Vivrière par excellence, l’agriculture marocaine reste le premier contributeur, soit environ 14% du PIB devant le Tourisme et l’Industrie. Tellement vitale qu’en période de rareté pluviométrique, c’est toute l’économie nationale qui souffre… beaucoup même : hausse du chômage dans le monde rural, exode rural en masse vers les villes, hausse des importations des denrées alimentaires, du pouvoir d’achat et de la facture importatrice, baisse de la consommation et autres recettes fiscales, etc.
Il faut également rappeler que le secteur agricole marocain continue de consommer plus que la norme internationale en matière d’eau, soit plus de 70% du total des ressources hydriques du pays, alors qu’une Agriculture responsable d’un pays ne devrait pas dépasser les 50% de sa réserve hydrique. De l’avis de beaucoup, l’usage irrationnel de l’eau dans l’agriculture reste un point noir du PMV qui a quelque part mal calculé la donne hydrique pour un pays comme le Maroc dont la majorité des terres cultivables sont ‘‘bour’’. En effet, la surface cultivée propre à l’agriculture est relativement réduite et représente 12% (8,7 millions d’ha) seulement de la superficie totale du pays (71 millions d’ha). Parmi ces terres agricoles cultivables, 13% seulement sont mises en valeur sous irrigation, le reste (soit 87% du potentiel) est exploité en ‘‘bour’’ (non irrigué) et soumis à une dégradation par l’érosion hydrique, l’ensablement, la salinisation et d’autres phénomènes de désertification.
C’est dire qu’aujourd’hui, il est dans l’urgence de prendre les mesures nécessaires à même de faire face, comme il se doit, à la problématique de la rareté des ressources hydriques qui menace sérieusement notre agriculture et notre autosuffisance alimentaire. D’autant que la situation de ces trois ou quatre dernières années est plus qu’alarmante. Et l’on peut dire qu’en plus de toutes les décisions qui devraient être prises par l’Etat pour sauver ‘‘Alfilaha Almaghribia’’, l’exploitation des nouvelles technologies de l’information et de l’économie verte pourrait apporter les réponses adéquates et escomptées à la problématique hydrique dans les années à venir.
L’heure est certainement à la transformation profonde du business-model agricole marocain pour s’orienter vers une agriculture compétitive et créatrice d’emplois. Dans le cadre de cette mutation profonde, l’investissement dans les technologies de tous types est plus que jamais fondamental pour aller de l’avant. Car ce qui a été, jusqu’ici, considéré comme étant une relative faiblesse pour le monde rural, peut être redéfini comme un atout et, plus important encore, une des solutions les plus efficaces pour nourrir et employer des milliers de jeunes et les sortir de la pauvreté et le désespoir. Là, il sera indispensable de changer la perception du développement du secteur en vue de passer de « l’agriculture en tant que mode de vie » à « l’agriculture en tant qu’activité entrepreneuriale », dit-on auprès des spécialistes.
Ainsi, selon le rapport D4Ag du Centre Technique pour l’Agriculture et la Coopération Rurale ACP-UE, réalisée conjointement avec Dalberg Advisors, la digitalisation agricole actuellement en cours en Afrique ne représenterait qu’à peine 6% de son potentiel. Le chiffre d’affaires annuel du digital agricole en Afrique sub-saharienne (drones, capteurs sur le terrain, mégadonnées, apprentissage automatique, etc.) serait de 127 millions d’euros, alors que son marché « exploitable » serait plus de 2,3 milliards d’euros.
Des avancées encore timides
Sur le terrain, les investissements dans l’e-agriculture au Maroc sont à mi-chemin entre audace et prudence. En 2019, ‘‘Morocco Growth Fund’’, un fonds d’investissement marocain, a achevé son quatrième investissement avec l’acquisition d’une participation dans Sowit, une startup africaine proposant des solutions numériques aux agriculteurs afin d’utiliser au mieux l’eau d’irrigation et les engrais pour cultiver les céréales, le maïs, la canne à sucre et les agrumes.
Le Groupe OCP, pour sa part, a mis en place plusieurs programmes dont le « Center for Soil and Fertilizer Research in Africa », des Plateformes Africaines des Recherches Expérimentales ou encore le projet « Agriculture Climato-Intelligente ». Lancé en mai 2016 et fruit d’un partenariat entre l’Université Mohammed VI Polytechnique et l’ONG Climate Interactive, le projet Agriculture Climato-Intelligente a pour but de renforcer les capacités des leaders africains face aux changements climatiques et aux négociations autour du climat par la diffusion de la World Climate Simulation. Par ailleurs, l’Université Mohammed VI Polytechnique compte s’implanter dans 14 pays d’Afrique et mettre en place des plateformes de recherche expérimentale en agriculture et des laboratoires de recherche appliquée avec des universités partenaires.
D’autre part, le programme ‘‘Impulse’’, un programme d’accélération de startups qui a été développé par l’Université Mohammed VI Polytechnique avec le soutien du Groupe OCP et de sa filiale OCP Africa, et en partenariat avec MassChallenge a été lancé avec trois objectifs clés. Renforcer les capacités d’innovation du Groupe OCP dans des domaines liés à sa chaine de valeur (Agritech, Biotech, Nanotech et Mining Tech), soutenir l’écosystème d’entrepreneuriat et d’innovation, et apporter des solutions aux petits exploitants agricoles en Afrique, notamment au Maroc.
Le Groupe OCP, plus précisément l’Initiative OCP-Al Moutmir, a aussi renforcé son offre de solutions digitales en lançant T@swiq, la nouvelle application mobile de commercialisation des productions agricoles, conçus par des ressources de l’école 1337. Développée avec les agriculteurs et pour les agriculteurs, T@swiq ambitionne de connecter tous les agriculteurs à un marché plus large, à encourager les circuits courts d’approvisionnement et à faciliter la commercialisation des produits et services agricoles.
Déjà présente dans une dizaine de pays, SupPlant se propose de mettre à la disposition des exploitants agricoles marocains, les informations et données les plus puissantes à même de leur permettre d’améliorer leur production, tout en baissant leurs coûts, notamment ceux liés à la consommation en eau.
En changeant le concept de base des méthodes d’irrigation et en se basant sur les besoins réels et instantanés des plantes, la technologie de SupPlant permet d’économiser l’eau à l’échelle mondiale tout en améliorant la productivité et les rendements.
De plus en plus de startups se lancent dans les biopesticides ou dans les énergies renouvelables ou encore l’information en temps réel des petits exploitants sur les prix de leurs produits et sur la météo afin qu’ils optimisent les périodes d’arrosage ou de récolte, et autres services à des prix adaptés aux agriculteurs afin d’obtenir des conseils sur la façon d’établir un diagnostic lorsque leurs plantations sont malades…
Certes, le chemin est encore long vers la digitalisation complète de l’agriculture marocaine, mais la smart agriculture, c’est maintenant ou jamais et les parties prenantes marocaines en ont clairement pris la mesure.
Hassan Zaatit