Lorsque la ville d’Al Hoceima et les villages environnants étaient en proie à la contestation sociale, au printemps dernier, plusieurs observateurs, analystes et hommes politiques avaient énoncé une évidence.
Celle-ci établissait que la tension, la colère et la frustration n’étaient pas propres uniquement à cette région du Nord du Maroc, mais que notre pays était susceptible de connaître des mouvements similaires en plusieurs points du territoire national.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce sont aujourd’hui la ville de Jerada et ses environs, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale de l’Oriental, Oujda, qui connaissent depuis plusieurs jours, des situations de tensions sociales et de forte mobilisation populaire.
La cause immédiate est connue, celle de la mort accidentelle de deux frères qui travaillaient à extraire clandestinement du charbon dans des mines officiellement fermées depuis le début des années 2000.
Un passé faste, un présent sinistré
Les habitants de Jerada, appuyés par les organisations politiques et syndicales locales, des activistes de la société civile, mais aussi plusieurs élus locaux et nationaux, réclament avec force et en toute légitimité, des solutions urgentes et crédibles pour sortir de leur situation de détresse, laquelle est quasiment totale depuis la fermeture officielle du site d’exploitation des mines de charbon de la région en l’an 2000.
A l’époque, un plan de fermeture du site, d’un montant élevé, avait été mis en application par le gouvernement afin d’indemniser les mineurs et leurs familles, alors que le coût d’exploitation était devenu insoutenable, obligeant les pouvoirs publics à subventionner un charbon dont le prix valait le double de la tonne importée, chargé en soufre de surcroît.
On rappellera également que la silicose, cette maladie incurable et terrible qui assèche les poumons, touchait pratiquement 80 % des mineurs, tout comme le saturnisme avait fait des ravages dans les mines de plomb voisines de Oued Heimer !
La genèse de la crise actuelle vécue par Jerada se trouve donc dans l’abandon, justifié et juste, de l’exploitation officielle des mines de charbon, lequel est considéré aujourd’hui, comme une énergie fossile polluante.
Mais depuis la fermeture, les populations ont été abandonnées à leur triste sort, sans profiter d’une réelle stratégie alternative de redéploiement économique et de substitution à l’exploitation minière.
Par contre, des mafias locales, parfaitement identifiables, ont repris l’extraction du charbon, par mineurs « indépendants » interposés, au péril de la vie de ces travailleurs dont le quotidien est certainement encore plus terrible que celui des mineurs du Germinal de Zola !
Alors, dans un tel contexte, force est de reconnaître qu’à l’heure d’aujourd’hui, il n’y a rien à faire à Jerada, la région étant pauvre en potentialités agricoles, dotée certes d’une nappe phréatique, mais dont l’exploitation s’avèrerait délicate et onéreuse, tandis que l’offre touristique est aussi insignifiante que peu attractive dans cette région du Royaume.
Jerada est donc une des villes et régions parmi les plus déshéritées parce que parmi les plus défavorisées du Royaume et il n’est pas étonnant que les populations qui l’habitent soient pétries de colère et de désespoir.
Au feu !
Face à la rancœur et la colère qui se sont exprimées, le gouvernement El Othmani, qui a fort heureusement su tirer les enseignements d’Al Hoceima, n’a pas tardé à réagir.
M. Aziz Rabbah, ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et du Développement durable, le plus impliqué dans le contexte de Jerada, a été rapidement dépêché sur place tandis que le Wali et les autorités locales s’efforçaient de canaliser et de contenir l’ire populaire.
Mais, cette opération commando, décidée dans l’urgence, voire la précipitation, relève plus de la tactique d’une unité de pompiers déployée pour éteindre un incendie et empêcher son extension, que d’une démarche réfléchie et porteuse d’alternatives opératoires rapidement.
La vérité, en fait, c’est que pour Jerada, (et bien d’autres communes du Royaume), l’Etat et son bras armé, le gouvernement, sont quasiment démunis de solutions effectives parce que, au-delà des incantations oratoires, il n’existe pas de stratégie de développement économique et social alternatif !
C’est parce que la crise a éclaté à Jerada à la mi-décembre, que le gouvernement a décidé, devant l’urgence, de réagir, promettant d’accorder quelques avantages matériels pour tenter de faire baisser la tension, mais sur le fond, sur l’essentiel, rien n’est acquis.
Il y a, en effet une énorme différence entre Al Hoceima et Jerada.
La première, grâce à l’impulsion royale, avait été dotée d’un ambitieux plan de développement du nom d’Al Hoceima, Manarat Al Moutawassit, et la crise a éclaté parce que les ministères et les offices en charge de sa mise en œuvre n’avaient pas été à la hauteur dans l’exécution de ce plan.
Mais rien de tout cela n’a été prévu pour Jerada et pour tant d’autres villes et zones défavorisées du Royaume !
Et c’est justement là où le bât blesse…
Le temps est compté
On nous dit que la solution est dans la régionalisation, dans la mise au point de nouveaux plans de développement économique, certes, mille fois certes, mais quand, où, comment et surtout par qui ?
Le pays souffre d’une réelle et profonde impréparation à ce niveau et si aujourd’hui les plus hautes autorités pressent à l’adoption d’un nouveau modèle de développement, rien de concret ne s’est présenté pour le moment alors que le mécontentement gronde.
Nous n’avons plus le temps de tergiverser, de compter sur la régionalisation qui, comme la ligne de l’horizon, s’éloigne à chaque fois que l’on tente de s’y rapprocher !
Nous n’avons plus le temps de compter sur des élites locales, nationales, politiques notamment, peu aptes à la prise de décision rapide, peu formées aux problématiques de développement et de stratégies économiques et sociales pertinentes.
Nous avons seulement le temps et le devoir impérieux de travailler rapidement à la mise en œuvre de plans de développement des régions et zones défavorisées en privilégiant la formation des jeunes, la réelle promotion de l’emploi par des incitations pertinentes pour l’investissement privé et l’orientation des crédits publics vers des projets à objectifs sociaux et économiques dédiés aux plus démunis.
Chaque région doit avoir son « plan Marshall » avec, SURTOUT, les hommes qu’il faut pour les imaginer et les exécuter.
Ceux-ci, sans doute, ne manquent pas, mais on ne les trouvera pas dans les partis politiques et chez les carriéristes.
Qui cherche, trouve… alors, dépêchons-nous, il y a urgence !
Fahd YATA