Ce mardi 20 décembre, M. Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, a reçu la presse dans la foulée de la réunion du Conseil de BAM pour en présenter les conclusions et décisions. Comme il était largement pressenti par les analystes, le Conseil a décidé l’augmentation du taux directeur de 50 pbs à 2,5%, soit une deuxième hausse de suite après celle de septembre.
Comme l’a expliqué le Wali, il est encore « un peu tôt pour parler de l’impact » de la première hausse, car les enquêtes sur les taux débiteurs appliqués par les banques se fait trimestriellement, et donc qu’il faut attendre les statistiques du 4ème trimestre. Pourquoi alors le Conseil a-t-il pris cette décision de rehausser de nouveau le taux directeur ?
Si jusqu’au mois de septembre, BAM anticipait un retour à des niveaux plus acceptables de l’inflation en 2023 (plus précisément, 6,3% en 2022 et 2,4% en 2023), selon le communiqué du Conseil, cette inflation « va devoir continuer à enregistrer des taux élevés pour une période bien plus longue que prévu en septembre, impactée notamment par les pressions externes qui se diffusent aux biens et services non échangeables et par la mise en œuvre de la réforme du système de compensation à partir de 2024 ». Les nouvelles prévisions de BAM tablent ainsi sur 6,6% en 2022, et 3,9% en 2023. De plus, avec la décompensation prévue pour 2024, l’inflation atteindrait 4,2% cette année-là.
C’est ainsi, selon M. le Wali, qu’elle « reste au-delà des niveaux que nous jugeons de stabilité des prix », et que « nous estimons que c’est un niveau [du taux directeur] qui va permettre de mieux ancrer les anticipations d’inflation ».
La spirale inflationniste actuelle continue d’être alimentée par les implications du conflit en Ukraine, la crise énergétique, la fragmentation géopolitique et économique, ainsi que les effets de la crise sanitaire.
Dans ce sillage, M. Jouahri a mis en avant la poursuite de la dégradation des perspectives économiques mondiales, qui se manifeste principalement dans un ralentissement de la croissance économique de 6,1 % en 2021 à 3,1% en 2022 puis à 2,2% en 2023. Il a également fait état d’un niveau élevé des prix des produits énergétiques, en dépit d’un repli enregistré à moyen terme, auquel s’ajoutent les niveaux exceptionnels d’inflation en 2022 qui ne devrait baisser que graduellement. Les banques centrales poursuivent dans ce sillage le resserrement de leurs politiques monétaires, malgré la détérioration des perspectives économiques, mettant en relief leur priorité majeure, celle de la préservation de la stabilité des prix et le retour à leurs objectifs d’inflation.
La hausse du taux directeur est également une réponse au problème de l’épargne négatif, sujet que le Wali tient particulièrement à cœur. « L’augmentation des taux que nous opérons va devoir pousser la clientèle à réclamer une meilleure rémunération au niveau du système bancaire. Cela ne signifie pas qu’elle va pouvoir obtenir une rémunération positive d’un seul coup, mais le différentiel sur le plan négatif va s’amoindrir », a-t-il affirmé.
Une croissance faible attendue en 2023
Au niveau des autre chiffres projetés par BAM, la croissance économique devrait nettement ralentir à 1,1% en 2022, puis s’accélérer à 3% en 2023. On notera toutefois que les transferts des MRE devraient enregistrer une hausse de 12,9% pour atteindre 105,8 MMDH en 2022, un record. Avec les bons résultats attendus des recettes voyage, les avoirs officiels de réserves (AOR) s’établiraient à 341,7 MMDH en 2022 avant de s’élever à 362,9 milliards à fin 2023. On relèvera également que le déficit du compte courant se creuserait de 2,3% du PIB en 2021 à 3,3% en 2022 avant de s’atténuer à 2,1% en 2023 puis à 1,9% en 2024.
Au niveau des finances publiques, les recettes ordinaires se sont améliorées de 25,6% portée principalement par l’augmentation notable des rentrées fiscales et la forte progression des recettes des mécanismes de financement spécifiques. De leur côté, les dépenses globales se sont alourdies de 15,9% reflétant en particulier la hausse de la charge de compensation. Dans ces conditions, le déficit budgétaire devrait s’atténuer graduellement, revenant de 5,9% du PIB en 2021 à 5,3% en 2022 avant de diminuer à 4,6% en 2023 et à 4% en 2024.
Parmi les autres points abordés par M. Jouahri durant le point de presse, il y a lieu de citer le fait qu’une Ligne de Crédit Modulable avec le FMI est envisagée en mars. « Ce mécanisme de financement est réputé pour sa souplesse et assure aux pays admissibles l’accès immédiat à un montant élevé de ressources du FMI sans conditionnalité continue », a expliqué M.Jouahri, précisant que la signature de cette ligne de crédit interviendra probablement en mars si le Maroc remplit certaines conditions, dont la sortie de la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI). Et de noter qu’une visite des experts GAFI est attendue entre le 16 et le 23 janvier prochains, avec pour objectif de s’assurer que le Maroc a procédé à l’application effective de leurs recommandations.
Le Wali a également évoqué la possibilité que BAM intervienne sur le marché des bons du Trésor pour le réguler et offrir de la liquidité aux investisseurs. « Si cette intervention est opérée, elle sera la première dans l’histoire de Bank Al Maghrib », a fait savoir M. Jouahri, notant que la Banque centrale peut intervenir sur le marché obligataire à tout moment si elle l’estime nécessaire. « Les statuts de Bank Al Maghrib permettent ces interventions », a relevé M. Jouahri, soulignant que le mécanisme d’intervention, le traitement comptable et les détails de ces opérations ont été verrouillés.
Crypto-monnaies, bientôt du concret ?
Concernant les crypto-monnaies, le projet avance bien, selon le Wali de BAM. Le projet de loi visant à réglementer l’usage des cryptomonnaies est prêt, a-t-il annoncé, faisant savoir que le draft complet est prêt pour mettre en place un cadre réglementaire adéquat. « Des discussions doivent être engagées avec toutes les parties prenantes, notamment l’Autorité marocaine des marchés de capitaux (AMMC) et l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS) », a indiqué le Gouverneur de BAM. Et d’ajouter : « On a procédé à une définition spécifique de la cryptomonnaie et préparé une enquête grand public qui détaille les spécificités et l’utilisation de cette monnaie virtuelle au Maroc ».
Enfin, au niveau du mobile banking, où les choses n’avancent pas aussi vite que souhaité, le Wali a été clair : « Techniquement tout est là, mais l’écosystème n’est pas là ». « Nous sommes à 1,5 million de M-wallets. Sur le plan technique, tous les essais du switch ont été effectués et nous assurons l’interopérabilité des services de paiements mobiles », a fait savoir M. Jouahri, mais les transactions restent faibles. Et de rappeler que BAM a mis en place, en collaboration avec l’écosystème du paiement mobile, une stratégie de communication institutionnelle afin d’asseoir la crédibilité de ce nouveau moyen de paiement et la confiance du public pour son utilisation, et de vulgariser les usages du paiement mobile. Il a toutefois évoqué la possibilité de mettre en place de nouvelles incitations, notamment pour les commerçants de proximité, pour encourager l’adoption de cette technologie. Il s’agirait également de faire passer le paiement des aides de l’Etat par ce medium, ce qui accélèrerait fortement son adoption.
Selim Benabdelkhalek