Taux directeur, banques, financements et change : Abdellatif Jouahri précise les positions de Bank Al-Maghrib
Réuni mardi à Rabat dans le cadre de sa quatrième réunion trimestrielle de l’année 2025, le Conseil de Bank Al-Maghrib a décidé de maintenir le taux directeur inchangé à 2,25 %. Une décision que le Wali de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, a commentée longuement lors du traditionnel point de presse marqué par des échanges nourris avec les journalistes, portant aussi bien sur la situation bancaire que sur les financements innovants, les TPME, la libéralisation du change ou encore la place du cash dans l’économie.
Sur le plan monétaire, le Wali a rappelé que le maintien du taux directeur repose sur une inflation qui demeure à des niveaux bas et sur une transmission encore partielle des précédentes baisses vers les taux débiteurs. Depuis le début du cycle d’assouplissement monétaire en juin 2024, la baisse cumulée des taux appliqués aux crédits bancaires au secteur non financier atteint 58 points de base, contre 75 points de base pour le taux directeur. « Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le Conseil a jugé que le niveau actuel du taux directeur reste approprié », a-t-il indiqué, précisant que la Banque centrale continuera d’ajuster sa politique en fonction de l’évolution des données et du niveau d’incertitude.
Cession bancaire : un processus strictement encadré
Interrogé sur les discussions en cours entre BNP Paribas et le groupe Holmarcom, Abdellatif Jouahri a confirmé que Bank Al-Maghrib est informée de l’existence de contacts préliminaires entre les deux parties. Il a toutefois tenu à rappeler que la Banque centrale n’intervient ni dans le choix de l’acheteur ni dans celui du vendeur. « Ce sont des discussions préliminaires qui peuvent aboutir ou ne pas aboutir », a-t-il souligné.
En revanche, si l’opération devait se concrétiser, elle donnerait nécessairement lieu à un changement de contrôle, impliquant l’octroi d’un nouvel agrément conformément à la loi bancaire. « Un dossier d’agrément est un dossier assez épais », a précisé le Wali, indiquant qu’il porte notamment sur le projet industriel à moyen terme, la solidité de l’actionnariat de référence et le respect de l’ensemble des règles prudentielles. La décision finale revient au Comité des établissements de crédit, composé de représentants du ministère des Finances et de Bank Al-Maghrib.
Financements innovants : un risque assimilé à l’État
Sur les financements innovants, largement souscrits par les organismes de protection sociale et la CDG, le Wali a tenu à dissocier ces opérations des déséquilibres structurels que connaissent certaines caisses de retraite. « Il n’y a pas de lien entre ces opérations et les déficits des caisses », a-t-il affirmé, en soulignant que l’opérateur est l’État, qui garantit les loyers et inscrit les charges correspondantes dans la loi de finances.
Dans ce cadre, Bank Al-Maghrib intervient exclusivement sur le plan prudentiel, en accordant à ces opérations une pondération de risque nulle. « Nous considérons qu’il s’agit d’un risque étatique assimilable à celui de l’État », a expliqué Abdellatif Jouahri, précisant que la Banque centrale veille à la clarté des engagements contractuels et à leur inscription budgétaire. Le choix de souscrire ou non relève en revanche des instances de gouvernance des caisses concernées.
TPME : vers un scoring national obligatoire
Le financement des TPME a également occupé une place centrale dans les échanges. Le Wali a rappelé que, malgré les dispositifs existants, une part importante des projets présentés aux banques continue d’être refusée. Pour y remédier, Bank Al-Maghrib travaille à la mise en place d’un scoring national de la TPME, élaboré en collaboration avec le Credit Bureau.
« Les banques seront obligées d’utiliser ce scoring », a indiqué Abdellatif Jouahri. En cas de rejet d’un dossier ou de modification du score, elles devront justifier leur décision. Parallèlement, un dispositif d’accompagnement renforcé sera assuré par les Centres régionaux d’investissement et Maroc PME, avec une attention particulière portée aux régions situées en dehors de l’axe Casablanca-Rabat. L’objectif affiché est de dépasser les résultats du programme Intelaka et de renforcer durablement les fondations des TPME.
Libéralisation du change : une approche résolument prudente
Sur la libéralisation du régime de change, le Wali a adopté un ton ferme, appelant à éviter toute précipitation. Il a confirmé que la Banque centrale se concentrera d’abord sur la mise en place du ciblage de l’inflation, prévu comme année pilote en 2026, avant une généralisation en 2027. « Tant que j’assume cette responsabilité, nous avancerons de la manière la plus prudente possible », a-t-il déclaré, excluant toute transition rapide vers un régime de change plus flexible.
Selon lui, la principale contrainte réside dans la préparation insuffisante du tissu des TPME, encore peu armé pour gérer les risques liés à la volatilité du change. « Ce n’est pas un refus, c’est une question de capacité et de maturité économique », a-t-il insisté.
Cash et informalité
Enfin, Abdellatif Jouahri a annoncé que le rapport final sur l’usage du cash est achevé et a été transmis au ministère de l’Économie et des Finances ainsi qu’à la Chefferie du gouvernement. Des concertations sont attendues afin d’identifier les leviers permettant de réduire l’usage du numéraire et de lutter contre l’informel, dans une approche progressive et coordonnée.
Selim Benabdelkhalek
