L'entrée de la Banque centrale turque, le 9 juin 2023 à Ankara
La Banque centrale turque a relevé jeudi son taux directeur à 15% dans un revirement politique majeur, abandonnant pour la première fois depuis deux ans les mesures économiques non conventionnelles promues par le président turc Recep Tayyip Erdogan.
La banque a ainsi porté son taux directeur de 8,5% à 15% lors de sa première réunion de politique monétaire depuis la réélection du chef de l’Etat turc en mai.
La décision vise « un resserrement monétaire afin d’établir au plus tôt le cours de la désinflation », a précisé la Banque centrale dans un communiqué.
« Le resserrement monétaire sera renforcé autant que nécessaire, de manière opportune et progressive jusqu’à ce qu’une amélioration significative des perspectives d’inflation soit obtenue », a-t-elle ajouté, laissant entendre que la hausse des taux pourrait continuer dans les mois à venir.
M. Erdogan avait affirmé la semaine dernière que sa conviction sur la nécessité de baisser les taux restait « inchangée ». Il a néanmoins laissé entendre qu’il avait donné son accord pour une hausse des taux.
Les analystes estiment qu’une forte hausse du taux directeur pourrait aider à redresser l’économie turque.
A rebours des théories économiques classiques, M. Erdogan, réélu fin mai pour un troisième mandat, estime que les taux d’intérêt élevés favorisent l’inflation.
Durant des deux dernières années, il a contraint la banque centrale turque à baisser les taux dans le cadre d’un « nouveau modèle économique » privilégiant la croissance et la création d’emplois.
Mais ce choix a contribué à la flambée de l’inflation – repassée en mai sous la barre des 40% pour la première fois en seize mois, selon les chiffres officiels – ainsi qu’à la chute de la livre turque qui a perdu plus de 80% de sa valeur par rapport au dollar en cinq ans.
Les économistes indépendants contestent le taux officiel de l’inflation et l’estiment à plus de 100%.
Ils critiquent aussi la banque centrale turque pour avoir dépensé près de 30 milliards de dollars pour soutenir la monnaie nationale entre le 1er janvier et le scrutin présidentiel, poussant ses réserves de change en terrain négatif pour la première fois depuis 2002.
Début juin, la livre turque a chuté de plus de 7% et atteint de nouveaux records à la baisse par rapport au dollar et à l’euro La monnaie turque s’échangeait mercredi autour d’un dollar pour 23,6 livres.
-« Mesures rationnelles »-
Le chef de l’Etat a donné des signes d’un possible retour à des politiques plus conventionnelles depuis sa réélection, en nommant notamment un ancien économiste de la banque américaine Merrill Lynch, Mehmet Simsek, au ministère de l’Économie, et une ancienne cadre de Wall Street, Hafize Gaye Erkan, à la tête de la banque centrale.
Lors de sa prise de fonctions, M. Simsek, déjà ministre de l’Économie (2009-2015) puis vice-Premier ministre chargé de l’Économie (jusqu’en 2018), a prévenu qu’il faudrait revenir à des « mesures rationnelles » pour redresser l’économie turque.
M. Erdogan a plusieurs fois invoqué dans le passé les préceptes de l’islam, qui interdit l’usure, et affirme que les taux d’intérêt élevés sont promus par un « lobby » étranger. Il a cependant affirmé mercredi dernier avoir « accepté » que sa nouvelle équipe puisse prendre des mesures qui contredisent ses convictions.
M. Simsek et le nouveau vice-président Cevdet Yilmaz se sont envolés jeudi vers Abou Dhabi pour mobiliser de nouveaux investissements et prêts. La nomination de M. Simsek et de Mme Erkan avait été applaudie par les marchés.
Mais des observateurs craignent que le champ d’action de la nouvelle équipe soit à court terme restreint par le président turc qui a déjà fait valser plusieurs ministres et gouverneurs de la banque centrale lorsque ceux-ci contredisaient ses décisions.
L’un des programmes les plus coûteux en Turquie implique un système de protection des dépôts bancaires que M. Erdogan a déployé fin 2021. Il engage le gouvernement à couvrir toute perte subie par les dépôts en livres turques du fait de la dépréciation de la monnaie.
Cela signifie qu’un retour rapide à un taux de change flottant pourrait peser encore plus lourdement sur le budget tendu. Beaucoup s’attendent à ce que M. Simsek supprime progressivement le programme.
LNT avec Afp