Feu Karim Lamrani et Fahd Yata lors d'une des dernières apparitions publiques du défunt
Mohamed Karim Lamrani, l’une des dernières grandes figures du Maroc, de l’Indépendance à nos jours, est décédé mercredi 19 septembre dans la soirée, en son domicile casablancais, à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
Avec le rappel à Dieu de feu Si Karim Lamrani, c’est un grand pan de l’Histoire économique, entrepreneuriale, institutionnelle et politique du Royaume qui s’efface.
Si Karim, paix à son âme, avait su allier avec succès son esprit d’entreprise et son sens des affaires, son patriotisme, ses capacités d’Homme d’État, ses aptitudes de grand manager d’entreprises publiques.
Il a ainsi eu à occuper six fois le poste de Premier ministre sous le règne du Roi Hassan II, mais aussi à présider aux destinées de l’Office Chérifien des Phosphates qui, sous sa férule, devint le premier contributeur net aux exportations marocaines et l’acteur majeur qu’il est toujours aujourd’hui dans le secteur phosphatier mondial.
Doué d’une capacité de travail qualifiée de phénoménale par tous ceux qui l’ont connu, d’un humour qui suscitait toujours rires et sourires, d’une belle santé et d’une intelligence souvent prémonitoire, le défunt a joué un rôle central dans les décennies qui ont marqué plusieurs des grands tournants du Maroc moderne.
Outre l’OCP qu’il mit sur les rails d’une belle productivité et de la modernisation de ses process, gagnant au passage la bataille de la revalorisation des prix du phosphate sur le marché international, il engagea, au début de la décennie soixante-dix, le processus de marocanisation de l’économie nationale, et la marocanisation des terres de colonisation, deux axes fondamentaux de la politique du Roi Hassan II au lendemain des attentats de Skhirat (juillet 1971) et d’août 1972.
Feu Karim Lamrani, que Dieu l’accueille en sa sainte miséricorde, fut en charge également du ministère dédié à l’ajustement structurel, en 1983, lorsque le Royaume, aux finances asséchées par une politique d’endettement trop ambitieuse, fut contraint de passer sous les fourches caudines du FMI et de la Banque Mondiale.
Dans le monde de l’entreprise, il s’avéra aussi visionnaire que pragmatique, construisant au fil des années un groupe puissant, quoique discret, aux activités multiples, le holding Safari, que Mme Saïda Lamrani Karim, sa fille aînée et sa première collaboratrice lorsqu’il était encore aux affaires, gère avec le succès que l’on sait depuis son retrait de la vie publique.
En tant que Premier ministre, et notamment durant les années quatre-vingt, son sens politique et ses solides qualités de répartie lui servirent amplement lorsqu’il dût confronter sa politique et ses idées aux critiques parfois virulentes des leaders de l’opposition parlementaire qui avaient intégré les bancs de la Chambre des Représentants au lendemain des élections législatives de 1977.
Face à des hommes comme les défunts Abderrahim Bouabid, M’hammed Boucetta, Ali Yata et d’autres encore, Si Karim Lamrani gardait son calme et ses positions, en grand commis de l’État qu’il était, sans pour autant oublier l’amitié forte qui le liait à la plupart d’entre eux !
Certains ont peut-être encore en mémoire un échange savoureux intervenu au Parlement avec feu Ali Yata, alors Secrétaire général du PPS, qui lui avoua publiquement avoir fait un cauchemar en rêvant qu’il était devenu capitaliste.
Et Karim Lamrani de lui répliquer aussi sec qu’il avait fait lui-même un cauchemar identique, se voyant transformé en communiste, le tout sous les éclats de rire de l’ensemble de la représentation parlementaire et du gouvernement !
Mais le regretté Karim Lamrani n’était pas seulement un bourreau de travail, un négociateur acharné, un esprit vif, il était avant toute chose un ami fidèle et précieux, qui ne marchandait ni sa considération, ni son affection envers ceux qu’il estimait.
Peu lui importait alors la position sociale, les activités ou les revenus de ceux à qui il accordait son amitié.
C’est ainsi qu’il témoigna envers la famille d’AlI Yata, alors emprisonné dans les geôles d’El Aalou à Rabat, en 1970-1971, une solidarité et une assistance précieuses, sans se préoccuper des éventuelles conséquences que sa générosité et sa fidélité envers un ami, opposant notoire alors, pouvaient avoir, en ces années de plomb. Tel était le Karim Lamrani que j’ai personnellement connu, apprécié et souvent admiré.
Qu’il repose en paix et qu’Allah l’accueille en son vaste paradis.
A Dieu, nous sommes, à Lui nous retournons.
Fahd YATA