AFIS 2025 : Un appel à une mobilisation massive des capitaux domestiques
Sous le thème « Nouvelle architecture mondiale : où l’Afrique peut-elle se tourner pour obtenir les financements dont elle a besoin ? », le panel d’ouverture de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2025, modéré par Manal Bernoussi (Leaders on Purpose), a posé d’emblée le cadre : la dépendance extérieure n’est plus une stratégie de développement viable. Malgré un rebond marqué des investissements directs étrangers (IDE) en 2024, le durcissement géopolitique, les hausses tarifaires et la sélectivité des capitaux imposent au continent de puiser dans ses propres réserves : l’épargne des ménages, les fonds de pension et souverains, les actifs des assureurs, les bilans bancaires et la puissance de distribution des plateformes fintech.
Trois goulets d’étranglement
La ministre marocaine de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, a identifié trois « goulets d’étranglement » qui empêchent l’épargne africaine de se transformer en investissements productifs. D’abord, l’absence d’« échelle » du fait de marchés fragmentés, aux capitalisations dispersées et aux devises multiples, qui pousse les investisseurs à chercher des tickets ailleurs. Ensuite, un cadre institutionnel et prudentiel qui oriente encore trop les porteurs d’épargne vers la dette souveraine au détriment des capitaux longs et plus risqués. Enfin, la nécessité de consolider la stabilité macroéconomique et de simplifier la vie des entreprises pour créer un pipeline d’opportunités crédibles. La ministre a également insisté sur le rôle du « récit » et de la confiance : « Nous avons des réussites à partager pour changer la perception du risque et mobiliser des ressources domestiques. »
Rebondissant sur ce diagnostic, Ethiopis Tafara, vice-président régional Afrique de la SFI (IFC), a pointé trois prérequis : revoir des règles qui, dans plusieurs juridictions, incitent pension funds et fonds souverains à investir hors du continent ; approfondir la liquidité et la profondeur des marchés de capitaux ; et, surtout, « bâtir la confiance » par des régulateurs indépendants, suffisamment dotés et crédibles. Au-delà des financements, il a insisté sur la préparation des projets : « L’argent n’est pas rare ; les projets bancables le sont. Il faut mieux équilibrer risques et bénéfices entre secteurs public et privé. » Pour les MPME, il a appelé à combiner dispositifs de partage de risques, montée en compétences financières des entreprises et essor d’intermédiaires non bancaires capables d’un « prêt fondé sur les comportements » plutôt que sur les seuls collatéraux.
Démocratiser l’investissement
Le président d’Access Holdings & Coronation Group, Aigboje Aig-Imoukhuede, a replacé le débat dans une perspective d’ingénierie financière et de gouvernance : « Le capital existe, le problème est celui de la plomberie — des canalisations qui ne conduisent pas l’épargne vers les bons usages. » S’inspirant d’expériences asiatiques, il a plaidé pour une action délibérée en faveur des marchés privés (industries, PME, immobilier productif) et pour un vaste programme de « dé-risquage » à l’échelle continentale afin d’aligner recherche de rendement et exigence de sécurité. À ses yeux, la bascule viendra aussi d’une démocratisation massive de l’investissement : plusieurs centaines de millions de comptes d’épargne existent déjà, mais moins de 20 millions sont reliés à l’investissement. Les partenariats banques-fintech, appuyés par des incitations fiscales ciblées, doivent convertir l’inclusion financière en accumulation d’actifs à long terme.
Depuis l’African Guarantee Fund, son directeur général, Jules Ngankam, a détaillé la double contrainte « risque-coût » qui bride le financement des MPME : déficit d’information (peu de bureaux de crédit pleinement opérationnels), difficulté d’accès aux actifs en garantie, faiblesse des marchés secondaires et coûts réglementaires croissants (convergence vers Bâle II/III et IFRS 9) qui mobilisent du capital prudentiel. À cela s’ajoute un « coût de fragmentation » considérable — plus de quarante monnaies et des régimes fiscaux et prudentiels hétérogènes — qui renchérit les transactions transfrontalières. Sur la finance durable, il a rappelé la sous-représentation du continent : moins de 1 % du marché mondial des prêts et obligations « verts », d’où l’intérêt d’instruments de garantie et de standardisation régionale pour faire changer d’échelle les chaînes de valeur climato-intelligentes.
Pour Jeremy Awori, directeur général du groupe Ecobank, plusieurs verrous doivent sauter si l’on veut transformer l’épargne courte en financements longs : corriger la « perception de risque » qui pousse une partie des patrimoines africains à s’externaliser ; renforcer les fonds propres des banques — encore modestes à l’échelle mondiale — afin d’élargir leur capacité de prêt ; sécuriser l’accès aux devises pour des projets à contenu importé ; et surtout développer des marchés obligataires et actions profonds pour allonger les maturités à 15-30 ans requises par l’infrastructure. Le banquier a mis en avant les leviers technologiques — données, IA, passerelles de paiement temps réel multi-pays — et les montages de partage de risques (avec IFC, Afreximbank, DBSA, etc.) pour irriguer agriculture, entrepreneuriat féminin et PME.
Au terme d’un échange nourri, un consensus s’est dégagé : bâtir une souveraineté financière « ouverte » passe par (1) la mobilisation des capitaux institutionnels domestiques vers des actifs productifs, (2) l’harmonisation réglementaire et l’interopérabilité des systèmes de paiement et des marchés, (3) l’industrialisation de la préparation de projets bancables, et (4) l’extension de l’inclusion financière vers l’investissement de long terme. « Avec la dette, on gère des entreprises ; avec les fonds propres, on les construit », a résumé Ethiopis Tafara.
Selim Benabdelkhalek
