Rares, très rares sans doute sont encore de ce monde les Marocains qui eurent le privilège d’assister au Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine au cours duquel le Royaume du Maroc décida de quitter cette organisation continentale dont il avait été l’un des membres fondateurs en 1963.
Ce départ eut lieu à Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie et siège de l’OUA, le 12 novembre 1984 parce que le Royaume du Maroc ne pouvait accepter de siéger à côté d’une délégation de la fantomatique RASD admise au sein de l’OUA grâce aux manœuvres algériennes en 1982.
La délégation officielle du Maroc était alors dirigée par feu Ahmed Réda Guédira, Conseiller du défunt Roi Hassan II et comprenait notamment M. Abdelwahed Belkeziz en tant que ministre des Affaires étrangères et feu Abdelatif Filali, ministre de l’Information.
Avec eux, des représentants des partis politiques nationaux, des syndicats, des dignitaires originaires du Sahara marocain et des journalistes.
Il est vrai qu’en ce temps-là, l’Etat marocain tenait à impliquer la presse nationale dans tous les événements internationaux et régionaux qui avaient à leur ordre du jour la Question d’Unité nationale et d’Intégrité territoriale.
La presse écrite était donc du voyage d’Addis-Abeba, toutes tendances et langues d’expression confondues, afin de donner à notre opinion publique tout à la fois des informations en temps réel, (même sans Internet, mais grâce au télex !) et l’analyse des envoyés spéciaux, chacun selon leur appréciation de la situation, leurs contacts et connaissances, leurs expérience et savoir-faire…
Jeune journaliste-éditorialiste au quotidien Al Bayane à cette époque, je me souviens avoir embarqué, au petit matin du 11 novembre 1984, à bord d’un Boeing 707 des Forces Royales Air qui décolla de la base aérienne de Rabat-Salé, en direction d’Addis-Abeba.
Nous arrivâmes dans la capitale éthiopienne au crépuscule, fraîchement accueillis par des officiels de ce pays qui vivait à l’époque sous la férule d’un certain Mengistu Haïlé Mariam, marxiste-léniniste auto-proclamé et tout autant dictateur autoproclamé, tombeur de l’empereur Haïlé Sélassié, l’idole de tous les rasta !
L’Éthiopie « révolutionnaire » était alors l’alliée inconditionnelle de l’Algérie et des mercenaires séparatistes. Sa capitale, où n’existaient que très peu de bâtiments en dur, hormis le siège de l’OUA et l’Hôtel Hilton où étaient logées les délégations africaines (dont la Marocaine), ressemblait plutôt à un immense bidonville fait de baraques en tôle ondulée.
Lors de notre entrée dans la ville, après plusieurs barrages routiers tenus par l’armée, car la rébellion anti Mengistu était très active, j’avais remarqué qu’il y avait un couvre-feu, un black-out total, tandis qu’ une atmosphère sombre et oppressante nous étreignait.
L’hôtel Hilton apparaissant comme un havre paradisiaque au milieu d’un océan de misère et j’ai souvenir de milliers de malheureux, en haillons, se pressant devant les barrières du palais de l’OUA et celles du Hilton, en quête d’un peu de nourriture.
As Sahra Maghribya…
Mengistu accueillait la RASD tandis que son peuple était en proie à une terrible famine qui, en 1984-1985, fit des millions de morts.
Une famine qui avait motivé la célèbre chanson de Michael Jackson et Lionel Ritchie, « We are the World » tout comme le concert Live Aid de Bob Geldof à Londres et à Philadelphie en juillet 1985.
Mais, en ce 12 novembre 1984, la délégation marocaine, bien qu’attristée par le spectacle affligeant d’une telle détresse humaine, était surtout préoccupée par les enjeux d’une réunion où, pour quelques minutes, le Maroc et la fumeuse RASD seraient ensemble dans une même enceinte.
Une situation qu’aucun Marocain ne voulait tolérer et qu’exprima, solennellement au nom du Roi Hassan II et du Royaume du Maroc, M. Réda Guédira, conseiller royal et chef de la délégation marocaine.
Son allocution terminée, Guédira quitta la salle avec la délégation qui l’accompagnait. Les journalistes marocains, qui avaient eu le temps d’envoyer leurs télex de la salle de presse, rejoignirent alors les officiels et tous ensemble, nous quittâmes le palais de l’OUA scandant d’une voix unanime, « As Sahra Maghribiya oua Hassan Malikouna » (le Sahara est marocain et Hassan Ii notre Roi), sous les regards peu amènes et l’hostilité affichée des Ethiopiens armés de kalachnikov qui, à mon avis, étaient tout autour non pour nous protéger, mais pour nous intimider…
Après une nuit aussi courte que consacrée à commenter les divers épisodes de cette journée historique, nous reprîmes le lendemain matin notre Boeing des FRA, regagnant à la nuit tombée notre cher pays avec la fierté et le sentiment très fort du devoir accompli et la conviction d’avoir pris part à un événement historique !