CAN 2025 : Deux matchs pour tirer la sonnette d’alarme
Parler aujourd’hui de l’équipe nationale du Maroc, après deux premiers matchs poussifs à la CAN 2025, exige une précaution oratoire essentielle : ce qui suit n’est ni une chasse à l’homme, ni un procès d’intention. C’est un exercice critique, sportif, nécessaire. Un devoir même, lorsque l’on prétend analyser une sélection qui ne joue plus seulement pour exister, mais pour gagner.
Car personne, absolument personne, ne pourra jamais enlever à Walid Regragui ce qu’il a offert au football marocain. Dans un contexte lourd, fragile, presque résigné avant le Mondial 2022, il a su redonner confiance, fédérer des talents parfois éparpillés, créer un groupe soudé, une équipe une et indivisible. Il a redonné de l’espoir à tout un peuple, offert au Maroc une épopée historique au Qatar et inscrit à jamais son nom dans la mémoire collective. Rien, jamais, n’effacera cela.
Mais précisément parce que cet héritage est immense, la critique est permise. Elle est même indispensable.
Depuis l’élimination brutale face à une modeste Afrique du Sud lors de la CAN 2023, le Maroc a empilé les victoires et battu des records. Une série flatteuse, certes, mais construite presque exclusivement face à des adversaires largement inférieurs. Des matchs sans réel test, sans véritable adversité, qui ont nourri une illusion de maîtrise.
La CAN 2025, elle, agit comme un révélateur. Face à des blocs bas, compacts, disciplinés, les Lions de l’Atlas peinent. Beaucoup. Le Maroc n’a toujours pas trouvé la clé face aux équipes regroupées derrière, capables de fermer l’axe et de vivre en transition. Une faiblesse structurelle qui n’est plus nouvelle, mais qui persiste.
Il faut aussi le dire clairement : Walid Regragui n’a jamais hésité à recadrer le public lorsque celui-ci n’est pas au rendez-vous, et souvent à juste titre. À Rabat, ces deux premiers matchs l’ont montré : l’avantage de jouer à domicile est quasiment inexistant, tant la ferveur attendue n’est pas au niveau, loin de ce que les supporters marocains avaient su offrir lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, où leur soutien constant et bruyant avait porté l’équipe tout au long du tournoi et participé pleinement à l’épopée historique des Lions de l’Atlas.
Premier sujet sensible : les choix humains. La convocation de Romain Saïss, au-delà du respect immense dû à sa carrière, interroge. Âge avancé, rythme de compétition en baisse, et surtout cette blessure sur sa première course, sans contact, comme un symbole cruel. Était-ce raisonnable ?
Plus troublant encore : l’absence totale de joueurs issus des U20, pourtant champions du monde au Chili sous la houlette de Mohamed Ouahbi. Quel message envoie-t-on à cette jeunesse triomphante ? Que la porte est fermée ? Que l’excellence ne suffit pas ?
Le sélectionneur semble privilégier une “expérience” parfois théorique. Jawad El Yamiq, 32 ans, évoluant en Arabie saoudite, est convoqué au nom de cette expérience… pour finalement concéder un penalty évitable face au Mali. L’expérience n’est pas une garantie, encore moins un argument absolu.
Tactiquement, le constat est tout aussi préoccupant. Sur le papier, un 4-3-3. Sur le terrain, un 4-1-4-1 rigide, immuable, utilisé depuis des années sans réelle variation. Le football moderne exige de l’adaptation. Le Maroc, lui, semble figé.
La sentinelle, Sofyan Amrabat, n’est pas à l’aise dans la première relance. Le dire n’est pas le dénigrer : Amrabat a d’autres qualités, énormes, mais sortir proprement le ballon sous pression n’en fait pas partie. Quand Azzedine Ounahi n’est pas en forme, tout le milieu devient dysfonctionnel.
Autre incohérence : faire jouer Ismael Saibari sur un côté, loin de la zone où il excelle avec le PSV. Des choix qui brident les joueurs au lieu de les sublimer.
Les choix en cours de match interrogent tout autant. Sortir Brahim Diaz tôt en seconde période face au Mali a ôté une épine du pied aux adversaires. L’un des seuls joueurs capables de créer le déséquilibre disparaît, et le Mali en profite immédiatement. Un changement qui, loin d’améliorer l’équipe, l’a affaiblie.
Et que dire des coups de pied arrêtés ? On a parfois l’impression qu’ils ne sont tout simplement pas travaillés à l’entraînement. Sur un rare coup franc bien placé lors du premier match, Nayef Aguerd et Diaz se sont emmêlé les pinceaux. Contre le Mali, rebelote : Diaz et Anass Salah-Eddine se disputent le ballon… avant de se prendre le bec après l’action.
Corners mal tirés, schémas inexistants, danger quasi nul : pour une sélection au potentiel aérien aussi important, c’est presque incompréhensible.
Enfin, il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le dire : les réussites actuelles du football marocain ne sont pas l’apanage d’un seul homme. Elles sont le fruit d’un travail de fond engagé depuis des années.
Les faits sont là : troisième place aux Jeux olympiques de Paris avec Tarik Sektioui victoire en CHAN et en Coupe arabe, sacre mondial des U20 au Chili, sans oublier l’essor spectaculaire du football féminin. Tout cela raconte une dynamique globale, structurelle, profonde.
Poser ces questions aujourd’hui ne revient pas à renier le passé, mais à préparer l’avenir. Le Maroc a changé de statut. Il ne peut plus se contenter d’arguments d’autorité ou de souvenirs glorieux.
La CAN 2025 n’attend pas la nostalgie. Elle exige du jeu, de l’adaptation, du courage. Et parfois, la lucidité d’accepter que l’histoire, aussi belle soit-elle, ne suffit plus à gagner le présent.
Ayoub Bouazzaoui
