six semaines pour obtenir son départ.
Mais doit-on considérer que l’affaire est close avec ce départ, que les revendications des masses algériennes ont été, sinon satisfaites, du moins entendues ?
Partiellement au demeurant puisque « Boutef » représentait le système qui a mis sous coupe réglée ce pays et son peuple depuis l’indépendance en 1962.
Bouteflika matérialisait certes le Système, assurait le pouvoir exécutif, civil et politique, mais la réalité voulait et veut encore plus aujourd’hui que l’ANP était et demeure la principale, sinon la seule, source de l’autorité étatique chez notre voisin de l’Est.
BIS REPETITA…PLACENT !
Ce sont les généraux algériens qui, depuis le coup d’état contre le Président Ahmed Ben Bella, en 1965, ont toujours choisi et imposé, (sans respecter donc les règles démocratiques), leurs candidats successifs à la présidence.
Bouteflika lui-même, alors exilé en Suisse, avait été « rappelé » par les militaires, puis élu président lors d’une élection qui, en 1999 déjà, avait enregistré l’abandon des autres candidats qui dénonçaient les manœuvres destinées à assurer la victoire de « l’élu des galonnés ».
L’épisode du mardi 2 avril confirme donc avec force la réelle prééminence de la haute hiérarchie militaire qui manipule l’État et ses institutions selon ses intérêts et objectifs.
Voilà pourquoi il serait erroné sans doute de considérer le départ de Bouteflika comme le triomphe définitif de la Rue sur le Système ou encore que l’état-major a fini par faire siennes les revendications populaires exprimées avec force depuis six semaines.
Le général Salah et ses proches au sein de l’ANP ont « viré » sans ménagement Abdelaziz Bouteflika parce qu’ils sont eux-mêmes sommés de quitter le pouvoir, tant ils sont aujourd’hui considérés en Algérie, comme la plus haute strate de ce Système honni par tous les citoyens de ce pays.
C’est donc pour tenter de sauver sa peau que Ahmed Gaïd Salah a précipité la sortie d’Abdelaziz Bouteflika comme c’est vraisemblablement sur ses ordres que les premières arrestations ont été opérées dans l’entourage affairiste du clan Bouteflika, présageant donc une vaste opération « mani pulite », (mains propres), pour tenter d’apaiser la colère populaire en lui offrant des victimes expiatoires.
Mais, il y a fort à parier que ce « débarquement » expéditif du désormais ancien président de la République ne sera pas suffisant pour convaincre le peuple algérien de cesser son mouvement revendicatif qui, comme La Nouvelle Tribune le soulignait déjà dans de précédents articles, est bel et bien une Révolution puisqu’elle a contraint au départ du Chef de l’État et exige un changement de régime.
Mais ira-t-elle plus loin en réussissant à « dégager » les vieux birbes de l’état-major de l’ANP ?
On peut légitimement penser que l’affaire sera plus difficile car le général Gaïd Salah ne présente pas les mêmes signes de fragilité que ceux qui affectaient Bouteflika.
JUSQU’OÙ IRA LE DÉGAGISME ?
Pourtant, la mise à bas du Système ne sera effective qu’après le départ des caciques galonnés, ce qui ne sera rendu possible, en réalité qu’à la condition qu’au sein de l’ANP, le Général Ahmed Gaïd Salah soit désavoué et « dégagé » par ses troupes, ou, du moins, par le corps des officiers supérieurs plus jeunes, désireux d’en finir avec une structure sclérosée et gérontocratique.
Les prochains jours seront donc cruciaux pour l’Algérie et son avenir démocratique car le peuple voudra prouver, dès ce vendredi, qu’il ne « gobera » pas la dernière ruse du général Gaïd Salah.
Deux scenarii sont donc envisageables. Le premier voudrait que l’état-major, uni et discipliné derrière son chef actuel, réussisse à faire taire la contestation, (y compris éventuellement par la force), et impose le schéma « constitutionnel » conduisant à une période transitoire de 90 jours clôturée par des élections présidentielles.
Dans cette hypothèse, soyons assurés que le prochain Président de la République algérienne ne sera rien d’autre qu’une nouvelle marionnette entre les mains de l’armée !
Le second scénario, préférable sans doute, mais plus hypothétique, serait que l’armée dégageât elle-même le chef d’état-major et les autres officiers supérieurs du même acabit, se rangeant ainsi aux côtés du peuple afin de jeter véritablement les fondements de la seconde République algérienne.
Ainsi le Système connaîtrait sa fin véritable.
À moins que l’ensemble du processus, populaire et militaire, ne soit confisqué par certains jusque-là restés silencieux et invisibles, les anciens hauts responsables de l’ANP évincés abruptement de leurs postes par Bouteflika et Gaïd Salah au cours des derniers mois…
Qui vivra verra !
Fahd YATA