Par Selim Benabdelkhalek
L’une des formes que prend la relation du FMI avec ses pays membres est l’octroi de lignes de financement, qui doivent donner aux pays une marge de manœuvre suffisante pour ajuster leurs politiques publiques de manière ordonnée, créant ainsi des conditions propices à une économie stable et à une croissance durable. Plus les fondamentaux de l’économie du pays qui bénéficie de cette ligne sont solides, plus la ligne de financement que peut proposer le FMI est souple, et plus ses conditions sont avantageuses.
Ceci est particulièrement bien illustré à travers les relations que le Maroc entretient avec le FMI. Entre 1959 et 1993, le Maroc a bénéficié de plusieurs Accords de confirmation, qui visaient à apporter une aide de court à moyen terme aux pays en difficulté de balance des paiements à court terme. Ces accords spécifiaient que les décaissements des fonds étaient conditionnés à l’accomplissement de certains critères, notamment la mise en place de mesures visant à résoudre les problèmes liés à la balance des paiements.
Au début des années 1980, le Maroc a également fait face à une grave détérioration de ses équilibres internes et externes. Pour faire face à ces défis économiques, le Royaume a sollicité et obtenu l’aide du FMI en 1983, se traduisant par la signature de six accords de confirmation jusqu’en 1993. Cependant, cette assistance financière était soumise à la mise en œuvre d’un vaste Plan d’ajustement structurel (PAS), supervisé par le gouvernement. Le PAS a englobé divers domaines d’intervention, notamment les finances publiques, le commerce extérieur avec la libéralisation graduelle des importations et un assouplissement de la réglementation des changes, ainsi que le système financier pour assurer une meilleure mobilisation de l’épargne et une allocation plus efficace des ressources. Parmi les réformes adoptées figuraient le développement du marché monétaire, la modernisation du cadre de conduite de la politique monétaire, une refonte du cadre législatif régissant l’activité bancaire avec l’introduction d’une nouvelle loi bancaire en 1993, notamment le décloisonnement de l’activité bancaire, ainsi qu’un renforcement de la réglementation prudentielle et une réforme de la bourse.
Exit le PAS, place à la LPL
Dans les années 1990, le Maroc a continué de bénéficier de l’appui du FMI à travers des lignes de financement de précaution, également connues sous le nom de « stand-by arrangements ». Ces lignes de financement ont été mises en place pour aider le pays à faire face à d’éventuels chocs économiques et à maintenir la stabilité macroéconomique. En échange de ces lignes de financement, le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre des politiques économiques et des réformes structurelles spécifiques.
Dans les années 2010, le Maroc s’est vu octroyer par le FMI une Ligne de Précaution et de Liquidité. La LPL a été mise en place en 2011 en remplacement de la Ligne de crédit de précaution. Elle vise à répondre de manière souple aux besoins de balance des paiements réels ou potentiels des pays membres ayant une économie solide mais restant exposés à certains facteurs de vulnérabilité.
Les critères d’admissibilité à la LPL sont moins stricts que pour la LCM, les pays devant satisfaire à au moins trois des cinq domaines de qualification. Le Maroc a souscrit à un accord LPL en août 2012 (se qualifiant sous les domaines «Politique monétaire», «Solidité et supervision du secteur financier» et «Qualité des données»), pour un montant de 4,12 milliards de DTS, soit 700% de sa quotepart. Cet accord a été renouvelé à trois reprises, et le dernier accord a été approuvé en 2018 pour un montant de 2,15 milliards de DTS, représentant 240% de la quotepart du Maroc. En 2020, pendant la crise sanitaire, le FMI a approuvé une nouvelle ligne de financement de précaution, la Ligne de Précaution et de Liquidité Renforcée (LPRL). Cette ligne de financement visait à fournir une assurance supplémentaire et à soutenir les efforts du Maroc pour atténuer l’impact économique de la pandémie. Le Maroc a utilisé la totalité du montant décaissé en avril 2020. Notons que d’autres pays ont également bénéficié de la LPL, à savoir la Macédoine en janvier 2011 puis en décembre 2022 (avec décaissement immédiat), et le Panama en janvier 2021.
Pour sa part, la LCM a été créée en 2009 par le FMI pour répondre aux besoins de balance des paiements des pays présentant une politique économique solide. Les pays éligibles doivent remplir des critères dans cinq domaines de qualification, notamment la position extérieure, l’accès aux marchés, la politique budgétaire, la politique monétaire, la solidité et la supervision du secteur financier, ainsi que la qualité des données. Les pays admissibles peuvent demander un tirage sur la ligne de crédit pendant une période déterminée, renouvelable chaque année. Ils peuvent également choisir de l’utiliser comme une précaution. Les montants approuvés ne sont pas plafonnés, et le pays peut les décaisser à tout moment pendant la période de l’accord, sans conditionnalité.
Quelques pays ont bénéficié de la LCM, dont le Mexique, la Colombie et la Pologne. Plus récemment, en réponse à la crise liée à la Covid-19, le Chili et le Pérou ont également bénéficié de la LCM en 2020. Le Maroc a souscrit à un accord LCM en avril 2023 pour une durée de 2 ans. Le montant équivalent est de 3,7 milliards de DTS, soit environ 5 milliards de dollars, représentant 417% de sa quote-part. Jusqu’à présent, le Maroc n’a pas effectué de tirage sur cette ligne de crédit.
Il est à noter que les frais et commissions appliqués aux deux types de lignes de crédit, la LCM et la LPL, sont les mêmes. On aura remarqué que si le Maroc a souscrit plusieurs fois à une ligne de financement du FMI, il n’a en général pas eu besoin de tirer sur cette ligne, en dehors de l’urgence créée par la crise sanitaire de 2020. Et si ce genre de situation, à savoir un événement imprévisible aux conséquences désastreuses sur l’économie, est la raison d’être de la LPL et de la LCM, c’est loin d’en être le seul avantage.
Une confiance renforcée
Le fait de bénéficier d’une ligne de financement du FMI peut renforcer la confiance des investisseurs internationaux, car cela démontre la volonté du pays de mettre en œuvre des politiques économiques saines et de respecter les normes financières internationales. Cela peut faciliter l’accès aux marchés financiers internationaux et attirer les investissements étrangers.
Ce dernier point est particulièrement crucial pour le Royaume, ces lignes étant l’une des raisons majeures derrière les bonnes conditions de financement du Maroc lors des sorties du Trésor à l’international. Il faut également noter qu’en plus de la fourniture de ressources financières, le FMI offre également une assistance technique et des conseils aux pays bénéficiaires pour les aider à renforcer leurs capacités économiques et financières. Cela peut inclure des conseils sur la politique monétaire, la gestion des réserves, la supervision financière et d’autres domaines clés.
Bien évidemment, le gouvernement marocain et les institutions nationales gardent toutes leur souveraineté quant à l’implémentation de ces conseils.