Entretien avec Mme Julie Kozack, Directrice du département communication du FMI
Comment le FMI définit-il sa mission et comment celle-ci se matérialise auprès des pays membres ? Quel soutien
apporte-t-il aux pays les plus vulnérables et comment aborde-t-il la question du changement climatique ? Mme
Julie Kozack, Directrice du département communication du FMI, éclaire nos lecteurs sur ces questions cruciales pour
appréhender l’ampleur et les enjeux des Assemblées annuelles d’octobre prochain à Marrakech.
Propos recueillis par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune: Pouvez-vous décrire le FMI, sa mission et ce qu’il fait exactement ?
Mme Julie Kozack: Le FMI est une organisation internationale comptant 190 membres. Ses services se distinguent par leur grande diversité, étant originaires de plus de 150 pays. Les 24 administrateurs du FMI représentent tous les pays membres et prennent leurs décisions par consensus. Le FMI est gouverné par ses pays membres auxquels il rend compte de son action, qui a pour objectifs une croissance et une prospérité durables pour tous les pays membres.
Le FMI possède trois missions cruciales: promouvoir la coopération monétaire internationale, favoriser l’expansion du commerce et de la croissance économique, et décourager les politiques économiques susceptibles de nuire à la prospérité. Nous nous acquittons de ces missions en appuyant les politiques économiques qui favorisent la stabilité financière et la coopération monétaire. Nos fonctions courantes peuvent être subdivisées en trois catégories d’intervention auprès des pays membres : la prestation de conseils en matière de politique économique, le développement des capacités, et l’assistance financière ou l’octroi de prêts.
Pouvez-vous donner un exemple de conseil que vous donnez aux pays ?
L’une des principales responsabilités du FMI est la surveillance, qui consiste à suivre la situation et les politiques économiques et financières des pays membres. Le FMI réalise un bilan de santé économique annuel des pays membres, également appelé «consultations au titre de l’article IV», et nos équipes effectuent des visites de travail. Ce faisant, le FMI détecte les risques et prodigue des conseils en recommandant des ajustements favorables à la croissance économique et à la stabilité financière.
Le développement des capacités incombe également au FMI : il fournit une assistance technique et des formations aux fonctionnaires pour aider les pays membres à renforcer leurs institutions économiques dans des domaines tels que la fiscalité et l’administration, la gestion des dépenses, la politique monétaire et la politique de change, la surveillance et la réglementation du système financier, les cadres juridiques et les statistiques.
Au cours de l’exercice 2023, le FMI a dispensé plus de 510 cours dans sept langues pour former 19 817 fonctionnaires. Les pays en développement à faible revenu, les pays fragiles et les petits pays sont les principaux bénéficiaires des activités de développement des capacités.
Quel type de soutien le FMI apporte-t-il aux pays membres aux plus faibles revenus et les plus vulnérables ?
Le FMI fournit un large soutien aux pays à faible revenu en proposant des conseils en matière de politique économique, des activités de développement des capacités et un appui financier concessionnel (aide fournie à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché). La mobilisation de financements concessionnels et de dons en faveur des pays membres les plus vulnérables demeure une priorité absolue du FMI.
Le FMI octroie des aides concessionnelles (actuellement sans intérêt) par le biais du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (fonds fiduciaire RPC), qui est spécifiquement adapté à la diversité et aux besoins des pays à faible revenu.
Le FMI a apporté un soutien sans précédent aux pays à faible revenu pendant la pandémie de COVID-19. Les financements au titre du fonds fiduciaire RPC en faveur des pays à faible revenu du début de la pandémie jusqu’à la fin de juin 2023 avoisinent les 29 milliards de dollars, et plus de 80 % des pays admissibles en ont bénéficié. De nombreux pays parmi les plus pauvres de la planète, de la République démocratique du Congo au Tchad en passant par le Népal, ont ainsi été protégés contre l’instabilité.
Étant donné la forte croissance des besoins de financement des pays à faible revenu, la demande de prêts au titre du fonds fiduciaire RPC devrait représenter près de 40 milliards de dollars. Récemment créé, le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (fonds fiduciaire RD) offre des financements à long terme à des taux d’intérêt abordables aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire vulnérables cherchant à améliorer leur résilience aux chocs extérieurs, et notamment à être mieux préparés face aux changements climatiques et à d’éventuelles pandémies.
Les financements au titre du fonds fiduciaire RD ont déjà été approuvés pour neuf pays (dont le Bangladesh, la Barbade, le Costa Rica, la Jamaïque et le Rwanda), et plus de 40 autres pays ont fait part de leur intérêt à cet égard. Trois autres pays ont conclu un accord au niveau des services (Seychelles, Kosovo et Niger). Les pays bénéficiaires de financements par le biais de ce fonds fiduciaire mettent en œuvre des politiques en matière de climat et des réformes de la gouvernance plus vigoureuses. Nous espérons que dix autres pays en bénéficieront l’année prochaine.
Des chocs climatiques conjugués à la pandémie ont également perturbé la production et la distribution de denrées alimentaires, ce qui s’est traduit par un renchérissement de l’alimentation des personnes et des familles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a fait grimper le prix des denrées et des engrais et a exacerbé les pénuries alimentaires. C’est ce qui a amené le FMI à ajouter, en octobre dernier, un nouveau guichet à son éventail d’instruments de financement d’urgence : le guichet de financement des ripostes aux chocs alimentaires. Ce guichet constitue une nouvelle source de financement d’urgence destinée aux pays membres qui ont des besoins urgents en matière de balance des paiements en raison d’une insécurité alimentaire aiguë, d’une forte augmentation de la facture de leurs importations alimentaires ou d’un choc subi par leurs exportations de céréales.
Nous nous employons également à reconstituer le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes), qui permet aux pays frappés par des chocs importants tels qu’une catastrophe naturelle ou une crise de santé publique d’alléger le service de leur dette.
Le monde a radicalement changé, et il va de soi que le FMI évolue en conséquence. Nous améliorons constamment notre boîte à outils et renforçons notre expertise et nos instruments afin d’être les mieux placés pour surmonter les difficultés qui nous attendent et pour mieux soutenir les pays émergents et les pays en développement membres.
Quel est le rôle du FMI dans la réduction des risques climatiques mondiaux ?
Ces dernières années, le FMI a intégré le climat dans l’ensemble de ses activités, cette dimension étant cruciale du point de vue macroéconomique. Nous l’avons intégré dans nos analyses et nos conseils relatifs aux politiques budgétaires et monétaires ainsi que dans nos évaluations du secteur financier. En outre, nous disposons bien évidemment d’un instrument financier pouvant être utilisé dans ce domaine (fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité/facilité pour la résilience et la durabilité).
Permettez-moi de mettre en exergue un domaine dans lequel le FMI n’a cessé d’encourager le monde à agir : la tarification du carbone. D’après notre analyse, il sera impossible d’atteindre l’objectif consistant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius d’ici à 2030 sans tarification du carbone. Nous devons donc mettre en place cette mesure incitative.
Nous avons proposé un prix minimal équitable pour le carbone : les pays les plus pauvres paieraient moins, les pays à revenu intermédiaire paieraient davantage, et les pays riches paieraient évidemment le prix le plus élevé.
Le financement de la lutte contre les changements climatiques est un autre domaine qui concerne le FMI, car nous aidons nos membres à s’adapter au défi posé par ces changements et à accélérer la transition verte. Des milliers de milliards de dollars seront nécessaires pour aiguiller le monde sur la voie de l’émission nette nulle et aider les pays à s’adapter aux effets les plus terribles du réchauffement de la planète. Aucun gouvernement ou institution ne peut mobiliser à lui seul une telle somme. Les besoins de financement sont particulièrement importants pour les pays émergents et les pays en développement.
Au cours des trois dernières années, le Maroc a été frappé non seulement par les chocs mondiaux de la pandémie et des retombées économiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais aussi par deux graves sécheresses, en 2020 et 2022. L’équipe du FMI chargée du Maroc a aidé son administration à faire face aux problèmes liés au climat. En ce qui concerne les sécheresses, l’équipe a conseillé à l’administration marocaine d’investir davantage dans les infrastructures hydrauliques (usines de dessalement, usines de traitement de l’eau, canalisations reliant les réservoirs, et augmentation du nombre de réservoirs) et d’adopter des mesures de gestion de la demande (y compris la révision de la tarification de l’eau pour s’assurer qu’elle reflète mieux la rareté de cette ressource).
À l’heure actuelle, qu’est-ce qui préoccupe le plus le FMI ?
L’économie mondiale a actuellement plusieurs défis à relever, notamment la lutte contre l’inflation, la gestion du redressement après la pandémie, la réduction de la dette et la recherche de moyens d’accélérer la croissance. En outre, la fragmentation géoéconomique constitue un risque croissant, qui ajoutera à la complexité de ces tâches et aggravera la situation de tous les pays. Le FMI demeure la principale enceinte de coopération sur les questions clés liées à la gouvernance économique mondiale, y compris les problèmes liés à la dette.
S’agissant de la dette, en 2023, le FMI, en coopération avec la Banque mondiale et la présidence indienne du G20, a créé la table ronde mondiale sur la dette souveraine, qui a pour mission de renforcer la compréhension mutuelle entre les principaux acteurs (créanciers bilatéraux, créanciers privés et emprunteurs) des restructurations de dette.
Le FMI est déterminé à aider ses membres à progresser ensemble dans les domaines où la coopération est essentielle et où il faut agir sans plus attendre.
Quelle est la différence entre le FMI et la Banque mondiale ?
Le FMI et la Banque mondiale partagent un objectif, celui d’améliorer le niveau de vie des habitants des pays membres. Leurs approches sont complémentaires : le FMI se concentre sur la stabilité macroéconomique et financière, tandis que la Banque mondiale s’intéresse davantage au développement économique à long terme et à la réduction de la pauvreté.
Le FMI n’accorde pas de prêts pour des projets spécifiques. Il met plutôt ses conseils en matière de politique économique, ses activités de développement des capacités et son assistance financière à la disposition des pays touchés par des crises afin de leur apporter le ballon d’oxygène financier dont ils ont besoin pour mettre en œuvre des politiques publiques destinées à rétablir la stabilité économique et la croissance. Il accorde également des financements à titre de précaution pour aider les pays à prévenir les crises. Depuis 2012, le Maroc a bénéficié de quatre lignes de précaution et de liquidité successives, chacune s’élevant à environ 3 milliards de dollars.
Bien que ces lignes lui aient été très utiles, le Maroc a récemment obtenu une ligne de crédit modulable pour l’aider à faire face au défi posé par la reconstitution de sa marge de manœuvre, tout en accélérant la mise en œuvre de son programme de réformes structurelles.
La Banque mondiale et le FMI coordonnent l’organisation de leurs assemblées annuelles et réunions de printemps. Les assemblées annuelles auront lieu en Afrique pour la première fois en 50 ans (la dernière s’est tenue au Kenya en 1973) et dans le monde arabe pour la première fois en 20 ans (la dernière s’est tenue aux Émirats arabes unis en 2003). Ces assemblées sont l’occasion pour l’Afrique et le monde arabe de réaffirmer leur importance et leur influence sur la scène internationale.