« CAN y a ma CAN »
Il y a des semaines où l’on sent que quelque chose dépasse le simple calendrier. Le 21 décembre 2025, la Coupe d’Afrique des nations s’ouvre au Maroc pour un mois, jusqu’au 18 janvier 2026. Plus qu’un simple tournoi de football, c’est un test de cohésion à l’échelle du continent africain que le Royaume s’apprête à organiser. Et, plus largement, c’est une respiration dans une époque qui ne respire plus très bien.
Car le contexte mondial, lui, n’a rien d’un terrain neutre. Les opinions publiques se fragmentent, se radicalisent, se caricaturent avec des récits politiques qui se construisent souvent pour ne pas dire systématiquement, contre quelqu’un, contre une communauté, contre un supposé ennemi, contre un voisin qu’il soit frontalier ou juste de quartier. Les extrêmes, de gauche et de droite, chacune à sa manière et partout dans le monde, prospèrent sur la même matière première, l’opposition permanente. Dans un monde ultra connecté, les réseaux sociaux accélèrent tout et l’émotion devient une preuve et la polémique une norme. Et, dans ce paysage où l’on confond vitesse et vérité, la cohésion sociale, nationale, régionale, continentale finit par être un luxe.
Rares sont désormais les moments ou les endroits où l’on obtient encore, ce que la politique n’obtient plus, ce fameux consensus. Des foules qui communient et chantent ensemble sans se connaître, des drapeaux qui cohabitent dans une même rue, des inconnus qui se sourient parce qu’ils partagent une tension joyeuse. Cet endroit, c’est le sport. Et, sur ce continent, c’est d’abord le football.
Bien sûr, le football n’est pas une utopie, il crée aussi des dissensions et se nourrit de manière intrinsèque des rivalités. Pendant la compétition, il y aura des affrontements plus symboliques que d’autres, des provocations et des déceptions, des injustices ressenties face à des arbitres accusés et les réseaux sociaux seront surement en surchauffe. Mais, malgré tout cela, l’ambiance reste majoritairement à la fête. À l’heure où les débats publics se vivent comme des guerres de tranchées, c’est déjà énorme.
Dans cette perspective, le Maroc ne joue pas seulement à domicile sur la pelouse. Il joue sur l’organisation, l’accueil, l’image et le récit. Le pays a d’ailleurs mis sur la table des moyens lourds et l’effort n’est pas seulement sportif, le pays prépare aussi plus largement ses capacités d’accueil et de mobilité avec la mise à niveau des aéroports, des gares, des routes etc.
On ne peut donc pas nier l’évidence, cette CAN est une vitrine, et surtout une démonstration de maîtrise logistique. Et, à en croire la dynamique populaire, l’événement s’installe déjà dans le quotidien avec plus de 800.000 billets qui auraient été vendus avant même le coup d’envoi et notamment des matchs du Maroc annoncés à guichets fermés.
L’enjeu pour le Royaume est donc à la hauteur des efforts déployés. Le Maroc a l’occasion de consolider l’image qu’il a construit ces dernières années, celle d’un pays capable d’organiser, d’accueillir, de sécuriser, de connecter, de donner envie. La CAN est un événement africain, mais il est regardé depuis l’Europe, le Golfe, les Amériques. C’est une scène où l’on juge la capacité d’un État à produire de la fluidité. À faire circuler des milliers de personnes, à éviter le chaos, à rendre le plaisir simple. Dans un monde qui doute de tout, offrir un mois de normalité heureuse, c’est une forme de puissance douce.
Tout cela peut produire un bénéfice plus subtil, presque politique au sens noble, celui d’un récit positif. Aujourd’hui, l’économie de l’attention récompense la logorrhée anxiogène. Les algorithmes préfèrent ce qui divise, ce qui choque, ce qui “prouve” qu’on a raison de haïr l’autre. Les médias eux-mêmes, pris dans la course au temps réel, subissent et nourrissent cette mécanique. On produit du “tout de suite”, on commente avant de comprendre, on simplifie avant de vérifier. Résultat, le monde apparaît plus dangereux qu’il ne l’est parfois, et surtout plus irréconciliable qu’il ne devrait l’être.
La CAN peut faire l’inverse, au moins provisoirement. Elle n’effacera pas les fractures, mais elle réinstalle l’idée de communauté. Elle remet en circulation des émotions qui ne sont pas seulement de la colère, comme la joie, la fierté, ou simplement la beauté d’un geste. Elle donne à voir des scènes ordinaires devenues rares, celles de rues avec des foules qui ne sont pas des émeutes.
Nos ainés disent souvent qu’“avant, c’était mieux”. On pourrait sourire de cette nostalgie, mais pour une fois, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que quelque chose a changé ces dernières années. Oui, il y a toujours eu des guerres, des conflits, des attentats, des propagandes, parce que l’histoire n’a jamais été douce. Mais la période récente a franchi un seuil, celui d’une conflictualité devenue permanente.
Alors bienvenue à la CAN 2025. Non pas comme une solution, encore moins comme une fuite. Plutôt comme une bouffée d’espoir assumée qui nous rappelle que quels que soient les résultats sportifs, cette victoire-là vaut déjà beaucoup.
Zouhair Yata
