Des villageois devant un camion-citerne à eau à al-Aghawat, dans le centre de l'Irak, le 18 juillet 2022
Quand Younes Ajil ouvre son robinet, rien n’en sort. Dans le sud de l’Irak frappé par la sécheresse, plus de 70 villages traversent un été caniculaire sans eau courante et les distributions sporadiques des autorités sont loin de suffire.
Ces derniers mois, le débit de l’Euphrate a chuté à vue d’oeil, allant jusqu’à assécher ses bras les moins vaillants. Résultat: en cet été où les températures frôlent parfois les 50 degrés, un tiers de la province de Diwaniya est privé d’accès direct à l’eau.
« Si l’eau est coupée, il n’y a plus de vie », se désole Younes Ajil. Dans son village d’Al-Aghawat, il attend un des camions-citernes envoyés par le gouvernorat qui font la tournée des hameaux affectés une à deux fois par semaine.
« Même avec une distribution quotidienne, les quantités ne suffiraient pas », déplore-t-il. « Cela fait quatre jours que je ne me suis pas lavé », avance le quadragénaire, père de huit enfants.
Entre des températures caniculaires et des pénuries d’eau qui ne font qu’empirer, l’Irak est un des cinq pays au monde les plus exposés à certains effets du changement climatique, selon l’ONU.
« Le pays des deux fleuves », comme le surnomment ses habitants, voit d’année en année diminuer le niveau du Tigre et de l’Euphrate.
Les autorités irakiennes pointent du doigt la sécheresse, mais aussi les barrages construits en amont, en Turquie et en Iran voisins.
M. Ajil a creusé un puits, mais l’eau qu’il en tire est salée. « On mélange ça avec l’eau du camion-citerne et on se débrouille ».
– « Salinité élevée » –
Quand le camion fait son apparition, ses enfants se précipitent dans un joyeux vacarme. Pour recueillir l’or bleu, certains foyers ont sorti des marmites ou même… un réfrigérateur renversé au sol.
M. Ajil partage sa maison avec son frère Mohamed. Comme la plupart de ses voisins, ils vivaient autrefois de l’agriculture.
Mais à cause de la sécheresse, cela fait deux ans que l’activité agricole bat de l’aile. Pour subvenir aux besoins de leurs familles, les deux frères vendent les moutons de leur cheptel.
« Il y a une cinquantaine de maisons dans ce village. Il ne reste plus que dix familles, les autres sont parties », souffle M. Ajil, 42 ans.
« La migration climatique est déjà une réalité en Irak », assène un rapport publié en août par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Jusqu’en mars 2022, plus de 3.300 familles avaient été déplacées par « des facteurs climatiques », dans dix provinces du centre et du sud. En cause: « la rareté de l’eau, sa salinité élevée et sa mauvaise qualité ».
Si l’Euphrate traverse toujours Diwaniya, certains « affluents souffrent de la sécheresse », indique Hassan Naïm, responsable des ressources hydriques de la province. Par conséquent, une vingtaine de stations d’épuration sont à l’arrêt, dit-il.
La crise dure depuis plus de deux mois. Autrefois, « certaines rivières s’asséchaient, mais ça ne durait que quelques jours ».
M. Naïm admet que les quantités d’eau distribuées sont « très faibles » comparées aux besoins et il déconseille le recours aux puits dans lesquels « le taux de salinité est très élevé ».
– « Torture » –
A deux reprises, des centaines d’habitants ont manifesté pour exprimer leur colère.
« Environ un tiers de la province de Diwaniya souffre d’un problème d’accès à l’eau », reconnaît son gouverneur Zouheir al-Chaalane, soulignant l’impact sur l’agriculture, le bétail, et la consommation d’eau potable.
Plus de 75 villages sont concernés, dit-il.
Irriguée par l’Euphrate, sa province reçoit un débit d’eau oscillant entre 85 et 90 mètres cubes par seconde, explique-t-il. Il faudrait doubler ce débit pour enrayer les pénuries.
Dans une province où la terre nourrit les hommes, il appelle à exclure Diwaniya du plan de rationnement et de partage des eaux entre les différentes régions préparé par Bagdad.
« Nous vivons de l’agriculture. Diwaniya n’a ni poste-frontière, ni champ pétrolier, ni sanctuaire religieux (attirant les pèlerins, ndlr) ni tourisme », plaide-t-il.
Au village d’Al-Aghawat, Razzak Issa réclame « une solution » avec la Turquie pour augmenter le débit des fleuves.
« Oui, on rationne les usages, mais il fait chaud. Je rationne comment? Je ne me lave pas? Je ne lave pas ma jellabah? Je ne lave pas mes enfants? Impossible », s’insurge-t-il.
Lui aussi mélange l’eau salée de son puits à celle distribuée par les autorités. « Où pouvons-nous aller? Où que tu ailles, l’Irak c’est de la torture. A Nassiriya, à Samawa, ils meurent de soif ».
LNT avec Afp