Le Haut Commissariat au Plan vient de publier sa dernière note de conjoncture, au titre du 1er trimestre 2022, mais qui aborde aussi les perspectives de l’économie nationale pour le T2 de l’année en cours.
Dans un contexte international particulièrement troublé, avec une économie mondiale confrontée à de nouveaux soucis sanitaires notamment en Chine, en plus de l’invasion russe en Ukraine, les difficultés de production pour les économies européennes et américaine sont amplifiées. À cela s’ajoute l’explosion des cours énergétiques et alimentaires, à des niveaux jamais atteints pour certains. Cette situation aurait pesé sur l’évolution des échanges commerciaux mondiaux et induit un ralentissement de la demande étrangère adressée au Maroc, dont le taux de croissance aurait atteint +2,5%, en variation annuelle, au premier trimestre 2022, au lieu de +4,7% l’année dernière, explique le HCP.
Ce difficile contexte international a bien sûr touché le Maroc, plombant une reprise déjà mise à mal par les très faibles précipitations du début d’année. La forte hausse des cours mondiaux a toutefois quelques rares avantages pour le Royaume, qui a vu le volume des exportations nationales de biens et services afficher une croissance de 5,6% au premier trimestre 2022, et surtout de biens de 29,5%, dans un contexte de vive accélération des prix à l’export. Cette hausse a été portée principalement par le phosphate, mais également par une reprise des exportations de l’aéronautique, au point mort début 2021, ainsi que par un regain de forme du textile.
Mais en face, les importations se sont affirmées de 37%, au lieu de 2,6% au cours de la même période de 2021, tirées largement par l’explosion de 88,8% des achats des produits énergétiques dans le sillage de la flambée des cours internationaux des produits raffinés, notamment ceux du gas-oil et du fuel. On notera que les importations des biens finis de consommation auraient légèrement ralenti, pâtissant de la baisse de 15,7% des importations des voitures de tourisme.
Avec une hausse plus prononcée des importations, le déficit de la balance commerciale s’est aggravé, avec un repli de 3,5 points du taux de couverture des importations par les exportations au premier trimestre 2022, par rapport à la même période de 2021.
Dans ce contexte, la demande intérieure aurait connu une sensible décélération par rapport à 2021, mais serait restée le principal support de l’activité, tirée par la progression de 5,3% de la consommation des administrations publiques, en ligne avec le renforcement des dépenses de fonctionnement. En revanche, le rythme de croissance de la consommation des ménages se serait sensiblement réduit, atteignant +0,8% au premier trimestre 2022, au lieu de 1,5% au cours de la même période de l’année passée, ce qui reflète bien la prudence des Marocains dans un contexte de forte hausse des prix.
L’inflation au plus haut niveau depuis 2008
Comme avait déjà analysé Bank Al-Maghrib, la hausse des prix s’est encore accélérée au T1, avec des prix à la consommation qui auraient évolué à un rythme jamais atteint depuis 2008, affichant une hausse de 3,6%, avec une envolée de 5,3% des prix des produits alimentaires, majoritairement due aux céréales et aux huiles. Hors produits alimentaires, les prix se seraient accrus de 2,5%, sous l’effet des hausses des prix des produits énergétiques, du transport et de l’accélération de ceux des produits manufacturés, sur fond des tensions liées aux difficultés d’approvisionnement et des augmentations des coûts de production industrielle. L’inflation sous-jacente, qui exclut les prix soumis à l’intervention de l’Etat et les produits à prix volatils, aurait, pour sa part, nettement progressé, pour atteindre +3,4% au premier trimestre 2022, tirée par l’évolution très dynamique de ses composantes, en particulier alimentaire et manufacturière.
Dans ce contexte, le HCP mesure qu’au T1, l’activité économique aurait affiché une progression de 1,2%, en variation annuelle, au lieu de 1% une année plus tôt, tirée principalement par un accroissement de 3,3% de la valeur ajoutée hors agriculture. Les branches tertiaires, qui auraient continué de profiter d’un effet d’ajustement de base favorable, auraient contribué pour +1,9 point à l’évolution du PIB, portées par la poursuite du rétablissement des activités touristiques. En variation annuelle, la valeur ajoutée de l’hébergement et de la restauration aurait augmenté de 53,4%, au premier trimestre 2022, dans le sillage de l’amélioration de la situation épidémiologique au Maroc et de la réouverture des frontières aériennes à partir du 7 février 2022.
La croissance des activités secondaires se serait, quant à elle, légèrement accélérée, portant sa contribution à la croissance globale du PIB à +0,5 point, au lieu de +0,4 au cours de la même période de 2021. La valeur ajoutée minière se serait infléchie de 4,2% au premier trimestre 2022, en variation annuelle, après avoir enregistré une hausse de 5,2% une année auparavant. Les activités d’extraction des minerais non métalliques auraient régressé de 5,3% dans un contexte de repli de la demande des industries locales de transformation.
En revanche, l’activité des industries manufacturières aurait poursuivi sa reprise au rythme de 2,7% au premier trimestre 2022, au lieu de 1,6% pendant la même période de 2021. En dépit du renchérissement des coûts de production, lié à la hausse des prix des matières premières et aux problèmes d’approvisionnement, l’activité des industries manufacturières aurait bien résisté, grâce notamment au raffermissement de celles des industries de textile et des industries métalliques et métallurgiques. En revanche, les industries chimiques qui avaient été particulièrement dynamiques en 2021, auraient connu une réduction de 2,2% de leur valeur ajoutée dans un contexte de repli des quantités exportées de dérivés de phosphates, largement compensé par la hausse de leur prix de vente à l’export.
Du côté des campagnes, les nouvelles ne sont pas bonnes, avec une valeur ajoutée en contraction de 12,1%, après avoir été particulièrement dynamique en 2021. Les effets du déficit pluviométrique auraient été particulièrement perceptibles au niveau des cultures automnales et hivernales, notamment les céréales, dont les superficies semées auraient connu une baisse de 21% par rapport à la moyenne quinquennale. L’installation des autres cultures, notamment les maraîchères d’hiver, aurait été également perturbée par les faibles apports de l’irrigation, dans un contexte d’abaissement de taux de remplissage des barrages à 33% à fin mars 2022, au lieu de 51% une année auparavant. Les activités d’élevage du cheptel, auraient été également pénalisées par la faiblesse des parcours végétaux et le renchérissement des prix des aliments de bétail.
Au niveau financier, on notera principalement une légère hausse des crédits, tirés par l’amélioration de l’octroi des crédits d’investissement aux entreprises. Sur le marché interbancaire, les taux d’intérêt se seraient encore stabilisés à 1,5%. Du côté du marché actions, la décélération se poursuit après les fortes hausses, principalement mécaniques, de début 2021, avec le MASI qui gagne 11,6%, grâce à la croissance des cours boursiers d’une partie importante des secteurs cotées, notamment ceux des ingénieries et biens d’équipement industriels, de l’industrie pharmaceutique, de la sylviculture et papier, de la chimie, de la distribution et du secteur de la promotion immobilière.
Un peu d’optimisme pour le deuxième trimestre
Bien sûr, la situation au T2 va dépendre fortement de l’évolution de la situation sanitaire en Chine et de celle du conflit russo-ukrainien, à quoi va s’ajouter les perturbations que connaissent les chaines d’approvisionnement mondiales du fait du prix de l’énergie. Dans ce contexte, la demande étrangère adressée à l’économie nationale afficherait une hausse de 3,1% au T2, prévoit le HCP.
La demande intérieure connaîtrait, pour sa part, une légère accélération au deuxième trimestre 2022, contribuant de 3,3 points à la croissance économique globale. Elle serait particulièrement portée par la poursuite de l’affermissement des dépenses publiques, alors que les dépenses des ménages resteraient affectées par le maintien des fortes pressions inflationnistes.
Dans ce contexte, la valeur ajoutée hors agriculture afficherait un accroissement de 4,1%, portée par les branches tertiaires, et par le secteur minier pour les branches secondaires. Dans l’ensemble et compte tenu d’une baisse de 12,9% de la valeur ajoutée agricole, l’activité économique afficherait une progression de 1,8%, au deuxième trimestre 2022, en variation annuelle, au lieu de +15,2% enregistrée par effet de base au même trimestre de l’année 2021.
Selim Benabdelkhalek (avec HCP)