Aziz Akhannouch

Rabat accueille les 1ères Assises nationales de l’IA sous le signe de la souveraineté et de l’éthique

Rabat accueille les 1ères Assises nationales de l’IA sous le signe de la souveraineté et de l’éthique

Par LNT
Aziz Akhannouch

Sous le Haut Patronage du Roi Mohammed VI, les premières Assises nationales de l’intelligence artificielle (IA) ont été ouvertes mardi à Rabat. Organisées à l’initiative du ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, ces assises se déroulent sur deux jours et visent à poser les fondements d’une stratégie nationale de l’IA, en phase avec les Hautes Orientations Royales et adaptée aux spécificités du tissu économique et social national.

Sous le thème « Une stratégie IA efficiente et éthique au service de notre société », cette rencontre inédite réunit un large spectre d’acteurs, allant des responsables institutionnels aux représentants du secteur privé, en passant par des experts internationaux, des membres d’organisations multilatérales, des chercheurs, des start-ups marocaines et des talents de la diaspora.

Une orientation politique assumée

Dans un discours prononcé par visioconférence, le Chef du gouvernement, M. Aziz Akhannouch, a souligné que la tenue de ces assises « reflète la volonté collective de placer cette technologie au cœur des différentes politiques publiques du gouvernement ». Le monde, a-t-il observé, traverse une mutation accélérée, « marquée par une révolution technologique majeure qui redéfinit les économies et les modes de vie ».

Selon M. Akhannouch, l’intelligence artificielle représente aujourd’hui un levier stratégique incontournable. Il a salué les avancées du Maroc dans le cadre de la stratégie « Maroc Digital 2030 », qui bénéficie d’une enveloppe budgétaire de 11 milliards de dirhams. À l’horizon 2030, cette stratégie prévoit la formation de 100 000 jeunes et la création de 240 000 emplois dans le secteur numérique.

Le Chef de l’Exécutif a également mis en avant plusieurs domaines où l’IA est déjà mobilisée : le renforcement du diagnostic médical, l’amélioration de la gestion des ressources hydriques en agriculture, ou encore l’adaptation des contenus pédagogiques aux profils des élèves. Toutefois, il a souligné les risques associés à cette transformation technologique. « Les entreprises qui n’intègrent pas l’IA dans leurs processus risquent d’être dépassées par leurs concurrents. Certaines professions sont directement menacées par les capacités de l’IA à accomplir certaines tâches mieux et plus rapidement que l’humain », a-t-il averti.

M. Akhannouch a également exprimé ses préoccupations quant aux usages malveillants de l’IA, notamment dans la production et la diffusion de fausses informations, appelant à établir « un cadre de confiance qui protège les données et en prévient les usages contraires à l’éthique ». Il a insisté sur l’importance de renforcer les capacités nationales en matière de formation et de recherche : « Nous avons besoin d’une gouvernance fondée sur la coopération entre les gouvernements, le secteur privé, les universités et la société civile ».

L’IA comme impératif de souveraineté

Pour Mme Amal El Fallah Seghrouchni, ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, l’enjeu principal est la souveraineté. « Intégrer l’IA à l’horizon stratégique national est un prérequis pour garantir que la technologie reste sous contrôle démocratique et en cohérence avec nos valeurs », a-t-elle affirmé lors de la séance inaugurale.

Mme Seghrouchni a précisé que l’IA n’est plus une technologie d’avenir, mais bien une réalité actuelle qui infiltre les systèmes éducatifs, sanitaires, sociaux, financiers et territoriaux. Elle a insisté sur la nécessité de repenser les outils de gouvernance et de décision publique : « L’IA ne peut être réduite à un simple outil technique ; elle implique une responsabilité institutionnelle fondamentale ».

Selon la ministre, l’un des enjeux majeurs réside dans la capacité de cette technologie à soit aggraver les inégalités, soit les atténuer. Le Maroc, a-t-elle rappelé, fait le choix d’en faire un moteur d’équité et de développement partagé. Elle a également souligné la dimension continentale de cette orientation stratégique : « L’IA n’est pas seulement une compétition technologique. C’est aussi une question de souveraineté symbolique et matérielle. Le Maroc œuvre à l’émergence d’une IA africaine fondée sur les valeurs du continent et tournée vers la décision autonome. »

Une approche multisectorielle

Le programme des assises se décline en deux segments : une première journée dédiée à des sessions techniques sectorielles et à des démonstrations de solutions innovantes par des start-ups marocaines, et une seconde journée axée sur les questions de gouvernance, les cadres juridiques, la coopération internationale et la signature de protocoles d’accord.

Treize domaines d’intervention ont été identifiés comme prioritaires : la réforme de l’administration, l’éducation, le sport, la santé, l’agriculture, l’industrie, la sécurité, la culture, les médias, la gouvernance, l’innovation, les infrastructures et les relations internationales.

La séance d’ouverture a réuni plusieurs personnalités de haut rang, notamment M. André Azoulay, Conseiller de Sa Majesté le Roi, M. Mohamed Ould Errachid, président de la Chambre des conseillers, ainsi que des membres du gouvernement, des ambassadeurs et des responsables d’institutions publiques et privées.

La formation au cœur des priorités

Au cours de la première séance plénière, consacrée à la formation, plusieurs ministres ont souligné que le développement des compétences constitue un levier essentiel pour assurer la réussite de la transition numérique.

Le ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, M. Mohamed Saad Berrada, a déclaré que son département « continue d’investir dans la digitalisation de l’école publique ». Il a mis en avant le potentiel de l’IA pour adapter les contenus éducatifs, accompagner les enseignants, et lutter contre le décrochage scolaire.

Younes Sekkouri, ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, a quant à lui estimé que l’IA permet « une meilleure adéquation entre les compétences disponibles et les besoins économiques réels ». Il a également appelé à encadrer le développement de l’IA par un dispositif législatif adapté.

Mme Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, a pour sa part souligné que l’IA et l’énergie sont intrinsèquement liées : « Sans énergie, pas de serveurs, pas d’IA ». Elle a annoncé l’ambition du Royaume de doubler sa capacité de production d’énergie non conventionnelle en moins de cinq ans, et a évoqué l’émergence de modèles économiques intégrés alliant IA et énergies propres.

Une transformation industrielle soutenue

Le ministre de l’Industrie et du Commerce, M. Ryad Mezzour, a indiqué que l’intégration de l’IA dans le tissu industriel permettra d’atteindre, à l’horizon 2030, une augmentation significative des exportations et de la valeur ajoutée industrielle. Il a affirmé que le volume des exportations industrielles pourrait passer de 40 milliards à 120 milliards d’euros, avec la création de 1,5 million d’emplois qualifiés.

Sur le plan du financement, M. Mohamed Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank, a plaidé pour « l’implication active du secteur bancaire dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie nationale en matière d’IA ». Il a appelé à renforcer les instruments financiers à destination des entreprises opérant dans le secteur.

Mme Naoual Zine, directrice générale de Reminex (Groupe Managem), a rappelé que le Maroc se positionne à la 42e place mondiale en matière d’adoption de l’IA, ce qui a incité plusieurs acteurs technologiques internationaux à s’installer dans le pays. Elle a cité des exemples concrets d’intégration de l’IA dans les secteurs minier, bancaire, logistique et télécom.

L’IA au service de la transition énergétique

Dans une séance dédiée à la décarbonation de l’industrie, des experts ont souligné le rôle croissant de l’IA dans la transition écologique. M. Issam Lotfi, directeur au sein de l’Institut royal des études stratégiques, a estimé que l’IA constitue « un outil stratégique pour accompagner le rythme de transformation vers une industrie plus durable ».

Mme Yasmina Benmesaoud, de l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN), a indiqué que l’IA permet d’optimiser la performance des centrales renouvelables, notamment en matière de prévision climatique, de maintenance et d’usage rationnel de l’eau.

Le scientifique Rachid Yazami a quant à lui évoqué le potentiel du Royaume dans les chaînes de production de batteries, grâce à ses ressources en phosphates. Il a affirmé que l’IA pourrait révolutionner le stockage d’énergie en rendant les batteries plus sûres et plus efficaces.

Une stratégie nationale en construction

Les recommandations finales issues des Assises seront rendues publiques lors de la cérémonie de clôture. Elles serviront de base à l’élaboration d’un plan d’action interministériel intégré à la stratégie Maroc Digital 2030.

Pour les autorités comme pour les opérateurs, ces Assises marquent un point de départ. « Il ne s’agit pas simplement de discuter de l’avenir, mais de poser les conditions d’une appropriation responsable et inclusive de l’intelligence artificielle », a résumé Mme Seghrouchni.

 

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