Le revoilà. Abdelilah Benkirane, somme toute respecté ex-chef du gouvernement pendant plus de sept années, est de retour. Mais, comme souvent lorsqu’il est en confiance (ou qu’il feint de l’être), c’est son alter ego qui s’est exprimé, son autre personnalité. Celle du pamphlétaire, de l’orateur harangueur de foules, du populiste décomplexé, qui avec son sens très particulier de la formule et de la métaphore, débarque comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. A quelques jours du 8 mars, journée internationale des droits (pas des fleurs) des Femmes, « Benkiki » comme certains le nomment affectueusement, met les pieds dans le plat et tire tous azimuts sur la réforme à venir de la Moudawana.
Et, plutôt que de donner son opinion, aussi franche et opiniâtre soit-elle, sur les problèmes objectifs que connait la femme marocaine, sur les cas de divorce difficiles, ou les mères célibataires, ou encore les responsabilités non assumées des hommes, il se transforme en commentateur patenté de l’actualité people internationale. Avec une précision digne du plus grand fan des Kardashians, il égrène les exemples selon lui de la déliquescence des civilisations occidentales.
Les problèmes d’héritage de Johnny Halliday, l’affaire Alain Delon et le conflit entre ses enfants, la situation inédite de Cristiano Ronaldo qui n’aurait pas épousé sa femme sur les conseils de sa mère pour qu’elle n’est pas accès à l’héritage… Ce n’est pas tout… La grève du sexe en France, les féminicides au Mexique, la catastrophe que représentent à ses yeux les communautés LGBTQ, qu’il désigne tout simplement d’ailleurs de gays et lesbiens. Tous les exemples choisis par Benkirane lui permettent en fait d’atterrir sur une conclusion qui lui parait infaillible : sur certains sujets il faut dire « non » et s’il le faut, c’est dans la rue qu’il faudra l’exprimer en manifestant. Rideau.
Sauf que, si Benkirane a réussi son show médiatique et qu’il a fait son petit effet sur ses militants pjdistes, le discours qu’il tient n’est pas anodin même s’il prêtait à rire. D’abord, Si Abdelilah devrait se rappeler que c’est une volonté et une initiative royales qui sont à l’origine de cette nouvelle réforme, comme la précédente déjà d’ailleurs et il n’y aura pas de statu quo possible, encore moins un retour en arrière sur les acquis. Le Souverain a impliqué par son impulsion, toutes les parties prenantes possibles et imaginables autour de la réforme, des Oulémas aux associations de défense des droits des femmes, qui agissent sur le terrain et dont les témoignages parfois sordides, sont bien loin des commérages sur les fortunes des Delon et des Hallyday. Quant à la morale et les mœurs, malgré sa verve, jamais Benkirane ne s’exprime sur les travers de ses camarades, aussi crus soient-ils.
En réalité, si le conservatisme est une force nécessaire et omniprésente à travers le monde, face au modernisme qui répond aux évolutions que connaissent nos sociétés, la déviance de Benkirane réside dans sa manipulation. Car il est parfaitement conscient des enjeux réels de la réforme de la Moudawana, et le cadre dans lequel elle se joue. Sauf que le sort de la femme marocaine est le cadet de ses soucis. N’ayant pas le courage de simplement assumer haut et fort qu’il veut cantonner la femme à un rôle uniquement dans la sphère privée, familiale et de dévotion à son mari, il agite des dangers « wokistes » au-dessus de nos têtes, en voulant nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Par ailleurs, ses menaces à demi-mot de battre les pavés des rues pour manifester contre la réforme de la Moudawana, n’ont pas du tomber dans l’oreille d’un sourd. En définitive, comme il semblerait que Benkirane ait la main bien agrippée à la télécommande, qu’il continue de zapper, et qu’il nous zappe aussi par la même occasion.
Zouhair Yata
Trouvez les mots de cet article sur notre grille de mots croisés générée en I.A.
Mots croisés du jour
Avez-vous été attentif durant la lecture de cet article? Prouvez-le en complétant la grille de mots croisés généré à partir de ce dernier.