VTC taxi transport par application

VTC au Maroc : Heureusement que le ridicule ne tue pas…

VTC au Maroc : Heureusement que le ridicule ne tue pas…

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VTC taxi transport par application

Il y a dans la gestion du transport via applications au Maroc une absurdité presque méthodique, un chaos entretenu par le flou et la passivité, un théâtre où l’État joue à la fois le rôle du spectateur, du censeur et du complice. On laisse les plateformes proliférer, on ferme les yeux tant que les taxis ne crient pas trop fort, on attend le scandale, puis on se souvient soudain qu’il existe des lois, souvent inapplicables, toujours dépassées. Entre-temps, les citoyens se débrouillent, les touristes s’y perdent, et le pays donne une image de désordre institutionnalisé qui confine au ridicule.

Un vide juridique systémique

Depuis des années, les Marocains assistent à ce ballet incohérent où les applications de transport se développent sans autorisation formelle, où les taxis traditionnels se révoltent contre une concurrence numérique qu’ils perçoivent comme illégitime, et où les autorités oscillent entre tolérance tacite et répression spectaculaire. La position officielle est connue : les services de type VTC ne sont pas encadrés par la loi, mais continuent d’opérer au vu et au su de tous, dans chaque grande ville du pays. Une hypocrisie d’État qui tient lieu de politique publique, une sorte de compromis bancal entre modernité subie et conservatisme revendiqué.

Le résultat est pathétique : des scènes de poursuite, de tension, parfois de violence, et une peur diffuse chez les utilisateurs qui ne savent plus s’ils agissent dans la légalité ou dans la zone grise d’une loi qui n’existe pas. Le web marocain regorge aujourd’hui de vidéos où des taxis traquent des voitures de particuliers soupçonnés de transporter des clients via application. À Marrakech, récemment, une touriste étrangère, venue profiter de la ville rouge, a vécu ce que beaucoup redoutent : après avoir réservé une course sur inDrive, elle s’est retrouvée encerclée par des chauffeurs de taxi furieux, contrainte d’attendre la police, conduite au commissariat, interrogée pendant des heures pour avoir simplement payé son trajet sur une application téléchargée depuis un store officiel. Son témoignage, publié sur Reddit, a fait le tour du monde numérique et terni, en quelques lignes, l’image d’un pays qui prétend pourtant faire du tourisme un pilier de son économie.

Ce cas n’est pas isolé, il est symptomatique. Symptomatique d’un vide juridique qui devient un vide de gouvernance, d’une administration qui choisit le laxisme comme stratégie de régulation, d’un État qui laisse pourrir une situation au lieu de la cadrer. Car enfin, si ces plateformes sont illégales, pourquoi ne pas les interdire ? Et si elles répondent à un besoin réel, celui de la transparence, de la sécurité, du choix, de la concurrence, pourquoi ne pas les autoriser et les encadrer ? Ce double discours permanent, cette gesticulation bureaucratique qui consiste à fermer les yeux tant que les choses restent discrètes, puis à réagir avec fracas lorsque la presse s’en empare, constitue la quintessence d’une politique de l’improvisation.

Ailleurs, des réformes courageuses

Pourtant, ailleurs, le problème a été affronté, parfois dans la douleur, mais avec une clarté politique. En France, l’explosion des plateformes comme Uber avait d’abord provoqué une véritable guerre de rue entre taxis et VTC. L’État y a répondu par une réforme profonde : création d’un statut légal du chauffeur VTC, obligation d’obtenir une carte professionnelle, immatriculation du véhicule auprès du ministère, assurance spécifique, et limitation des trajets à la réservation préalable. En parallèle, pour calmer la colère des taxis, plusieurs avantages ont été maintenus et même consolidés : droit exclusif de la maraude dans la rue, c’est à dire la possibilité pour un taxi de s’arrêter et de prendre un client directement dans la rue, sans réservation. Ce privilège est strictement interdit aux chauffeurs VTC, qui ne peuvent, eux, transporter un passager qu’après une commande enregistrée sur l’application, avec une trace horaire et une facture. Ce monopole de la maraude a permis aux taxis de conserver une activité spontanée et visible ; celle de la course de proximité, celle du client qui sort d’un restaurant, d’un train ou d’un hôtel et fais signe à un véhicule, alors que les VTC sont cantonnés au transport planifié. Ce détail juridique a été déterminant : il a redonné une valeur économique à la plaque de taxi, il a maintenu le lien direct entre le chauffeur et la rue, et il a symboliquement restauré une frontière claire entre le service public autorisé et le service privé régulé. À cela se sont ajoutés d’autres privilèges : accès aux voies de bus dans la plupart des grandes villes, stationnement prioritaire dans les gares, hôtels et aéroports, ainsi qu’un fonds de compensation pour amortir la chute de valeur des licences. Certains chauffeurs ont été aidés à se reconvertir, d’autres ont bénéficié d’allègements fiscaux ou de prêts bonifiés pour moderniser leurs véhicules.

En somme, la France a reconnu la légitimité des taxis sans renoncer à l’innovation : le compromis a été social, fiscal et urbain. Le conflit s’est apaisé sans disparaître, mais il s’est civilisé : on ne se poursuit plus dans les rues de Paris, on se concurrence dans le cadre d’une loi claire.

L’ambiguïté a un coût

Et le plus ironique dans tout cela, c’est que ces applications que l’on dit “illégales” ne se cachent même pas. Elles achètent des espaces publicitaires géants, s’affichent en 4×3 sur les boulevards des grandes villes du Royaume, sponsorisent des vidéos sur YouTube et des stories sur Instagram, apparaissent sur les sites d’information avec des bannières en rotation, comme n’importe quelle marque dûment autorisée. inDrive, Yango, Careem, toutes mènent leurs campagnes marketing au grand jour, parfois même en arabe et en darija, avec slogans, promotions et codes de réduction. Aucun ministère ne les rappelle à l’ordre, aucun organisme de régulation ne bloque leurs publicités, aucun opérateur télécom ne restreint leurs téléchargements. Comment peut-on prétendre qu’elles sont “hors-la-loi” quand elles font leur publicité sur les panneaux publicitaires de la même ville où leurs chauffeurs risquent d’être arrêtés ?

L’État aime répéter qu’un cadre légal est “en cours d’élaboration”. On entend cette promesse depuis des années. Pendant ce temps, les usagers continuent de naviguer dans le flou, les touristes apprennent à leurs dépens les subtilités d’un système qui tolère ce qu’il condamne, et les autorités jouent les pompiers après avoir allumé l’incendie.

Au fond, ce dossier du transport via applications révèle bien plus qu’un vide réglementaire : il expose la manière dont le Maroc gère ses mutations modernes ; à coups de temporisations, de déclarations prudentes et de contradictions flagrantes. Le pays se targue de digitaliser son administration, de bâtir des villes intelligentes, d’attirer les investisseurs de la tech, mais il demeure incapable de définir le statut d’une simple application de transport. Et ce n’est pas un détail technique : c’est un symbole, celui d’un État qui confond prudence et inertie, et qui finit toujours par payer le prix du désordre qu’il a lui-même entretenu.

À force d’hésiter entre autoriser et interdire, entre moderniser et protéger, le Maroc s’est enfermé dans une impasse dont il ne sortira que par un choix clair, courageux et assumé. L’ambiguïté ne fait plus illusion ; elle coûte cher, en confiance, en sécurité, en image, et désormais en crédibilité. Car un pays qui laisse une touriste se faire interroger pour avoir utilisé un service qu’il n’interdit pas officiellement n’a pas un problème de loi, mais un problème d’État.

 

Ayoub Bouazzaoui

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